samedi 8 juin 2019

Il y a 50 ans, le 9 juin 1969...


Il y a 50 ans, le 9 juin 1969, à 9 heures du matin, j'entrais pour la première fois dans la salle des nouvelles du quotidien Le Droit comme reporter...

Une semaine plus tôt, ayant terminé ma scolarité de maîtrise en science politique et envisageant la rédaction d’une thèse, je marchais sur la rue Rideau, dans la Basse-Ville d’Ottawa, et levant les yeux, vis une affiche qui allait changer le cours de ma vie, plus que toute autre. C’était la bannière du quotidien Le Droit, dont le siège social était situé au 375 Rideau.

Tiens, me suis-dit, il y a peut-être ici une bonne possibilité d’emploi en attendant de reprendre mes études à temps plein. Moins d’une heure plus tard, après un test sommaire où j’avais inventé un fait divers plutôt sanguinaire, je quittais la salle des nouvelles pour le bureau du directeur du personnel, où mon embauche comme journaliste était confirmée au salaire faramineux de 93 $ par semaine! Si telle chose existe que d’être à l’endroit idéal au moment idéal, ce fut certes ce matin-là!

Toujours est-il qu'en ce matin du 9 juin, après avoir jonglé à ce qui m'attendait, durant le long trajet d'autobus entre ma résidence de l'ouest d'Ottawa et le centre-ville, je suis entré dans l'édifice du Droit et monté à grandes enjambées l'escalier devant la grande murale au fond de la rotonde. Arrivé au couloir menant à la salle de rédaction, on ne pouvait plus se tromper. Il suffisait de suivre le vacarme des vieilles machines à écrire Underwood, des conversations animées et l'odeur du tabac...

Je venais à peine de mettre les pieds dans la grande salle vitrée où une vingtaine de journalistes s'affairaient déjà quand j'ai entendu mon nom. «Allard!!!», venait de crier le directeur de l'information, Christian Verdon. «T'es en retard. C'est à 8 heures qu'on commence, pas 9 heures!» Je craignais d'être renvoyé sur le champ, mais M. Verdon a immédiatement enchaîné: «Le photographe t'attend dans sa voiture. Vite, t'as une affectation, et faut que tu y sois pour 9 h 30. Et on a besoin de ton texte pour la dernière édition, pas plus tard que 11 h 30.»

J'eus juste le temps de prendre la lettre de convocation du Department of Highways de l'Ontario, un calepin et un stylo. Le photographe, André Audet, du Studio Champlain Marcil (alors au service du Droit), un ancien policier de la police provinciale de Duplessis, grommelait et me tenait responsable du retard éventuel car il fallait se rendre à Ramsayville, près du chemin Baseline, au sud-est d'Ottawa, pour la première pelletée de terre de l'autoroute 417 qui relierait la capitale à l'autoroute 40 du Québec.

Arrivé juste à temps, on m'a remis une pochette de presse - unilingue anglaise évidemment à cette époque - annonçant, entre autres, que la future autoroute de 65,4 milles (un peu plus de 100 km) serait complétée en cinq ans au coût de 65,7 millions de dollars. J'ai peine à croire que ce budget et cet échéancier aient été respectés.

Quoiqu'il en soit, je n'avais aucune notion de ce que devait faire un journaliste. Il fallait improviser... Noter les noms de tous les dignitaires, poser des questions au ministre ontarien, à quelques maires et préfets, prendre toute l'information requise pour la légende de photo. On n'a pas le choix dans de telles circonstances, il faut vite apprendre à se débrouiller parce que les autres médias sont là et que personne d'autre n'a envoyé un débutant à sa première affectation...

Retour à la salle de rédaction vers 10 h 45 et l'ambiance est fébrile. La direction et les préposés au pupitre de jour préparent l'édition qui sera livrée à l'heure du souper dans la région urbaine - Ottawa, Hull, Pointe-Gatineau, Aylmer, Gatineau, etc. On m'assigne sans délai un pupitre où je dois improviser un texte de deux feuillets en 45 minutes, avec un chef des nouvelles dans mon dos qui demande trop souvent quand l'article sera terminé... Dès que le premier feuillet est complété, on l'arrache de ma machine à écrire pour commencer la correction et la mise en page... 

Je tapais à deux doigts, mais assez rapidement et sans trop de fautes. Le résultat de dizaines de dissertations dactylographiées à la dernière minute durant mon séjour universitaire... Le deuxième feuillet a été remis juste à l'heure de tombée et l'article a été publié avec photo en page 9 de la dernière édition... J'ai conservé jusqu'à ce jour la convocation à la première pelletée de terre, la pochette de presse du Department of Highways, mes notes manuscrites, et une copie des feuillets tapés sous les yeux des patrons, des pupitreurs et des autres reporters sans doute amusés par le stress du petit nouveau.

Quand, au milieu de l'après-midi, les presses se sont mises en branle et que les premiers exemplaires de l'édition du soir sont arrivés à la salle des nouvelles, j'ai ouvert le journal et relu mon texte, cette fois en version imprimée en deuxième page du journal. J'avais dès lors la certitude que j'avais enfin trouvé le métier qui me passionnerait. En 50 ans, je n'ai jamais eu de doute.

Sur le questionnaire d’embauche du Droit, on m’avait demandé pourquoi je voulais devenir journaliste. Comment répondre à ça quand on n’y a jamais vraiment réfléchi? En improvisant, technique que la plupart des étudiants en sciences sociales apprennent vite à maîtriser. Et en rétrospective, j’aime bien ce qui m’est alors passé par la tête. C’était, je crois, une intuition assez juste. «Le journalisme, ai-je écrit à mon futur employeur, m’apparaît être une synthèse entre l’étude et l’action.» À l’université, on emmagasine le savoir en attendant le diplôme et l’exercice d’une profession. Dans une salle de rédaction, ce qu’on apprend est communiqué instantanément au public lecteur!

Ce 9 juin 1969, un jeune Franco-Ontarien de 22 ans a renoncé à ses études de maîtrise et qui sait, à un éventuel doctorat pour devenir journaliste au Droit. Et aujourd'hui, 9 juin 2019, je reste convaincu que ce fut l'une des meilleures décisions de ma vie.


1 commentaire:

  1. Ça représente un demi siècle d’écriture continu. Bravo et merci de continuer d’écrire pour notre plaisir.

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