dimanche 29 décembre 2019
Les jeunes et le bilinguisme. Les carottes sont cuites.
«Les carottes sont cuites.» Voilà l'avertissement codé transmis à la population québécoise et franco-canadienne par Martin Turcotte, chercheur principal au Centre de la statistique ethnoculturelle, langue et immigration de Statistique Canada, dans son étude récente (publiée en octobre 2019) intitulée «Résultats du Recensement de 2016: le bilinguisme français-anglais chez les enfants et les jeunes au Canada» (bit.ly/2Zy1fuI).
Un peu comme ces messages cryptés du second conflit mondial, permettant à la résistance française de communiquer des renseignements sans être compris de l'ennemi, des chercheurs francophones de l'agence fédérale Statistique Canada lancent parfois des appels urgents de détresse sous le couvert de rapports rédigés dans le langage officiel et peu inspirant de la bureaucrate canadienne.
Le font-ils sciemment ou intuitivement? Je n'en sais rien. Ce dont j'ai toujours été convaincu, cependant, c'est qu'au fond de chaque Québécois, chaque Canadien français, chaque Acadien - même les plus dociles - sommeillent les braises encore chaudes de la résistance.
Sous prétexte de brosser un tableau global de l'évolution du «bilinguisme français-anglais» chez les jeunes au Canada tout entier, le statisticien fédéral présente en détails précis et dramatiques la progression fulgurante de l'anglais au Québec, ainsi que la stagnation ou le déclin du français dans les autres provinces canadiennes. À moins d'agir promptement, d'ici une vingtaine ou une trentaine d'années, les Québecois francophones seront majoritairement bilingues et le reste du Canada (sauf l'Acadie du Nouveau-Brunswick et quelques pochettes franco-ontariennes), essentiellement unilingue anglais.
Le langage employé par Martin Turcotte n'éveillera aucun soupçon chez les Anglo-Canadiens, même chez ceux qu'il côtoie à Statistique Canada. Ils y verront probablement une étude de plus sur le bilinguisme français-anglais par un statisticien de langue française qui s'amuse à jongler savamment avec des colonnes et des colonnes de chiffres extirpées des recensements canadiens... Une étude qu'à peu près personne ne lira (surtout pas la faune médiatique) et qui occupera une des nombreuses tablettes empoussiérées dans les méandres des archives de StatCan... Mais pour ceux et celles qui, chez nous, se donneront la peine de décortiquer ce document de 17 pages, il y a beaucoup, beaucoup plus.
Ce qu'il faut surtout comprendre, c'est que l'un des nôtres, bien terré au sein de l'appareil fédéral anglo-canadien, vient de lancer une bouteille à la mer en espérant sans doute que son SOS tombe entre bonnes mains. Sinon, si on continue de voir nos jeunes générations s'angliciser dans la plus totale indifférence, il ne nous restera plus beaucoup de temps comme nation. Les chiffres sont on ne peut plus clairs. Dans 15 ans, 20 ans, il sera trop tard. «Les carottes seront cuites!»
Voici quelques chiffres contenus dans cette étude:
* Au recensement de 2006, 28,3% des jeunes Québécois de 5 à 17 ans étaient bilingues (français-anglais). Au recensement de 2016, cette cohorte de jeunes (maintenant âgée de 15 à 27 ans) est bilingue à 66% ! Ça en dit long sur l'importance de l'anglais, langue de travail, même au Québec.
* Au Québec, 55% des jeunes de 5 à 17 ans qui étaient unilingues en 2006 faisaient partie des bilingues en 2016. C'était à peine 7% dans les autres provinces. Vous voyez la tendance?
* Dans le reste du Canada, les jeunes sont les plus bilingues - un peu plus de 15% - à l'âge scolaire (10 à 19 ans) et le français acquis commence à se perdre dès que cette génération intègre le marché du travail. En passant, ces chiffres incluent les Canadiens français et les Acadiens...
