mercredi 22 janvier 2025

«Une réalité du passé et de l'histoire»...

Numérisation des pp. 2 et 3 de l'édition Été 2024 de «Missionnaires ensemble»

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À sa mort en juillet 2023, ma mère m'a laissé sa collection de 12 années (1941-1953) du petit bulletin Contact, publié par les pères Capucins de la paroisse Saint-François d'Assise, à Ottawa. Au-delà des sermons religieux, le fascicule périodique de 4 à 8 pages constitue un trésor d'information sur une époque révolue où, dans mon petit coin franco-ontarien comme un peu partout au Québec, le catholicisme était omniprésent.

À côté de la majestueuse église à deux clochers située sur la «grand-rue» de la capitale fédérale, les Capucins avaient érigé un collège séraphique où étudiaient une centaine de candidats à la prêtrise, la plupart québécois. À cause du nombre élevé de vocations, plusieurs religieux étaient disponibles pour les campagnes d'évangélisation auprès des «païens» et «infidèles» vivant dans des terres lointaines. Aussi d'année en année, dans les années 40 et 50, Contact annonçait le départ de prêtres d'ici pour les missions catholiques en Inde.

Le sort aura voulu qu'en 2022, lors d'une tournée du Saguenay et du Lac Saint-Jean, je m'arrête à L'ermitage de Lac-Bouchette, une oasis spirituelle des Capucins devenue attraction touristique. Nous n'y avons vu qu'un seul père Capucin, originaire du sud de... l'Inde. La plupart des prêtres d'ici qui restent (et ils se sont rares) sont vieux, parfois malades, et les nouvelles vocations arrivent des missions que les générations précédentes de religieux avaient fondées et entretenues ailleurs dans le monde, notamment en Inde.

Dans le magazine Missionnaires ensemble, en 2024, un frère capucin de l'Inde, Sibin Balu, devenu «missionnaire» au Québec (tout un revirement depuis 1950), a livré un témoignage révélateur sur son expérience québécoise: «J'avais beaucoup d'attentes par rapport à la vie chrétienne dans un pays catholique, écrit-il. Mais les premiers mois de ma vie ici m'ont appris que l'attribut "catholique" faisait référence à une réalité du passé et de l'histoire.

«Pour quelqu'un comme moi qui venait d'un environnement où les églises étaient presque remplies même dans les jours ordinaires, il était littéralement choquant de célébrer la messe sans chorale, parfois même sans servants de messe, en outre de voir les églises avec beaucoup de sièges vides le dimanche.»

Ce prêtre de l'Inde avait compris en quelques mois ce que, sur nos perchoirs idéologiques, les «savants» débats au sujet de la «catho-laïcité» peinent à décortiquer. Que l'influence du catholicisme sur la société québécoise est désormais marginale, et que toute autre perception repose essentiellement sur la présence d'églises et de monuments et objets religieux, ainsi que des quelque cinq cents villes et villages portant le nom de saints de la religion catholique.

Les églises paroissiales agonisent, les curés qui prennent la relève viennent d'Afrique ou de Haïti, à peu près personne ne récite des prières quotidiennement, les communiants se font rares, les monastères et couvents qui ont survécu sont devenus des CHSLD pour personnes âgées, etc. Le paysage catholique québécois témoigne de ce que nous fûmes jadis. De notre histoire comme peuple. C'est un héritage à chérir, ayant désormais peu à voir avec la foi ou la pratique religieuse. 

On a beau apercevoir 100 clochers catholiques (ou plus) dans la métropole, on cherchera comme une aiguille dans une botte de foin les Montréalais issus de l'ancienne culture catholique qui arborent toujours un signe religieux ostentatoire. Les mosquées, synagogues et lieux de culte sikhs sont bien plus rares mais il arrive régulièrement de croiser une femme musulmane voilée, un Juif hassidique en tenue traditionnelle ou un Sikh portant turban. Voilà toute la différence!

Et ce prêtre capucin venu de l'Inde l'a compris en quelques mois. Alors fichez-nous la paix avec votre catho-laïcité sauce québécoise. Ce que nous faisons s'appelle laïcité tout court. Et nous n'avons par besoin de changer le nom du village L'Ascension de Notre-Seigneur ou du Lac Saint-Jean pour le prouver. Nous n'effacerons pas notre passé et notre identité pour calmer les saintes nitouches d'un multiculturalisme maladif...

