jeudi 16 janvier 2025

Un an déjà! Je m'ennuie du papier!

S'ennuiera-t-il un jour du journal et de son lectorat?

Permettez-moi un bref retour sur les derniers jours de ce premier quart du 21e siècle... Le lundi 30 décembre 2024, cela faisait déjà une année, très exactement, que j'avais pu cueillir à ma porte le tout dernier exemplaire papier du journal qui avait marqué depuis plus d'un demi-siècle ma vie professionnelle et personnelle: Le Droit.

Le 24 mars 2020, pandémie de COVID-19 aidant, l'ancien quotidien de l'Outaouais et de l'Est ontarien avait cessé de publier son édition papier sur semaine, mais poursuivi l'impression d'un hebdo magazine le samedi. Sous un titre insultant et trompeur, MERCI ET À DEMAIN!, l'ultime offrande papier hebdomadaire a été livrée le samedi 30 décembre 2023 aux kiosques et au domicile des abonnés restants.

L'édition quotidienne numérique, qui avait survécu à la pandémie, a subi le même sort que l'imprimé le 18 avril 2023. Ne reste désormais que ce labyrinthe-babillard Internet où Le Droit épingle en temps réel des textes d'actualité et des chroniques provenant de son équipe amincie de journalistes et collaborateurs, ou transmis par les autres sites Web des Coops de l'information et les agences de presse.*

Il serait fort intéressant de connaître les chiffres réels de l'abonnement au site Web Le Droit en 2025, et de les comparer à ceux de la clientèle du journal imprimé avant que le passage au format tabloïd en 1988 ne vienne amorcer un cercle vicieux qui devait faire du produit une proie facile pour l'Internet et ses dérivés après l'an 2000. En mars 1986, alors que Le Droit était toujours un journal d'après-midi (le dernier au Québec), plus de 55% des foyers francophones d'Aylmer, Hull et Gatineau y étaient abonnés. On vendait en kiosque et on livrait à domicile tous les jours entre 45 000 et 50 000 exemplaires! 


En haut, l'édition du 24 mars 2020. En bas, celle du 30 décembre 2023.

En ce début de 2025, les kiosques à journaux de mon patelin (Gatineau, 300 000 habitants, 4e ville du Québec) ne proposent à la clientèle francophone que deux quotidiens régionaux... de langue anglaise: l'Ottawa Citizen et l'Ottawa Sun. Pour acheter un journal imprimé en français, il faut se procurer Le Devoir ou le Journal de Montréal... Qualifier cette situation de scandaleuse serait un euphémisme!

Si encore on pouvait croire que les directions des quotidiens qui ont largué le papier l'avaient fait à contrecoeur, on aurait pu entreprendre un débat potentiellement fructueux. Mais non. Les autruches aux commandes ont couru droit vers le précipice numérique et sauté sans parachute... Plus question de fabriquer des journaux papier pour les vieux «nostalgiques». Marie-Claude Lortie, rédactrice en chef du Droit (une ancienne de La Presse), affirmait en ondes à Radio-Canada que les quotidiens imprimés ne servaient guère qu'à «allumer les feux de cheminée» ou tapisser «les litières de chats»...**

«On ne pense plus papier, c'est fini le papier depuis longtemps», avait-elle ajouté. Et on n'allait surtout pas s'ennuyer de l'imprimé... Au-delà de ces inepties, Mme Lortie fait ressortir le silence assourdissant des tribus journalistiques, la FPJQ en tête, en matière d'abandon des éditions papier de sept quotidiens québécois! À aucun congrès de la fédération professionnelle des journalistes n'a-t-on consacré ne serait-ce qu'un atelier de réflexion à l'importance de conserver et promouvoir les journaux imprimés dans cette ère où le numérique est devenu et restera incontournable.

Quand le mouvement vers l'abandon du papier par la presse écrite s'est accéléré dans la décennie 2010, certains prédisaient un sort similaire à l'industrie du livre. Or, en 2024, selon Le Devoir, les ventes de livres numériques plafonnent entre 7 et 10% de la production. Le public lecteur, même jeune, préfère l'expérience sensorielle, voire sensuelle, du livre imprimé. Le livre papier, comme jadis (et toujours) la presse papier, inspire confiance. «Ce qui est imprimé n'est pas fait pour les machines, mais pour l'humain», écrit Miguel Tremblay dans le plus récent numéro de la revue Liberté. Le troupeau journalistique québécois ne semble pas avoir compris que le bon vieux quotidien imprimé offre au lectorat un produit d'information unique que les écrans de téléphones et de tablettes, si perfectionnés soient-ils, ne peuvent espérer concurrencer.

Le journal qui aboutissait sur mon perron jusqu'à mars 2020 avait une existence physique. Pas besoin de réseau wi-fi ou d'abonnement Internet pour visionner un minuscule écran où l'on doit constamment faire défiler les textes et images vers le bas, en recommençant à chaque nouvelle page jusqu'à épuisement de l'index ou du majeur. On tenait le journal papier tout entier dans ses mains et si on le mettait de côté, on le retrouvait comme on l'avait laissé, sans qu'un inconnu n'ait tripoté des paragraphes ou des photos. L'ancien Droit présentait, en sections thématiques, un résumé quotidien de l'actualité politique, économique, sociale, sportive, artistique, etc. Il était plus facile à lire, on pouvait le toucher, le découper, le conserver, le recycler et, oui, même s'en servir pour allumer des feux de foyer ou tapisser la litière du chat...

Dans la ruée aveugle vers le numérique, on a oublié - même dans les milieux médiatiques - de s'interroger sur l'importance fondamentale du journal papier. Le résultat? La jungle de l'Internet. Une fragmentation inimaginable des sources d'information. La quasi-impossibilité, pour le grand public, de cibler avec certitude l'information fiable dans un univers de fake news. Une perte de confiance du lectorat, qui ira s'accélérant. Un public de plus en plus mal informé. Un terreau de plus en plus fertile pour la propagande. Une montée exaspérante des extrême-droites face aux go-gauches wokistes... Une perte des repères. Le règne des Trump, Musk, Zukerberg, Bezos...

Réponse au chroniqueur du Droit: «Oui, je m'ennuie du papier»! Et pour des motifs qui n'ont rien à voir avec le fait que je sois vieux...

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* Lien au texte Le supplice des mille coupures... https://lettresdufront1.blogspot.com/2023/12/le-supplice-des-1000-coupures.html

** Lien au textLe Droit papier: bon pour les feux de cheminée et les litières de chat? https://lettresdufront1.blogspot.com/2023/12/le-droit-papier-bon-pour-les-feux-de.html


1 commentaire:

  1. Et dire que ce journal avait été fondé pour la défense des francophones. Un mot me vient pour qualifier la politique du Le Droit et de la Coopérative: TRAHISON!

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