* Au Canada hors-Québec, 35% des jeunes qui étaient bilingues en 2006 ne l'étaient plus en 2016 (et croyez moi, ce n'est pas l'anglais qu'ils ont perdu), tandis qu'au Québec 94% des jeunes bilingues de 2006 l'étaient toujours dix ans plus tard... Au Québec, quand on acquiert l'anglais, c'est pour de bon...
* L'étude donne peu de détails sur les francophones hors Québec mais mentionne que le taux de persévérance du bilinguisme, au Canada sans le Québec, est le plus faible chez les 14 à 17 ans, ainsi que chez ceux ayant l'anglais ou une autre langue que le français ou l'anglais comme langue maternelle. On ne traite pas du tout de la question de l'assimilation des francophones.
* Le taux de bilinguisme global au Québec est passé de 25,5% en 1961 à 44,5% en 2016 et dépassera les 50% d'ici une dizaine d'années. Le Québec est de loin le territoire le plus «bilingue» du pays. Ailleurs au Canada, la proportion de bilingues a augmenté de 6,9% en 161 à 9,8% en 2016 et on est désormais dans une ère de stagnation, voire de recul...
* Projection pour 2036? «Un écart croissant entre le taux de bilinguisme au Québec et le taux de bilinguisme hors Québec». On ne fait pas de projection pour la proportion de francophones dans l'ensemble du Canada, mais elle aura sans doute chuté sous la barre des 20%... L'accélération du début de la fin, et ça va être laid...
Merci M. Turcotte, je crois avoir décrypté votre message, mais je crains que la majorité de mes compatriotes ne réagissent avec la plus grande indifférence. Quand j'écoute les gens autour de moi, dans la rue, à la radio, à la télé ou sur Internet, je constate la dégradation rapide du français parlé. Quand je regarde les médias sociaux, la médiocrité du français écrit crève les yeux. Je vois et j'entends dans la vraie vie ce que vous décrivez avec vos savantes colonnes de chiffres...
Dans quelques générations, sur le plan linguistique et culturel, le modèle «Team Canada» (bit.ly/2Sxe07o) viendra achever ce qui reste...
Où en sont les braises de la résistance?
mardi 10 décembre 2019
Langues officielles: le silence coupable du discours du Trône
Le 5 décembre, le premier discours du Trône ne faisait aucune mention des enjeux liés aux langues officielles. La presse écrite, y compris Le Droit, n'a pas relevé cette absence. La Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA) a publié un communiqué de protestation. Nouveau silence de la presse écrite. Seuls le réseau ontarien de Radio-Canada et le site Web de TFO (télévision franco-ontarienne) en ont parlé... C'est décourageant...
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Si jamais les collectivités canadiennes-françaises et acadiennes hors-Québec voulaient la preuve d'être trop souvent laissées pour compte sur l'échiquier du gouvernement canadien (autre qu'en période électorale ou comme pions pour contrer les velléités souverainistes québécoises), elles l'ont eue le 5 décembre 2019.
Après une année pourtant fort mouvementée - des frasques ontariennes de Doug Ford aux controverses entourant les sorties de Denise Bombardier, en passant par la nomination d'une lieutenant-gouverneur unilingue anglais au Nouveau-Brunswick et un débat de plus en plus pressant sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles (qui a 50 ans en 2019) - le premier discours du Trône du gouvernement Trudeau n'a même pas effleuré les dossiers linguistiques...
Pas un mot! À moins de considérer que l'inclusion de l'expression «minorités linguistiques» - sans plus - dans une énumération contenant aussi les femmes, les minorités visibles, les personnes handicapées et les membres des communautés LGBTQ2 constitue une mention traduisant un réel intérêt pour la promotion de la seule langue officielle qui en arrache au Canada - le français.
