mardi 2 juillet 2019

Vous dites bien «l’extrême droite québécoise»?

Je rumine depuis quelques semaines un texte publié dans Le Devoir du 1er juin (bit.ly/2J6AM0Q) dans le cadre de sa couverture du congrès de l’ACFAS (Association francophone pour le savoir), qui avait lieu cette année à l’Université du Québec en Outaouais, à Gatineau.

Pour moi, qui me considère militant de gauche depuis plus de 50 ans, le titre était accrocheur : «L’extrême droite québécoise attire des profils variés. Un anthropologue s’est introduit dans ce milieu pour comprendre qui le compose.»

Après avoir lu et relu l’article, je ressentais le genre de malaise qui nous immobilise parfois quand nos yeux désespèrent de donner un contour plus précis à un objet ou une personne floue que l’on voudrait bien identifier.

Sans doute aurait-il fallu que je retourne dans quelques manuels de science politique, éplucher l’enquête du chercheur Frédérick Nadeau dont Le Devoir parlait, et même fouiller le Web pour en savoir davantage sur les groupes qu’il avait infiltrés.

Puis je me suis dit : non ! Comme vieux journaliste qui en a vu d’autres, je devrais pouvoir lire ce genre de texte sans être obligé d’effectuer une recherche additionnelle pour bien comprendre ce que les reporters et leur journal ont cru bon d’offrir au public lecteur.

Finalement, je me suis rendu compte que tout tenait autour du concept d’extrême droite, que les auteurs de l’article n’ont pas défini (comme si tout le monde savait de quoi il s’agit) et qu’ils emploient dans des contextes que j’ai de la difficulté à associer à l’extrême droite.

Commençons par la droite tout court, un autre concept galvaudé que l’on garroche à tort et à travers dans les médias. Historiquement, la droite a été associée au conservatisme, alors que la gauche incarne davantage le changement et le progrès social.

Bon, je reconnais que c’est mince comme définition mais ce sont quand même des repères acceptables. Les gens de droite défendent des valeurs traditionnelles ayant le plus souvent leurs racines dans le passé. Certains sont modérés, d’autres plus intransigeants, et d’autres encore versent dans l’extrémisme.

Et c’est là que l’article me trouble. Extrême signifie extrême. On ne peut être plus à droite qu’extrême. L’extrême inclut tous les excès y compris le mépris de la démocratie et le recours à la violence. Les Nazis de Hitler. Les chemises noires de Mussolini. L’armée de Franco. Le Ku Klux Klan aux Etats-Unis. Les escadrons de la mort en Amérique latine.

L’extrême droite, pour un gauchiste comme moi, c’est le diable. Le mal absolu. Il faut combattre les extrêmes (tant à droite qu’à gauche).

Or quand je lis l’article du Devoir qui voit l’extrême droite dans 87 articles publiés par la Fédération des Québécois de souche (que je ne connais pas, dont j’ai rarement entendu parler), je n’y perçois aucune manifestation d’extrémisme. Par certains aspects, on a même peine à y reconnaître la droite…

À moins que les journalistes et le chercheur Frédérick Nadeau n’aient dissimulé certains faits, il n’y a rien de particulièrement inquiétant à participer à des conférences, des concerts, des marches, des fêtes, des soupers ou même à distribuer des tracts. Ce sont pourtant les activités qu’on associe à la Fédération des Québécois de souche (FQS)…

Arbore-t-on à cette FQS de sombres dessins pour l’avenir du Québec ou du Canada ? Quel programme politique défendent-ils ? Quels moyens sont-ils prêts à prendre pour le réaliser ? L’article n’en dit rien… On n’évoque pas de menaces de violence… Pas de caches d’armes…

On apprend plutôt ce qui les motive, et ce qu’on y lit pourrait aussi bien meubler un catalogue de motivations légitimes pour des gens de droite modérée, pour des centristes et même pour des groupes de gauche.

Ils se plaignent de ne pas être écoutés, d’être réduits au silence, d’injustice et d’impuissance «face à un système beaucoup trop fort». On tient des propos similaires à gauche… Ils reprochent aux immigrants de ne pas avoir «suffisamment de considération pour la culture québécoise». J’ai entendu ça à droite, au centre et à gauche.

Ils reprochent aux médias de les diaboliser ou de les tourner en ridicule. Les péquistes centre-gauche lancent de telles affirmations depuis la fin des années 1960. Enfin, ils blâment les élites politiques de ne pas les écouter ou de prendre leurs demandes au sérieux. Les groupes de défense de l’environnement en font autant depuis des décennies.

Quant à leurs principales «cibles», elles seraient dans l’ordre : les élites politiques, l’immigration, la gauche, le capitalisme, les médias, les Juifs et l’islam. Un joli méli-mélo, globalement penché vers la droite mais où, étrangement, tant la gauche que le capitalisme (synonyme de la droite) font partie des cibles…  

Et si, après tout, il ne s’agissait le plus souvent que de gens comme vous et moi, exprimant leurs espoirs, colères et frustrations en ignorant à peu près tout des idéologies extrémistes dont certains les affublent ? Peut-être, peut-être pas, l’article ne le dit pas.

Le texte du Devoir conclut avec une déclaration plutôt gratuite du chercheur, affirmant qu’«on a souvent tendance à penser que l’islamophobie aurait en quelque sorte éclipsé l’antisémitisme comme élément constitutif de l’extrême droite». Qui est ce «on» et d’où vient cette «tendance» évoquée sans sources…

À n’en pas douter, l’antisémitisme était le moteur du nazisme en Allemagne hitlérienne, mais avait peu à voir avec les massacres d’extrême droite perpétrés en Amérique latine au cours du dernier demi-siècle.

Bon. Assez maugréé contre un autre article où l’on manie maladroitement, gauchement des concepts galvaudés. Je vais maintenant tâcher de lire l’étude de Frédérick Nadeau et m’instruire davantage sur les agissements de la Fédération des Québécois de souche et «Atalante». Je m’attends à y trouver des organisations de droite, même passablement à droite, avec tout ce que cela entraîne… La question porte sur l’extrémisme de leurs positions et des moyens qu’ils sont prêts à mettre en œuvre pour les réaliser…

Jadis, dans les années 60, à l’extrême gauche du spectre politique, le Front de libération du Québec professait une idéologie socialiste radicale et usait volontiers de moyens violents pour promouvoir ses objectifs sociopolitiques. Les membres du FLQ n’étaient pas nombreux mais leurs actions ont fait la manchette des médias pendant près d’une décennie.


La marginalité médiatique de la FQS et d’Atalante me fait un peu douter de leur «extrémisme» de droite…

À suivre...

3 commentaires:

  1. excellente mise au point sur le sens des extrêmes gauche et droite en regard de notre réalité actuelle...à suivre...merci

    RépondreEffacer
  2. excellente mise au point sur le sens des extrêmes gauche et droite en regard de notre réalité actuelle...à suivre...merci

    RépondreEffacer
  3. Monsieur Allard,

    Merci. Il était nécessaire, et salutaire, de remettre en question cette notion si galvaudée d'extrême-droite. Voilà une mise au point intéressante.

    Jean-Pierre Pelletier
    Quelqu'un qui se voudrait encore de gauche

    RépondreEffacer