Mashal Khan
Les manchettes accordées aux attentats meurtriers inspirés par le groupe État islamique ont tendance à reléguer dans l'ombre des «incidents» tout aussi graves, et peut-être même plus révélateurs. Il y a de cela à peine quelques jours, des agences de presse rapportaient qu'un étudiant en journalisme avait été battu à mort par des centaines de collègues de l'université Abdul Wali Khan, dans la ville de Mardan, au Pakistan, parce qu'il professait des idées progressistes et laïques...
La nouvelle a à peine percé la muraille médiatique européenne et nord-américaine, mais elle vaut la peine qu'on s'y attarde. D'abord il ne s'agit pas ici d'un terroriste solitaire. Les assassins se comptaient par centaines. Et ce n'est pas non plus l'oeuvre d'un kamikaze ultra-radicalisé de l'État islamique, prêt à mourir en entraînant avec lui ou elle le plus grand nombre possible de mécréants. On ne parle pas non plus d'une foule émeutière chauffée à blanc par quelque imam ténébreux, se ruant sur la première cible en vue. Non, il s'agit de centaines d'étudiants universitaires, inscrits à une institution de haut-savoir, en principe lieu d'apprentissage et d'échange d'idées, ayant bien choisi leur cible et se comportant comme des barbares.
La victime s'appelle Mashal Khan, un nom dont il faudra se souvenir. Et de quoi était-il coupable, qu'a-t-il fait se si horrible pour qu'une horde d'étudiants de la même université lui inflige une mort atroce? Voici la description de Radio France International: «Mashal Khan a été sorti de sa chambre, pris à partie et violemment battu à l'aide de bâtons et de planches. Il aurait même été blessé par balles avant de succomber. Dans des vidéos d'une rare violence, on aperçoit clairement des étudiants frappant l'un des leurs, à terre. On ignore s'il était encore en vie à ce moment, mais son corps se transforme en exutoire de plusieurs centaines d'étudiants incontrôlables.»
Donc, dis-je, quel était son crime? Sous le couvert de l'anonymat (on comprend pourquoi), un cadre de l'université a déclaré que M. Khan «était critiqué par les autres pour ses opinions libérales (au sens de progressistes), laïques... et son absence à la prière du vendredi»... En passant, une vingtaine de policiers étaient présents, et n'ont rien tenté pour empêcher ce que les agences appellent un véritable lynchage. Lâcheté, crainte? Ils étaient pourtant mieux armés que les étudiants. Ou peut-être étaient-ils indifférents au sort d'un jeune homme considéré comme un apostat (ayant renié sa religion) ou, pire, comme un blasphémateur... dans un pays où le blasphème est punissable de mort...
Et c'est là que la pensée m'a effleuré... Et si ce n'était pas un groupuscule d'illuminés dans un coin isolé du monde musulman... Est-il possible qu'une telle intolérance à l'endroit d'idées laïques soit à ce point répandue dans plusieurs pays islamiques qu'on doive s'en inquiéter? Après tout, si Mashal Khan avait été accusé par l'État (qui mêle ici allègrement politique et religion...), il aurait pu passer le reste de ses jours en prison (pour apostasie) ou, à la limite, être exécuté (pour blasphème). Et on est ici au Pakistan, un pays de plus de 180 millions d'habitants...
Pire, le Pakistan est loin d'être le seul pays qui frappe de lois barbares ceux et celles qui osent renier l'islam ou proférer quelque parole ou écrit qu'on pourrait associer au blasphème... L'apostasie et le blasphème sont passibles de la peine de mort dans 12 pays à majorité musulmane: Afghanistan, Malaisie, Maldives, Mauritanie, Nigeria, Iran, Qatar, Arabie saoudite, Somalie, Soudan, Émirats arabes unis et Yemen. Ces États abritent, au total, environ 650 millions d'habitants, soit plus que le tiers de la population musulmane sur cette planète...
Alors quand on me dit que l'islam est, pour la plupart de ses fidèles, une religion de paix et de tolérance, je veux bien le croire, mais il y a de toute évidence dans ce monde des États et des collectivités musulmanes qui sont loin de partager ce point de vue... Voilà ce qui arrive, presque inévitablement, quand on ne sépare pas religion et politique, qui font ensemble une des mixtures les plus toxiques de l'histoire humaine.
En Inde, au début du mois, un musulman a été battu à mort par des «extrémistes» hindous qui l'accusaient de transporter de la viande illégalement... Encore la «vache sacrée»... Mais est-ce vraiment une frange si extrémiste quand le parti qui l'incarne fait des gains politiques et dirige même un des États du pays, où désormais le «meurtre» d'une vache est passible de prison à vie? On a le droit à un certain scepticisme...
Mon intention n'est pas d'exempter les chrétiens/catholiques qui, aux époques des croisades et de l'inquisition, se sont inscrits dans les hautes sphères de la barbarie meurtrière. Et encore aujourd'hui, des intégristes chrétiens radicaux dans des pays comme les États-Unis, qui se sont infiltrés dans les chambres législatives et gouvernementales, menacent de façon venimeuse la séparation des Églises et de l'État.
L'extrême toxicité du mélange religion-politique a toujours été et demeure le meilleur argument pour la laïcité de l'État, et pour sa constitutionnalisation comme loi fondamentale du pays.
En ce lendemain de Pâques, pourquoi ne pas rappeler que l'un des grands partisans de la séparation de l'Église et de l'État fut Jésus lui-même, selon les évangiles, quand Il a dit: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu». Sages paroles...
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