Le gouvernement Trudeau a réussi dans son discours inaugural à se dire au service de tous les citoyens quelles que soient «leurs langues»... Ici, le français, l'une des deux langues officielles du pays, est relégué au même palier que le chinois, l'arabe, l'ukrainien, l'allemand ou le magyar... Le discours du Trône évoque par ailleurs la protection des langues autochtones, mais ne dit rien du français langue officielle qui décline d'un océan à l'autre, de recensement en recensement...
Les Québécois ont en mains un coffre d'outils (même s'il est parfois rouillé...) avec lequel ils peuvent façonner, protéger et promouvoir un État de langue française. Aussi les engagements linguistiques fédéraux y passent-ils souvent au second plan, et c'est malheureux. Pour les organisations francophones du reste du Canada, c'est une tout autre histoire. Ayant souvent eu maille à partir avec les capitales provinciales, ainsi que des relations douces-amères avec Québec, c'est vers Ottawa qu'elles se sont tournées depuis un demi-siècle pour solliciter fonds et appuis.
Bien des choses ont changé depuis l'adoption de la Loi fédérale sur les langues officielles en 1969, cependant. Avec la Loi constitutionnelle de 1982 et l'interprétation inattendue de l'article 23 par la Cour suprême du Canada, les collectivités de langue française en situation minoritaire ont obtenu la gouvernance de leurs institutions scolaires. Et Ottawa a injecté des centaines de millions pour soutenir l'infrastructure organisationnelle de la francophonie hors-Québec, conscient de son importance stratégique dans l'argumentaire contre le mouvement indépendantiste québécois.
Mais depuis les années 1970, et particulièrement depuis l'imposition de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, l'ancien biculturalisme - jadis fidèle compagnon du bilinguisme - a été largué en faveur d'un multiculturalisme officiel, consacré à l'article 27 de la Charte. Et ces dernières années, avec la perception que le mouvement indépendantiste est en chute, l'intérêt d'Ottawa pour l'égalité pan-canadienne du français et de l'anglais semble nettement s'affadir.
Faisant face à un sérieux déclin de leurs effectifs, déclin qu'on tente tant bien que mal de maquiller en tripotant les statistiques des recensements, les organisations de la francophonie minoritaire ont toujours les yeux et les oreilles tendus en direction d'Ottawa. Toute déclaration, tout discours, tout budget est scruté à la loupe quand les langues officielles peuvent en devenir l'enjeu. À plus forte raison le premier discours du Trône après une campagne électorale comme celle de 2019. La plus légère secousse politique ou budgétaire, à peine perçue au Québec, devient souvent un séisme de forte magnitude à la FCFA et dans ses organisations affiliées.
Cette fois, les espoirs étaient grands. À peu près tout ce qui bouge, y compris les libéraux, avait promis de moderniser la Loi sur les langues officielles et de lui donner un peu plus de mordant. Cela ne paraissait pas très ambitieux. En mars 2015, la présidente sortante de la FCFA, Marie-France Kenney, affirmait devant les parlementaires fédéraux que la Loi sur les langues officielles (LLO) «est la loi la moins bien appliquée du pays, et ça fait que 45 ans que ça dure...» Après les vifs débats de la dernière année, on aurait été en droit de s'attendre qu'Ottawa réitère tout au moins ses promesses.
Même pas... Et pourtant, quelques semaines plus tôt, la ministre québécoise responsable de la francophonie canadienne, Sonia Lebel, annonçait l'intention de son gouvernement de demander une modification fondamentale à la LLO, en mettant fin à cette fiction que la minorité anglo-québécoise est le miroir des minorités canadiennes-françaises et acadiennes à l'extérieur du Québec. Les anglos québécois n'ont jamais été une vraie minorité. Ils sont une extension au Québec de la majorité anglo-canadienne.
Mme Lebel crie dans le désert. Jamais un gouvernement fédéral ne consentira à mettre fin au mythe d'une symétrie quasi parfaite entre les minorités francophones du Canada et la collectivité anglophone du Québec. Jamais il n'avouera que le Commissaire fédéral aux langues officielles passe l'essentiel de son temps à défendre une seule de ces langues, toujours la même... le français, d'un océan à l'autre et même au Québec.
