Je rumine depuis quelques semaines un texte
publié dans Le Devoir du 1er
juin (bit.ly/2J6AM0Q) dans le cadre de sa couverture du congrès de l’ACFAS (Association
francophone pour le savoir), qui avait lieu cette année à l’Université du
Québec en Outaouais, à Gatineau.
Pour moi, qui me considère militant de gauche
depuis plus de 50 ans, le titre était accrocheur : «L’extrême droite québécoise attire des profils variés. Un anthropologue
s’est introduit dans ce milieu pour comprendre qui le compose.»
Après avoir lu et relu l’article, je
ressentais le genre de malaise qui nous immobilise parfois quand nos yeux
désespèrent de donner un contour plus précis à un objet ou une personne floue
que l’on voudrait bien identifier.
Sans doute aurait-il fallu que je retourne
dans quelques manuels de science politique, éplucher l’enquête du chercheur
Frédérick Nadeau dont Le Devoir
parlait, et même fouiller le Web pour en savoir davantage sur les groupes qu’il
avait infiltrés.
Puis je me suis dit : non ! Comme vieux journaliste qui en a vu
d’autres, je devrais pouvoir lire ce genre de texte sans être obligé
d’effectuer une recherche additionnelle pour bien comprendre ce que les
reporters et leur journal ont cru bon d’offrir au public lecteur.
Finalement, je me suis rendu compte que tout
tenait autour du concept d’extrême droite, que les auteurs de l’article n’ont
pas défini (comme si tout le monde savait de quoi il s’agit) et qu’ils
emploient dans des contextes que j’ai de la difficulté à associer à l’extrême
droite.
Commençons par la droite tout court, un autre
concept galvaudé que l’on garroche à tort et à travers dans les médias.
Historiquement, la droite a été associée au conservatisme, alors que la gauche
incarne davantage le changement et le progrès social.
Bon, je reconnais que c’est mince comme
définition mais ce sont quand même des repères acceptables. Les gens de droite
défendent des valeurs traditionnelles ayant le plus souvent leurs racines dans
le passé. Certains sont modérés, d’autres plus intransigeants, et d’autres
encore versent dans l’extrémisme.
Et c’est là que l’article me trouble. Extrême
signifie extrême. On ne peut être plus à droite qu’extrême. L’extrême inclut
tous les excès y compris le mépris de la démocratie et le recours à la
violence. Les Nazis de Hitler. Les chemises noires de Mussolini. L’armée de
Franco. Le Ku Klux Klan aux Etats-Unis. Les escadrons de la mort en Amérique
latine.
L’extrême droite, pour un gauchiste comme moi,
c’est le diable. Le mal absolu. Il faut combattre les extrêmes (tant à droite
qu’à gauche).
Or quand je lis l’article du Devoir qui voit l’extrême droite dans 87
articles publiés par la Fédération des
Québécois de souche (que je ne connais pas, dont j’ai rarement entendu
parler), je n’y perçois aucune manifestation d’extrémisme. Par certains
aspects, on a même peine à y reconnaître la droite…
À moins que les journalistes et le chercheur
Frédérick Nadeau n’aient dissimulé certains faits, il n’y a rien de
particulièrement inquiétant à participer à des conférences, des concerts, des
marches, des fêtes, des soupers ou même à distribuer des tracts. Ce sont pourtant
les activités qu’on associe à la Fédération des Québécois de souche (FQS)…
Arbore-t-on à cette FQS de sombres dessins
pour l’avenir du Québec ou du Canada ? Quel programme politique
défendent-ils ? Quels moyens sont-ils prêts à prendre pour le
réaliser ? L’article n’en dit rien… On n’évoque pas de menaces de
violence… Pas de caches d’armes…
On apprend plutôt ce qui les motive, et ce
qu’on y lit pourrait aussi bien meubler un catalogue de motivations légitimes
pour des gens de droite modérée, pour des centristes et même pour des groupes
de gauche.
Ils se plaignent de ne pas être écoutés,
d’être réduits au silence, d’injustice et d’impuissance «face à un système
beaucoup trop fort». On tient des propos similaires à gauche… Ils reprochent
aux immigrants de ne pas avoir «suffisamment de considération pour la culture
québécoise». J’ai entendu ça à droite, au centre et à gauche.
Ils reprochent aux médias de les diaboliser ou
de les tourner en ridicule. Les péquistes centre-gauche lancent de telles
affirmations depuis la fin des années 1960. Enfin, ils blâment les élites
politiques de ne pas les écouter ou de prendre leurs demandes au sérieux. Les
groupes de défense de l’environnement en font autant depuis des décennies.
Quant à leurs principales «cibles», elles seraient dans
l’ordre : les élites politiques, l’immigration, la gauche, le capitalisme,
les médias, les Juifs et l’islam. Un joli méli-mélo, globalement penché vers la
droite mais où, étrangement, tant la gauche que le capitalisme (synonyme de
la droite) font partie des cibles…
Et si, après tout, il ne s’agissait le plus
souvent que de gens comme vous et moi, exprimant leurs espoirs, colères et
frustrations en ignorant à peu près tout des idéologies extrémistes dont
certains les affublent ? Peut-être, peut-être pas, l’article ne le dit
pas.
Le texte du Devoir conclut avec une déclaration plutôt gratuite du chercheur,
affirmant qu’«on a souvent tendance à penser que l’islamophobie aurait en
quelque sorte éclipsé l’antisémitisme comme élément constitutif de l’extrême
droite». Qui est ce «on» et d’où
vient cette «tendance» évoquée sans
sources…
À n’en pas douter, l’antisémitisme était le
moteur du nazisme en Allemagne hitlérienne, mais avait peu à voir avec les
massacres d’extrême droite perpétrés en Amérique latine au cours du dernier
demi-siècle.
Bon. Assez maugréé contre un autre article où
l’on manie maladroitement, gauchement des concepts galvaudés. Je vais
maintenant tâcher de lire l’étude de Frédérick Nadeau et m’instruire davantage
sur les agissements de la Fédération des Québécois de souche et «Atalante». Je m’attends à y trouver des
organisations de droite, même passablement à droite, avec tout ce que cela
entraîne… La question porte sur l’extrémisme de leurs positions et des
moyens qu’ils sont prêts à mettre en œuvre pour les réaliser…
Jadis, dans les années 60, à l’extrême gauche
du spectre politique, le Front de libération du Québec professait une idéologie
socialiste radicale et usait volontiers de moyens violents pour promouvoir ses
objectifs sociopolitiques. Les membres du FLQ n’étaient pas nombreux mais leurs
actions ont fait la manchette des médias pendant près d’une décennie.
La marginalité médiatique de la FQS et
d’Atalante me fait un peu douter de leur «extrémisme» de droite…
À suivre...
À suivre...
excellente mise au point sur le sens des extrêmes gauche et droite en regard de notre réalité actuelle...à suivre...merci
RépondreEffacerexcellente mise au point sur le sens des extrêmes gauche et droite en regard de notre réalité actuelle...à suivre...merci
RépondreEffacerMonsieur Allard,
RépondreEffacerMerci. Il était nécessaire, et salutaire, de remettre en question cette notion si galvaudée d'extrême-droite. Voilà une mise au point intéressante.
Jean-Pierre Pelletier
Quelqu'un qui se voudrait encore de gauche