mardi 28 mars 2017

Reconnaître «les signes des temps»...


En réfléchissant au pauvre Andrew Potter et à son malheureux texte dans la revue Maclean's, j'ai repensé à un célèbre passage des évangiles. Un passage qui m'a toujours fasciné, d'ailleurs. On le retrouve dans les évangiles de Matthieu et Luc. Voici la version Matthieu (16,2):

Jésus s'adressait aux pharisiens: «Le soir venu, vous dites: il va faire beau temps, car le ciel est rouge feu. Et le matin: Aujourd'hui, mauvais temps, car le ciel est rouge sombre... Ainsi vous savez interpréter l'aspect du ciel... Pourquoi donc ne savez-vous pas reconnaître les signes des temps?»

Le professeur de l'Université McGill aurait été un excellent pharisien. Il a vu la tempête, les autos embourbées, l'incompétence des autorités. Ça, il a bien compris. Mais quand il a voulu établir un lien avec les signes des temps, à savoir que 60 cm de neige avaient suffi pour «révéler le malaise essentiel qui gruge les fondements de la société québécoise»... société «presque pathologiquement aliénée», il a plongé sans parachute dans un précipice sans fond...

Interpréter «les signes des temps» n'est jamais facile, ni pour les universitaires, ni pour les journalistes, ni pour le citoyen dans son patelin... Certains observateurs ont le don de lever le voile sur quelques pièces du casse-tête... d'autres de les obscurcir. Chacun, chacune enregistre - chez soi, au travail, dans son milieu, dans le pays tout entier et autour du monde - des impressions à partir du vécu quotidien. On en tire des conclusions. On formule des jugements.

Permettez-moi un exemple en apparence banal... Tous les jours, je peste contre des automobilistes qui grillent des feux rouges, qui se conduisent au volant comme des malotrus, qui persistent à utiliser leur cellulaire en voiture, qui lancent les mégots de cigarettes ou des déchets par la vitre, qui répondent de façon fort impolie quand on leur en fait la remarque... Et je me demande si c'est «un signe des temps», le symptôme d'une société où certaines valeurs de civisme s'érodent... Peut-être, peut-être pas...

Revenons à M. Potter. De toute évidence, sa conviction d'un «malaise qui gruge les fondements de la société québécoise» ne date pas de l'embouteillage sur l'autoroute 13. Il a mijoté ses opinions depuis des décennies, comme étudiant, prof, journaliste et rédacteur en chef de l'Ottawa Citizen (journal parfois francophobe). Ses expériences, ses lectures, tout s'y mêle. Il ressent un «malaise» profond au Québec - un malaise que nous ressentons tous, toutes - mais ses antécédents ont également forgé des parti pris. À cet égard, d'ailleurs, nous sommes tous dans le même bateau.

Tout à coup, la tempête frappe et 300 automobilistes restent coincés toute une nuit sur l'autoroute 13, pas dans le bois, en plein Montréal... Et voilà, dans un moment d'illumination, tous les morceaux du casse-tête (réels, perçus tout croche ou inventés) tombent en place... policiers habillés en clowns... travail au noir (même les restos et médecins)... faible participation à des organisations bénévoles... méfiance généralisée... Enfin, il empile, et empile... et nous voilà devenus une espèce de société primitive, quasiment une tribu, dans un Canada par ailleurs civilisé...

Andrew Potter est peut-être un érudit et un bien bon garçon, mais cette fois-ci, il n'a pas su reconnaître les signes des temps. Évidemment, il avait parfaitement le droit d'élucubrer dans le magazine Maclean's, qui carbure volontiers au Québec-bashing... Là où sa liberté d'expression se termine, c'est quand il engage par ses écrits l'Institut d'études canadiennes qu'il dirige et l'Université McGill qui l'emploie. Si des écrits irresponsables ternissent leur réputation, M. Potter s'expose aux conséquences.

Quand Le Droit - Gesca m'a congédié en mai 2014 à cause d'un texte de blogue, ce fut justement en raison du même principe. Les faits allégués dans mon texte sur la possible fermeture de six quotidiens par les frères Desmarais n'ont jamais été mis en doute. Ce qu'on m'a dit, c'est que j'avais violé mon devoir de réserve comme éditorialiste, que j'avais écrit un texte qui attaquait l'entreprise (Gesca, pas Le Droit que je défendais). À mon avis c'était de la bouillie pour les chats, mais on m'a mis à la porte.

Alors Andrew Potter méritait-il une seconde chance après s'être excusé et avoir démissionné? Je ne sais pas. Il a été très maladroit et exposé une ignorance certaine de l'histoire et de la culture québécoise. Il n'a pas bien fait ses devoirs. Maclean's non plus, mais cela ne semble pas les déranger, et les scribes anglo-canadiens qui se sont portés à sa défense ont des allures classiques de pharisiens...

Et pourtant, il existe bel et bien un «malaise qui gruge les fondements de la société québécoise»... Tous le ressentent, sans pouvoir le définir avec précision. Mais ce malaise n'a rien - ou peu - à voir avec la neige ou les propos de M. Potter sur le ministère des Transports ou des statistiques de l'Enquête générale sociale de Statistique Canada en 2013... ou les divagations de Maclean's...

Mathieu Bock-Côté écrivait, en 2013 justement: «Faut-il se surprendre que la politique n'exprime plus les aspirations collectives et que de plus en plus de Québécois se désintéressent du Québec? Faut-il se surprendre alors que le bon peuple ne croit plus en rien? Que les hommes comme les femmes désertent la cité pour se vouer à leur vie intime, à leur famille, à leur vie professionnelle. (...) Tout cela témoigne d'une société en décomposition, qui se disloque.»

Qu'aurait-on dit si Andrew Potter avait signé un tel paragraphe? On n'a qu'à lire des livres d'histoire du Québec pour se rendre compte que les valeurs traditionnelles ayant soutenu la société franco-québécoise sont en déclin depuis les années 1960... Nous avons évacué la religion sans considérer les valeurs qu'on aurait pu conserver... Nous avons aussi arrêté de faire une quantité suffisante d'enfants et notre collectivité vieillit vite... Depuis des décennies, le français régresse et nous avons un gouvernement qui ne fait rien pour protéger les acquis de la Loi 101, et qui veut même angliciser la nouvelle génération directement à l'école primaire... L'enseignement de l'histoire est devenu presque suspect... Et les belles solidarités s'érodent à vue d'oeil...

Sont-ce là des signes des temps et les ai-je bien compris? Peut-être... peut-être pas...

Je laisse le mot de la fin à Fred Pellerin, un triste extrait de La mère-chanson où il évoque le Québec d'aujourd'hui: «Pis les chacun de son bord, jusqu'à tomber dans les trous de mémoire»...

Si nous allons «chacun de son bord», avec des «trous de mémoire», où aboutirons-nous?








1 commentaire:

  1. Oui, là est la question. « To be or not to be. » Où aboutirons-nous ? J'ai 77 ans....... fort. Le verrais-je ? La France, qui a vu naître nos ancêtres, pour moi Claude Sauvageau né en 1643 à Marcé-sur-Esves en Touraine, est au bord du précipice. Nous même y serons très bientôt, si nous ne prenons pas nos affaires en main. Cette même France qui nous a d'ailleurs renié à quelques occasions au cours des derniers 400 ans et plus. La dernière fois, c'était sous Nicolas Sarkosy, bien conseillé par les Paul Desmarais sr et John James Charest. Préalablement, par Sir Georges-Étienne Cartier en échange de considérations personnelles.

    C'est désespérant.

    RépondreEffacer