Le quotidien Le Nouvelliste avait noté à la fin de novembre que le ministre François-Philippe Champagne, à qui Justin Trudeau a confié les dossiers de la francophonie internationale, n'en avait pas le titre. Il n'y a plus de ministre de la Francophonie. C'était sans doute un présage de ce que l'on devait attendre du discours du Trône. Une poursuite du déclin du gouvernement canadien pour ce qu'on appelle bien mal le «bilinguisme» officiel. Quand la proportion de francophones chutera sous la barre des 20% dans l'ensemble du pays, d'ici un ou deux recensements, cette tendance deviendra de plus en plus évidente.
Mme Kenney avait fait de sombres prévisions en 2015, prévisions qui contredisent les discours des «lunettes roses» qui persistent à maquiller la réalité franco-canadienne. «À plusieurs endroits, disait l'ancienne présidente de la FCFA, ce n'est qu'une question de temps avant que nos communautés tombent en dessous du seuil requis pour recevoir des services et des communications en français des bureaux fédéraux. Et quand notre poids relatif sera tombé encore plus bas, que remettra-t-on en question à ce moment? Nos écoles de langue française?»
Le silence du gouvernement Trudeau en matière de langues officielles est alarmant. Les organisations de la francophonie hors-Québec ont raison de protester sur la place publique. Elles auraient aussi raison de se plaindre de l'indifférence générale de la plupart des grands médias, tant français qu'anglais, à l'égard de ces dossiers. Il y a là-dedans une tendance lourde qui menace la situation de la francophonie partout au Canada, y compris au Québec.
Si le gouvernement québécois se donnait la peine de bien étudier et analyser ce qui se passe chez les Canadiens français et les Acadiens, il n'hésiterait pas une seconde à redonner à la Loi 101 tout le mordant qu'elle a perdu depuis son adoption en 1977, et à utiliser tous les leviers disponibles pour renforcer son alliance avec les collectivités de langue française ailleurs au pays.
Sauf de rares exceptions, les francophones hors-Québec ont eu peu d'influence, peu de poids sur l'échiquier politique pan-canadien. Et ils doivent désormais faire face à une Cour suprême qui leur est de plus en plus indifférente, voire hostile. Le silence du discours du Trône n'est pas un hasard.
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photo du gouvernement du Canada
Si jamais les collectivités canadiennes-françaises et acadiennes hors-Québec voulaient la preuve d'être trop souvent laissées pour compte sur l'échiquier du gouvernement canadien (autre qu'en période électorale ou comme pions pour contrer les velléités souverainistes québécoises), elles l'ont eue le 5 décembre 2019.
Après une année pourtant fort mouvementée - des frasques ontariennes de Doug Ford aux controverses entourant les sorties de Denise Bombardier, en passant par la nomination d'une lieutenant-gouverneur unilingue anglais au Nouveau-Brunswick et un débat de plus en plus pressant sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles (qui a 50 ans en 2019) - le premier discours du Trône du gouvernement Trudeau n'a même pas effleuré les dossiers linguistiques...
Pas un mot! À moins de considérer que l'inclusion de l'expression «minorités linguistiques» - sans plus - dans une énumération contenant aussi les femmes, les minorités visibles, les personnes handicapées et les membres des communautés LGBTQ2 constitue une mention traduisant un réel intérêt pour la promotion de la seule langue officielle qui en arrache au Canada - le français.
Le gouvernement Trudeau a réussi dans son discours inaugural à se dire au service de tous les citoyens quelles que soient «leurs langues»... Ici, le français, l'une des deux langues officielles du pays, est relégué au même palier que le chinois, l'arabe, l'ukrainien, l'allemand ou le magyar... Le discours du Trône évoque par ailleurs la protection des langues autochtones, mais ne dit rien du français langue officielle qui décline d'un océan à l'autre, de recensement en recensement...