De la revue Contact, 1951

De la revue Contact, 1950



jeudi 16 janvier 2025

Un an déjà! Je m'ennuie du papier!


En haut, l'édition du 24 mars 2020. En bas, celle du 30 décembre 2023.


Permettez-moi un bref retour sur les derniers jours de ce premier quart du 21e siècle... Le lundi 30 décembre 2024, cela faisait déjà une année, très exactement, que j'avais pu cueillir à ma porte le tout dernier exemplaire papier du journal qui avait marqué depuis plus d'un demi-siècle ma vie professionnelle et personnelle: Le Droit.

Le 24 mars 2020, pandémie de COVID-19 aidant, l'ancien quotidien de l'Outaouais et de l'Est ontarien avait cessé de publier son édition papier sur semaine, mais poursuivi l'impression d'un hebdo magazine le samedi. Sous un titre insultant et trompeur, MERCI ET À DEMAIN!, l'ultime offrande papier hebdomadaire a été livrée le samedi 30 décembre 2023 aux kiosques et au domicile des abonnés restants.

L'édition quotidienne numérique, qui avait survécu à la pandémie, a subi le même sort que l'imprimé le 18 avril 2023. Ne reste désormais que ce labyrinthe-babillard Internet où Le Droit épingle en temps réel des textes d'actualité et des chroniques provenant de son équipe amincie de journalistes et collaborateurs, ou transmis par les autres sites Web des Coops de l'information et les agences de presse.*

Il serait fort intéressant de connaître les chiffres réels de l'abonnement au site Web Le Droit en 2025, et de les comparer à ceux de la clientèle du journal imprimé avant que le passage au format tabloïd en 1988 ne vienne amorcer un cercle vicieux qui devait faire du produit une proie facile pour l'Internet et ses dérivés après l'an 2000. En mars 1986, alors que Le Droit était toujours un journal d'après-midi (le dernier au Québec), plus de 55% des foyers francophones d'Aylmer, Hull et Gatineau y étaient abonnés. On vendait en kiosque et on livrait à domicile tous les jours entre 45 000 et 50 000 exemplaires! 

S'ennuiera-t-on du papier un jour?

En ce début de 2025, les kiosques à journaux de mon patelin (Gatineau, 300 000 habitants, 4e ville du Québec) ne proposent à la clientèle francophone que deux quotidiens régionaux... de langue anglaise: l'Ottawa Citizen et l'Ottawa Sun. Pour acheter un journal imprimé en français, il faut se procurer Le Devoir ou le Journal de Montréal... Qualifier cette situation de scandaleuse serait un euphémisme!

Si encore on pouvait croire que les directions des quotidiens qui ont largué le papier l'avaient fait à contrecoeur, on aurait pu entreprendre un débat potentiellement fructueux. Mais non. Les autruches aux commandes ont couru droit vers le précipice numérique et sauté sans parachute... Plus question de fabriquer des journaux papier pour les vieux «nostalgiques». Marie-Claude Lortie, rédactrice en chef du Droit (une ancienne de La Presse), affirmait en ondes à Radio-Canada que les quotidiens imprimés ne servaient guère qu'à «allumer les feux de cheminée» ou tapisser «les litières de chats»...**

«On ne pense plus papier, c'est fini le papier depuis longtemps», avait-elle ajouté. Et on n'allait surtout pas s'ennuyer de l'imprimé... Au-delà de ces inepties, Mme Lortie fait ressortir le silence assourdissant des tribus journalistiques, la FPJQ en tête, en matière d'abandon des éditions papier de sept quotidiens québécois! À aucun congrès de la fédération professionnelle des journalistes n'a-t-on consacré ne serait-ce qu'un atelier de réflexion à l'importance de conserver et promouvoir les journaux imprimés dans cette ère où le numérique est devenu et restera incontournable.

