samedi 25 octobre 2025

Congrès de l'AFO... fictions chiffrées...

Lien au texte du Droit : https://www.ledroit.com/franco/2025/10/23/lobjectif-de-retrouver-le-poids-demographique-franco-ontarien-de-1971-QK6KPOQZ7FCJVNA434ELIVCNEI/ 

En lisant le texte du Droit intitulé L'objectif de retrouver le poids démographique de 1971, paru le 23 octobre 2025, on bascule au pays des merveilles! Dans ce reportage sur le Congrès annuel de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO), identifié bizarrement par l'auteur comme «le congrès francophone», la fiction l'emporte sur la réalité avec l'aide d'une mixture délirante de statistiques linguistiques provenant des recensements de 1971 et de 2021.

On ne peut contester le coeur du message proposé aux lecteurs : la francophonie étant en régression constante en Ontario, il faut trouver des moyens de rétablir la proportion des francophones ontariens aux niveaux de 1971. Pourquoi 1971? Sans doute parce qu'il s'agit du premier recensement fédéral contenant des données sur la langue la plus souvent parlée à la maison. Auparavant, seule la langue maternelle était comptabilisée comme identifiant des francophones.

Jusque là, ça va. C'est quand on commence à chiffrer les situations en 1971 et 2021 (le plus récent recensement) que les pommes, les oranges et les prunes sont jetées pêle-mêle dans le même panier. La confusion débute en grand avec cette affirmation, tirée d'une étude attribuée à PGF Consultants: «Constat principal de l'étude: l'Ontario, avec une proportion de 4,2% (de francophones?), n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Ce chiffre (4,2%) fait référence au fait que, selon le recensement de Statistique Canada de 2021, 594 735 Ontariens, soit 4,2% de la population, parlaient français au moins régulièrement à la maison

Plus loin dans le texte, le président de l'AFO Fabien Hébert reprend cette statistique et la définit ainsi: «On est à 4,2% de population franco-ontarienne.»* Mais d'où viennent-ils, ces 594 735 Ontariens qu'on place dans la catégorie «francophone»? J'ai dû faire quelques calculs mais cela semble être une addition des données suivantes dans le recensement de 2021 :

- 254 870 personnes qui disent que la langue parlée le plus souvent le français est uniquement le français;

- 59 725 personnes qui disent parler français et anglais à la maison;

- 6 475 personnes qui disent parler français et une langue non officielle à la maison;

- 12 185 personnes qui disent parler français, anglais et une langue non officielle à la maison; et

- 261 485 personnes qui incluent le français dans les catégories de la rubrique «autres langues parlées régulièrement à la maison».

La seule statistique compréhensible dans cette gibelotte, ce sont les 254 870 personnes (1,8% de la population ontarienne) qui indiquent clairement que la langue d'usage à domicile est le français. Nommer plus d'une langue dans sa réponse au recensement indique clairement qu'aucune de ces langues ne peut être «la plus souvent parlée à la maison». Elles le sont à égalité ou, à différents degrés, minoritaires. La dernière catégorie (autres langues) suggère un statut encore plus marginal du français. J'aimerais bien qu'on donne des exemples concrets de ces bizarres maisonnéeoù le français est une «autre langue régulièrement parlée»...

Les analystes sérieux (y compris les statisticiens de Statistique Canada) n'utilisent pas de tels chiffres pour déterminer le nombre de francophones en Ontario. Ils emploieront, dans différentes proportions, les données sur la connaissance des langues officielles, la langue maternelle et la langue la plus souvent parlée à la maison. Le recensement lui-même privilégie, pour calculer la proportion de Franco-Ontariens, la PLOP** (première langue officielle parlée), ce qui donne un total de 484 425 francophones en Ontario (3,4% de la population totale).

La plupart des chercheurs qui analysent les données du recensement sur la langue d'usage (la plus souvent parlée à la maison) compteront les 254 870 personnes indiquant la français uniquement, ainsi que la moitié des répondants aux catégories «français et anglais» et «français et autre langue officielle», et finalement, un tiers des répondants qui indiquent «français, anglais et autre langue officielle». Cela donne un total pondéré d'un peu plus de 292 000 individus qui parlent surtout le français à la maison, soit 2,1% de la population de l'Ontario. C'est ce chiffre qu'il faut comparer à celui du recensement de 1971 pour évaluer le déclin réel de la Franco-Ontarie.

Passons donc au recensement de 1971. À la question sur la langue d'usage, 352 465 personnes ont répondu que la langue la plus souvent parlée à la maison était le français, soit 4,6% de la population. On est loin du 6,1% cité au congrès de l'AFO pour ce même recensement de 1971. On dénombre par contre 482 045 individus se disant de langue maternelle française, 6,3% de la population totale de l'Ontario. C'est tout près de la cible de 6,1% mentionnée par l'AFO «pour retrouver le poids démographique des francophones en 1971», mais la langue maternelle et la langue d'usage, ce sont des pommes et des oranges. D'où vient donc ce chiffre de 6,1%? Je n'ai pas trouvé. Il n'est certainement pas fondé sur la langue d'usage à la maison...

Selon le texte du Droit, qui ne parle pas du tout de la dénatalité, de l'exogamie maintenant majoritaire et de l'assimilation galopante des Franco-Ontariens historiques, le rapport des consultants «estime qu'environ 180 000 immigrants francophones devront s'établir en Ontario au cours des 25 prochaines années pour que la province retrouve le poids démographique francophone de 1971». Même si on accepte pour une seconde la proportion fictive de 4,2% de Franco-Ontariens en 2021 (c'est plutôt entre 2,1% et 3,8%), l'ajout IMMÉDIAT de 180 000 immigrants francophones ne porterait le poids démographique des francophones qu'à 5,5%. Sur 25 ans, le seul effet de cette immigration francophone sera de ralentir un tout petit peu le déclin... Le pays des merveilles...

En supposant une croissance d'un million de personnes en Ontario tous les recensements (c'était près de 800 000 entre 2016 et 2021), la province comptera environ 19 millions d'habitants en 2050. Pour que le seuil de 6,1% soit atteint, la population franco-ontarienne devra atteindre 1 150 000 !!! C'est impensable. Entre 1971 et 2021, le nombre de Franco-Ontariens ayant le français comme langue d'usage a diminué en chiffres absolus, passant de 352 465 à 292 042. L'empêcher de chuter davantage serait déjà une grande victoire. Réaliser un bond de plus de 800 000 en 25 ans? Achetez un billet de Lotto Max. Vos chances sont meilleures.

Le président de l'AFO exprime à la fin du texte une pointe d'inquiétude. Pourquoi? «L'une des raisons, dit-il, c'est l'observation, sur le terrain, que les choses ne vont pas aussi bien qu'on le pense.» Excellente observation. Pour sauver les meubles, faudra dresser un portrait précis et réaliste du «terrain» franco-ontarien. Un premier pas opportun serait de fonder toute nouvelle initiative sur des données plus crédibles que celles qu'on lance depuis des années à tort et à travers... 

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* une affirmation surprenante de la part du président d'une association qui affirme, sur son site Web officiel, qu'elle représente plus de 795 000 Franco-Ontariens, soit 5,6% de la population de l'Ontario...

** un indice dérivé d'une fusion version StatCan des catégories connaissance des langues officielles, langue maternelle et langue la plus souvent parlée à la maison.

*** Lien au texte du Droit : https://www.ledroit.com/franco/2025/10/23/lobjectif-de-retrouver-le-poids-demographique-franco-ontarien-de-1971-QK6KPOQZ7FCJVNA434ELIVCNEI/


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