Les Québécois ont en mains un coffre d'outils (même s'il est parfois rouillé...) avec lequel ils peuvent façonner, protéger et promouvoir un État de langue française. Aussi les engagements linguistiques fédéraux y passent-ils souvent au second plan, et c'est malheureux. Pour les organisations francophones du reste du Canada, c'est une tout autre histoire. Ayant souvent eu maille à partir avec les capitales provinciales, ainsi que des relations douces-amères avec Québec, c'est vers Ottawa qu'elles se sont tournées depuis un demi-siècle pour solliciter fonds et appuis.
Bien des choses ont changé depuis l'adoption de la Loi fédérale sur les langues officielles en 1969, cependant. Avec la Loi constitutionnelle de 1982 et l'interprétation inattendue de l'article 23 par la Cour suprême du Canada, les collectivités de langue française en situation minoritaire ont obtenu la gouvernance de leurs institutions scolaires. Et Ottawa a injecté des centaines de millions pour soutenir l'infrastructure organisationnelle de la francophonie hors-Québec, conscient de son importance stratégique dans l'argumentaire contre le mouvement indépendantiste québécois.
Mais depuis les années 1970, et particulièrement depuis l'imposition de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, l'ancien biculturalisme - jadis fidèle compagnon du bilinguisme - a été largué en faveur d'un multiculturalisme officiel, consacré à l'article 27 de la Charte. Et ces dernières années, avec la perception que le mouvement indépendantiste est en chute, l'intérêt d'Ottawa pour l'égalité pan-canadienne du français et de l'anglais semble nettement s'affadir.
Faisant face à un sérieux déclin de leurs effectifs, déclin qu'on tente tant bien que mal de maquiller en tripotant les statistiques des recensements, les organisations de la francophonie minoritaire ont toujours les yeux et les oreilles tendus en direction d'Ottawa. Toute déclaration, tout discours, tout budget est scruté à la loupe quand les langues officielles peuvent en devenir l'enjeu. À plus forte raison le premier discours du Trône après une campagne électorale comme celle de 2019. La plus légère secousse politique ou budgétaire, à peine perçue au Québec, devient souvent un séisme de forte magnitude à la FCFA et dans ses organisations affiliées.
Cette fois, les espoirs étaient grands. À peu près tout ce qui bouge, y compris les libéraux, avait promis de moderniser la Loi sur les langues officielles et de lui donner un peu plus de mordant. Cela ne paraissait pas très ambitieux. En mars 2015, la présidente sortante de la FCFA, Marie-France Kenney, affirmait devant les parlementaires fédéraux que la Loi sur les langues officielles (LLO) «est la loi la moins bien appliquée du pays, et ça fait que 45 ans que ça dure...» Après les vifs débats de la dernière année, on aurait été en droit de s'attendre qu'Ottawa réitère tout au moins ses promesses.
Même pas... Et pourtant, quelques semaines plus tôt, la ministre québécoise responsable de la francophonie canadienne, Sonia Lebel, annonçait l'intention de son gouvernement de demander une modification fondamentale à la LLO, en mettant fin à cette fiction que la minorité anglo-québécoise est le miroir des minorités canadiennes-françaises et acadiennes à l'extérieur du Québec. Les anglos québécois n'ont jamais été une vraie minorité. Ils sont une extension au Québec de la majorité anglo-canadienne.
Mme Lebel crie dans le désert. Jamais un gouvernement fédéral ne consentira à mettre fin au mythe d'une symétrie quasi parfaite entre les minorités francophones du Canada et la collectivité anglophone du Québec. Jamais il n'avouera que le Commissaire fédéral aux langues officielles passe l'essentiel de son temps à défendre une seule de ces langues, toujours la même... le français, d'un océan à l'autre et même au Québec.