Quand le mouvement vers l'abandon du papier par la presse écrite s'est accéléré dans la décennie 2010, certains prédisaient un sort similaire à l'industrie du livre. Or, en 2024, selon Le Devoir, les ventes de livres numériques plafonnent entre 7 et 10% de la production. Le public lecteur, même jeune, préfère l'expérience sensorielle, voire sensuelle, du livre imprimé. Le livre papier, comme jadis (et toujours) la presse papier, inspire confiance. «Ce qui est imprimé n'est pas fait pour les machines, mais pour l'humain», écrit Miguel Tremblay dans le plus récent numéro de la revue Liberté. Le troupeau journalistique québécois ne semble pas avoir compris que le bon vieux quotidien imprimé offre au lectorat un produit d'information unique que les écrans de téléphones et de tablettes, si perfectionnés soient-ils, ne peuvent espérer concurrencer.

Le journal qui aboutissait sur mon perron jusqu'à mars 2020 avait une existence physique. Pas besoin de réseau wi-fi ou d'abonnement Internet pour visionner un minuscule écran où l'on doit constamment faire défiler les textes et images vers le bas, en recommençant à chaque nouvelle page jusqu'à épuisement de l'index ou du majeur. On tenait le journal papier tout entier dans ses mains et si on le mettait de côté, on le retrouvait comme on l'avait laissé, sans qu'un inconnu n'ait tripoté des paragraphes ou des photos. L'ancien Droit présentait, en sections thématiques, un résumé quotidien de l'actualité politique, économique, sociale, sportive, artistique, etc. Il était plus facile à lire, on pouvait le toucher, le découper, le conserver, le recycler et, oui, même s'en servir pour allumer des feux de foyer ou tapisser la litière du chat...

Dans la ruée aveugle vers le numérique, on a oublié - même dans les milieux médiatiques - de s'interroger sur l'importance fondamentale du journal papier. Le résultat? La jungle de l'Internet. Une fragmentation inimaginable des sources d'information. La quasi-impossibilité, pour le grand public, de cibler avec certitude l'information fiable dans un univers de fake news. Une perte de confiance du lectorat, qui ira s'accélérant. Un public de plus en plus mal informé. Un terreau de plus en plus fertile pour la propagande. Une montée exaspérante des extrême-droites face aux go-gauches wokistes... Une perte des repères. Le règne des Trump, Musk, Zukerberg, Bezos...

Réponse au chroniqueur du Droit: «Oui, je m'ennuie du papier»! Et pour des motifs qui n'ont rien à voir avec le fait que je sois vieux...

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* Lien au texte Le supplice des mille coupures... https://lettresdufront1.blogspot.com/2023/12/le-supplice-des-1000-coupures.html

** Lien au textLe Droit papier: bon pour les feux de cheminée et les litières de chat? https://lettresdufront1.blogspot.com/2023/12/le-droit-papier-bon-pour-les-feux-de.html

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Vu sur Facebook en janvier 2025:



lundi 6 janvier 2025

Le temps d'un soir Radio-Canada devient Radio-Québec...

La publicité Bye Bye de Coca-Cola, hommage au Petit Roi de Jean-Pierre Ferland

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Mardi soir, 31 décembre 2024, vers 22 h... Mon épouse et moi quittons le domicile de mon frère à Gatineau pour rentrer à la maison, à cinq minutes en voiture, où nous poursuivrons l'écoute des émissions de fin d'année de Radio-Canada... En sortant de la ruelle d'accès à son bloc d'appartements, on arrive au boulevard Saint-René, une artère habituellement achalandée... Avant d'avancer, mieux vaut toujours jeter un coup d'oeil prudent à gauche et à droite... Mais surprise (ou pas?), aucune voiture en vue, aussi loin qu'on puisse voir!

Quand, le surlendemain, j'ai pris connaissance des cotes d'écoute préliminaires d'En direct du Jour de l'An, d'Infoman et du Bye Bye 2024, j'ai eu la confirmation de la justesse de mon pressentiment. Près de la moitié des Québécois (des francophones du moins) étaient agglutinés devant un téléviseur, branchés sur Radio-Canada pour assister à nos messes annuelles de la Veille du Jour de l'An.

Pensez-y! Au Québec, plus de trois millions de personnes ont vu en direct le Bye Bye... qui captait ainsi 91% de l'auditoire disponible! Des chiffres qui seront bonifiés avec les reprises télé et les visionnements Internet dans les jours suivants... Ce phénomène télévisuel assez unique doit faire baver les bonzes de la CBC, qui n'offre rien de tel au public anglo-canadien à la veille du Nouvel An et dont les cotes d'écoute laissent nettement à désirer.

