Tous les mardis, dans cette magnifique église jadis animée, aujourd'hui trop souvent sombre et vide, une petite salle au demi sous-sol s'éclaire pour accueillir seize artisanes dont le savoir-faire, transmis de génération en génération, est enraciné dans une époque - pas si lointaine - où le secteur St-François d'Assise-Mechanicsville d'Ottawa se donnait des airs de village francophone.
Depuis le 19e siècle et jusqu'aux années 1960, des milliers de paroissiens canadiens-français ont peuplé les rues et ruelles entre l'église St-François d'Assise et la rivière des Outaouais. J'ai encore des souvenirs de mon enfance, revenant à pied après la messe dominicale... On savourait les arômes devant chaque maison, alors que mamans et grand-mamans préparaient le festin du midi pour ceux et celles qui avaient dû jeûner depuis minuit pour pouvoir communier...
Les «Artisanes de St-François», c'est ainsi que s'appellent nos tricoteuses et couturières du mardi, septuagénaires, octogénaires et même une nonagénaire, ont vu ces beaux jours de l'ancienne paroisse des Capucins. Les processions de la Fête-Dieu dans des rues pavoisées, le régiment de zouaves avec leurs képis, la panoplie d'organisations de jeunesse catholiques (JEC, JOC, louveteaux, guides, scouts, AJFO, croisillons), le cercle des femmes canadiennes-françaises, les activités de loisirs et j'en passe... Tout, absolument tout, semblait graviter autour de cette belle église grouillante de fidèles.
Y pensent-elles parfois en tricotant et cousant de leurs doigts agiles des centaines de mitaines, chaussons, couvertures, tuques, châles, foulards et courtepointes? Se remémorent-elles la vie d'antan où famille et communauté se vivaient au quotidien, où les générations se côtoyaient sous le même toit, où les vieux passaient aux plus jeunes expérience et valeurs acquises au fil des siècles? Nées à la fin d'une ère de fécondité sans pareil, où nos mères avaient créé une nation à coups de familles de 10 enfants et plus, ces artisanes sont un peu devenues les sentinelles de nos traditions, et de cette grande église de pierre dont le coeur bât toujours au cliquetis de leurs aiguilles.
Nous étions des milliers autour des deux grands clochers, à l'époque de ma première communion (1952) à St-François d'Assise. J'ai eu l'impression, en les visitant au début de mars 2017, qu'il n'y avait guère plus que ces seize femmes pour poursuivre collectivement l'expédition plus que centenaire de l'ancien quartier canadien-français. À la fondation du groupe, dans les années 1980, elles étaient plus d'une trentaine. Elles ne sont plus que 16... et constatent qu'il n'y aura pas de relève. Leur nombre diminue tout doucement, d'année en année.
Tant qu'elles le pourront (elles sont tout de même en excellente forme!), les Artisanes poursuivront leur bénévolat. Leurs créations attrayantes trouveraient vite preneur en magasin, mais elles n'ont plus de débouchés payants depuis l'abandon du bazar paroissial, il y a quatre ou cinq ans. Alors... elles donnent tout à la St-Vincent de Paul et à des résidences pour personnes âgées. Elles utilisent la laine dont on leur fait don, sauf rares achats avec les fonds du groupe, qui rétrécissent à tous les ans, le seul revenu étant la cotisation annuelle de 10$ des membres...
Pour le moment, les Artisanes restent solides. Le local est bien organisé, avec un excellent éclairage, de larges tables pour travailler, une bibliothèque de patrons de tous genres, classés sur un mur entier d'étagères, et bien sûr une immense réserve d'aiguilles à tricoter. Quelques couturières travaillent au fil et à l'aiguille. Un de leurs objets tricotés les plus originaux, des chatons en laine, est fort apprécié des personnes qui souffrent de la maladie d'Alzheimer.
La vice-présidente des Artisanes, Cécile Cadieux, tient par ailleurs un registre détaillé de la production mensuelle. La machine est bien huilée... et trois ou quatre gros bacs sont toujours remplis de créations de toutes formes et couleurs... prêts à donner...
Chez les Artisanes de St-François (anciennement cercle Jeanne LeBer), l'entraide, la générosité, et la solidarité sont un mode de vie hérité des pionniers franco-ontariens de l'ouest de la ville d'Ottawa, eux-mêmes puisant leurs racines au 19e siècle dans les vallées québécoises autour du Saint-Laurent. L'ancienne communauté s'est disloquée... les commerces de jadis ont disparu... les jeunes générations, sauf exception, ont émigré ailleurs à Ottawa ou en banlieue, ainsi qu'au Québec. Mais l'esprit hérité d'un temps passé brille toujours dans ce local d'une autre époque, à l'église St-François d'Assise.
Le vieux quartier est toujours visible par ses maisons et ses rues. Mais l'univers humain que j'ai connu, enfant, s'est effrité au fil des décennies. Les seize artisanes de St-François restent la preuve irréfutable de son existence, de sa persistance, de son enracinement. Je les salue et leur dis: merci!
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Extrait de la chanson «Rue des souvenirs» (bit.ly/2nrWPVS) des Cowboys fringants:
«Les commerces et les gens ne sont que de passage
Le quartier, lui, traverse les âges
Conservant dans ses cours, ses maisons et ses rues
L'âme de tous ceux qui y ont vécu...»
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Les Artisanes de St-François, membres 2017
Gertrude Couvrette,
Jacqueline Beauchamp,
Laureine Boileau,
Gertrude Cyr,
Monique Couvrette,
Nicole Blondeau,
Aline MacFarlane,
Thérèse Joannette,
Monique Couvrette,
Viviane Potvin,
Françoise Malboeuf,
Diane Tierney,
Céline Cadieux,
Emma Marshall,
Diane Couvrette,
Nicole Racine.
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