Le quotidien Le Nouvelliste avait noté à la fin de novembre que le ministre François-Philippe Champagne, à qui Justin Trudeau a confié les dossiers de la francophonie internationale, n'en avait pas le titre. Il n'y a plus de ministre de la Francophonie. C'était sans doute un présage de ce que l'on devait attendre du discours du Trône. Une poursuite du déclin du gouvernement canadien pour ce qu'on appelle bien mal le «bilinguisme» officiel. Quand la proportion de francophones chutera sous la barre des 20% dans l'ensemble du pays, d'ici un ou deux recensements, cette tendance deviendra de plus en plus évidente.
Mme Kenney avait fait de sombres prévisions en 2015, prévisions qui contredisent les discours des «lunettes roses» qui persistent à maquiller la réalité franco-canadienne. «À plusieurs endroits, disait l'ancienne présidente de la FCFA, ce n'est qu'une question de temps avant que nos communautés tombent en dessous du seuil requis pour recevoir des services et des communications en français des bureaux fédéraux. Et quand notre poids relatif sera tombé encore plus bas, que remettra-t-on en question à ce moment? Nos écoles de langue française?»
Le silence du gouvernement Trudeau en matière de langues officielles est alarmant. Les organisations de la francophonie hors-Québec ont raison de protester sur la place publique. Elles auraient aussi raison de se plaindre de l'indifférence générale de la plupart des grands médias, tant français qu'anglais, à l'égard de ces dossiers. Il y a là-dedans une tendance lourde qui menace la situation de la francophonie partout au Canada, y compris au Québec.
Si le gouvernement québécois se donnait la peine de bien étudier et analyser ce qui se passe chez les Canadiens français et les Acadiens, il n'hésiterait pas une seconde à redonner à la Loi 101 tout le mordant qu'elle a perdu depuis son adoption en 1977, et à utiliser tous les leviers disponibles pour renforcer son alliance avec les collectivités de langue française ailleurs au pays.
Sauf de rares exceptions, les francophones hors-Québec ont eu peu d'influence, peu de poids sur l'échiquier politique pan-canadien. Et ils doivent désormais faire face à une Cour suprême qui leur est de plus en plus indifférente, voire hostile. Le silence du discours du Trône n'est pas un hasard.
dimanche 1 décembre 2019
La Loi 21, un acte de rébellion!
caricature de Bado dans le quotidien Le Droit
Le débat sur la contestation judiciaire de la Loi 21 et la laïcité de l'État est de nouveau en train de dérailler. Tous les feux sont dirigés vers la juge en chef de la Cour d'appel du Québec, Nicole Duval Hesler, comme si sa présence ou son désistement pouvaient être déterminants dans la décision de suspendre ou pas l'application de ladite Loi 21.
Si elle en vient à avouer un préjugé anti-laïcité et se retire de la cause, rien n'est acquis. Le ou les juges qui la remplaceront pourraient aussi bien arriver aux mêmes conclusions que la juge Duval Hesler. De fait, il y a une forte probabilité qu'ils le fassent. Pourquoi?
D'abord parce que tous les juges des cours supérieures sont nommés par le gouvernement fédéral seul, voire par le premier ministre seul. Les dés sont pipés. Cela ne garantit pas toujours une issue défavorable dans un conflit avec Ottawa, mais disons que le Québec rame à contre-courant.
Cette fois, cependant, à moins d'un miracle judiciaire, les tribunaux fédéraux vont casser la Loi 21 parce qu'ils n'ont pas le choix. La proclamation de la laïcité de l'État au Québec constitue une véritable rébellion contre la Charte constitutionnelle de 1982 et même, quoiqu'à un moindre degré, contre la Loi constitutionnelle de 1867.
La Loi 21 stipule à l'article premier que «l'État du Québec est laïque» et affirme à l'article 2 «la séparation de l'État et des religions». Toutes les autres dispositions de la Loi, y compris bien sûr celles sur l'interdiction du port de signes religieux, découlent de ces deux principes. Ces deux articles constituent un rejet clair d'éléments fondamentaux des lois constitutionnelles du Canada.