Les commerçants, eux, ont fort bien saisi la portée de ces émissions spéciales de Radio-Canada. Les espaces publicitaires à 500 000 $ la demi-minute se sont envolés en quelques heures et plusieurs des annonceurs mijotent des pubs spéciales (clairement destinées au public québécois), au point où le contenu publicitaire est attendu presque autant que les émissions dans lesquelles il est diffusé. Le concours annuel des meilleurs publicités du Bye Bye attire un large public...

La publicité d'Air Canada, inspirée de La guerre des tuques

Même les entreprises pan-canadiennes, voire internationales, qui profitent de ces cotes d'écoute exceptionnelles mettent en ondes des messages publicitaires créés par et pour les Québécois. Songez à Air Canada, souvent critiquée pour ses services en français déficients, avec sa pub inspirée de La guerre des tuques, y compris la chanson tirée du film mythique, montrant un avion avec le titre Un air de chez nous... Ou Tim Hortons inventant un pipi-gate québécois parce que sa porte-parole Sarah-Anne Labrosse est arrêtée aux toilettes d'un Tim sans faire d'achat... Et que dire de Coca-Cola qui a rassemblé une brochette de vedettes québécoises de la chanson pour rendre un hommage émouvant au Petit Roi de Jean-Pierre Ferland...

Quant aux messages publicitaires en provenance du Québec, leur originalité et leur humour ciblent invariablement des environnements humains et physiques d'ici. Le petit chef-d'oeuvre de Mondou montrant un chien gagnant une course à obstacles parce qu'il a appris à manoeuvrer autour des cônes orange et clôtures des rues en réparation... Dans celle des Érables du Québec, un type suggère d'attendre que toute la tubulure d'une érablière pète avant de la réparer, citant ses 20 années d'expérience au service d'aqueduc municipal...  Sans oublier les sympathiques offrandes des producteurs de lait et de Metro, se déroulant autour de tablées typiques du temps des Fêtes...

La pub de Mondou, un clin d'oeil aux travaux routiers urbains...

Le contenu des émissions était lui-même enraciné dans le vécu québécois. L'En direct de France Beaudoin mettait en scène avec brio quatre personnalités artistiques et médiatiques du Québec, avec une présence surprise de plusieurs de leurs proches et amis, et en dépit de la présence irritante de musique anglaise, respirait le terroir du bassin du Saint-Laurent. Les émissions Infoman et Bye Bye, tout en ratissant beaucoup plus large, étaient aussi ancrées en terre québécoise. La valeur d'y participer n'échappe pas aux politiciens fédéraux qui savent se débrouiller en français. Le chef conservateur Pierre Poilievre, si prompt à dénoncer CBC, était tout sourire en déclarant que pour tout premier ministre canadien, une visite à Infoman restait incontournable.

La francophonie hors Québec, absente des heures de forte écoute la Veille du Jour de l'An, avait cependant sa propre offrande, Improtéine expose 2024, présentée à l'ouest du Québec (et en Outaouais) à 18 h, le 31 décembre, puis vers 1 h 30 pour le réseau complet dans la nuit du Jour de l'An après Les coulisses du Bye Bye. Faite avec peu de ressources, passée sous silence dans les textes médiatiques, l'émission de la troupe franco-ontarienne Improtéine propose un voyage pan-canadien un peu superficiel - faute de moyens j'imagine - mais réussit tout de même à traiter avec humour l'épisode «plein de marde» à Ottawa. Le périple se termine cependant au Québec, à Montréal, où l'équipe découvre que leur projet de fin d'année a été saboté par des membres de la CAHQAQ (Coalition des artistes hors Québec au Québec) qui veulent empêcher que d'autres francophones hors Québec viennent les concurrencer à la télé québécoise...

Le temps d'un soir, Radio-Canada était devenu un Radio-Québec rassembleur et personne - ni le public (au Québec et ailleurs), ni les commanditaires, ni les politiciens fédéraux - ne semblait s'en plaindre. Plusieurs ont critiqué les émissions, bien d'autres ont adoré, mais la nation québécoise était au rendez-vous. Nos rues désertes de la Veille du Jour de l'An en témoignent.