Mon texte de blogue du 17 septembre 2015 quand le quotidien La Presse avait annoncé la disparition de son édition papier en semaine. Quand on se limite aux modèles d'affaires, ça donne ça... en 2015 comme en 2019...
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Faut croire que je ne vis pas sur la même planète que ces gens-là. En annonçant et en analysant la disparition (en semaine) de l'édition papier de La Presse, ils discutent de «modèle économique», de «produit», de «marché», d'«habitudes de consommation». On parlerait ainsi d'une vulgaire boîte de conserve dans un supermarché. Ne voit-on pas que des droits fondamentaux pour la démocratie sont en jeu ici: accès à l'information, liberté de presse et d'expression, 500 ans de civilisation de l'imprimé?
Quand on évoque les principes et les valeurs, on passe trop souvent pour des idéalistes peu soucieux de la réalité qui nous entoure. Pour bien des gens (y compris dans les milieux journalistiques), le discours des frères Desmarais et de leurs exécutants sur l'abandon de la presse écrite tient de l'évidence, et ne souffre pas d'être remis en question. Je prends pour exemple le texte de Pierre Duhamel dansL'actualité, mis en ligne ce matin (http://bit.ly/1W4I2Z7).
«Le modèle économique des quotidiens imprimés ne tient plus», écrit-il sans nuances. Selon qui? Pourquoi? Pourrait-on corriger le tir? Sais pas… Le jugement est rendu et sans appel. «Le marché publicitaire a changé et abandonné les médias traditionnels», et «les (pas des…) jeunes lecteurs ont déjà adopté de nouveaux modes de lecture et de nouvelles habitudes de consommation de l'information». Le marché publicitaire a abandonné? Vraiment, À quel point? Pourquoi? Peut-on renverser la vapeur? Sais pas… Le jugement est rendu et sans appel. Et ces jeunes lecteurs? Ont-ils vraiment largué l'imprimé autant que l'on semble le croire? Lisent-ils moins? Pourquoi? Que peut-on faire, à l'école ou ailleurs, pour encourager la lecture? Sais pas… On n'en discute pas. Le jugement est rendu et sans appel.
Le fait est qu'on laisse présentement agir, sans trop les questionner sur le fond, des barons d'industrie plus soucieux d'engranger des fortunes que d'informer la population. Le jour où, pour de bon, on laissera «le marché» décider du bien-fondé de nous offrir ou pas des «produits» d'information, notre démocratie mourra. Certains jours, on la voit déjà moribonde. Les premiers à monter aux barricades pour sauver l'imprimé, pour sauvegarder l'accès à l'information, pour stimuler le débat sur l'avenir de la presse devraient être les artisans des journaux. Mais un morne silence émane des salles de rédaction…
Pendant qu'ailleurs sur notre petite planète, des journalistes et photographes sont tués ou emprisonnés ou persécutés pour tenter d'obtenir des droits qui sont ici reconnus dans nos constitutions, nos propres scribes et preneurs de photos - ici au Québec - et leurs organisations, syndicales et professionnelles, (je vais bien choisir mes mots ici…) manquent nettement de vigueur. Hier, après l'annonce de l'abandon en semaine de La Presse papier, j'attendais une réaction rapide et vigoureuse des syndicats CSN et de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
La réaction syndicale est venue en fin d'après-midi et, tout en insistant sur les priorités d'une information de qualité, ne remet pas en question les fondements du branle-bas qui menace l'avenir de la presse écrite. Quant à la FPJQ, qui aurait dû être prête pour cette annonce, prévue depuis près de deux ans, elle ne s'est toujours pas manifestée au moment d'écrire ces lignes (le lendemain matin). Elle aurait pu, tout au moins, affirmer son intention de fouiller l'affaire et de suivre à la trace l'évolution du dossier pour protéger les intérêts des journalistes et le droit du public à l'information. Non, rien…
À force de lutter pour sauver les emplois qui resteront quand les proprios auront décidé de l'importance de leur marge de profit, les employés des salles de rédaction semblent avoir renoncé - sauf exception - aux grands débats de principes et de valeurs sur la place publique. Ou, pire, accepté comme des évidences les prémisses des plans de match de Power Corp et de Gesca.
Heureusement, les six quotidiens ex-Gesca semblent avoir échappé pour le moment à la peine de mort prononcée par André Desmarais en mai 2014. La direction de Capitales Médias, ainsi que celles du Devoir et des journaux de Québecor, continuent d'affirmer leur confiance en l'avenir de l'imprimé tout en entreprenant leurs stratégies numériques. Mais un jour, les salles de rédaction de ces journaux risquent d'être confrontés au scénario actuel de La Presse…
Se taire aujourd'hui, n'est-ce pas se condamner au silence demain?