L'Acte de l'Amérique du Nord britannique (la Loi constitutionnelle de 1867] confirme la reine (ou le roi) de Grande-Bretagne comme chef de l'État canadien. Or Elizabeth Windsor, comme son arrière grand-mère Victoria qui régnait à l'époque de la Confédération, se trouve à cumuler la charge de monarque et celle de chef de l'Église anglicane. Elle est sans conteste un chef religieux.
Un État laïque ne peut accepter de se reconnaître dans une monarchie identifiée à une Église particulière, monarchie dont le trône est d'ailleurs interdit aux catholiques, la religion la plus répandue au Québec. La laïcité entraînera donc, nécessairement, un rejet du chef d'État reconnu par la constitution canadienne.
Secundo, l'affirmation de la laïcité du Québec contredit l'article 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, celle qu'on nous a imposée et que nous n'avons jamais signée. Cette loi affirme dans son préambule que «le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu». Cela suffit pour rendre toute velléité de laïcité étatique inconstitutionnelle aux yeux de la Charte fédérale.
Et au cas où cela ne suffirait pas, l'article 27 de la Charte de 1982 stipule que toute interprétation de ladite Charte «doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens». L'interdiction des signes religieux pour certains agents de l'État impose des limites à certains excès d'un multiculturalisme débridé. On ne pourra jamais argumenter qu'il en favorise le maintien ou la promotion.
Le coup d'État du Canada anglais en 1982 comporte des clauses qui mettent en péril l'essence même du fédéralisme en affirmant la supériorité juridique de la constitution fédérale sur les lois des autres États membres de la fédération. À l'article 50 de la Charte canadienne, il est dit que «la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada», qu'elle «rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit». À l'article 32, on affirme clairement que la constitution fédérale s'applique aux législatures provinciales. Cela, Québec ne l'a jamais accepté. Aucune province ne devrait le faire.
Le droit se se soustraire à la Charte est accordé aux provinces pour certains articles de la Constitution, mais pas tous. Si j'ai bien compris le texte constitutionnel, l'article sur la promotion du multiculturalisme, par exemple, pourrait être invoqué pour saper le pouvoir de dérogation...
De fait, ce que le gouvernement Legault doit affirmer, c'est que la Loi constitutionnelle de 1982 elle-même est inconstitutionnelle. Parce qu'elle infériorise les États provinciaux par rapport à l'autorité fédérale, ce qui contredit l'essence même du principe fédéral dont le pays se réclame. Parce qu'elle abuse du pouvoir de la majorité anglo-canadienne pour imposer ses valeurs et son projet de société à une nation québécoise minoritaire issue de traditions linguistiques, culturelles et juridiques françaises.
La Loi 21 est un acte de rébellion nationale. Sa légitimité tient à la fois à la noblesse de la cause de la laïcité et à la nature profondément démocratique (et respectueuse) du processus qui a mené à son adoption par l'Assemblée nationale du Québec. Inconstitutionnelle? Bien sûr! C'est une dénonciation d'éléments clés des lois constitutionnelles de 1867 et de 1982. Une dénonciation justifiée!
Dans cette cause, les vrais fédéralistes sont à Québec. Les Anglo-Canadiens n'ont jamais cru au fédéralisme. De fait ils n'y comprennent pas grand-chose. Leur gouvernement national est à Ottawa et ils y consentiront toujours une plus grande centralisation des pouvoirs. C'est au fond ce que la Charte de 1982 cherche à imposer au Québec. Et là, on vient de dire Non!
Cette affaire risque de devenir l'une des plus importantes crises du pays. Plus que le référendum de 1995? On verra...
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N.B. Je ne suis pas juriste. Peut-être n'ai-je rien compris au sens profond des textes de loi constitutionnels. Des juristes viendront sûrement m'éclairer...
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