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Pour la sauver, il faut mettre le doigt sur les vrais bobos... |
Ce matin, comme tous les matins sauf le dimanche, j'ai cueilli l'édition papier du journal Le Devoir, livrée chez moi à Gatineau. Jusqu'au début de la pandémie, je recevais également à domicile mon journal local, Le Droit, aujourd'hui disparu.
Il y a dix ans à peine, dans la plupart des régions de notre demi-pays, une dizaine de quotidiens de langue française livraient des éditions imprimées à la porte de centaines de milliers de Québécois. Depuis plus de cent ans pour certains journaux! Les lecteurs y voyaient la source d'information la plus crédible, la plus fiable. Plus que la télé, bien plus que l'Internet. Et ça reste vrai en 2025.*
Mais voilà... Le 24 mars 2020, donnant faussement la pandémie de COVID 19 comme justification, mon quotidien a brutalement mis fin au papier. Temporairement, disait-on au début. Puis, pour de bon. Je n'aurais plus jamais mon Droit sur la table de cuisine en déjeunant. Les kiosques à l'épicerie seraient désormais vides. Les camelots et les pressiers, sans travail.
Pour moi, défenseur de l'imprimé contre l'envahissement excessif des écrans, ce fut un drame. Mais je crois pouvoir affirmer que l'abandon du journal papier fut aussi un coup dur pour l'ensemble du lectorat des cinq autres quotidiens de la Coop CN2i (Le Soleil, Le Quotidien du Saguenay, Le Nouvelliste, La Tribune et La Voix de l'Est) qui ont subi en mars 2020 le même sort que Le Droit.
Sur le plan journalistique, ce fut une catastrophe. Sans papier, nos quotidiens déjà hypothéqués (souvent par leur propre faute) étaient relégués à la jungle sans merci du Web. Trois ans plus tard, en avril 2023, les six quotidiens coopératifs larguaient leur édition numérique quotidienne. Les coopératives locales ont été dissoutes. Il ne reste aujourd'hui que de vastes babillards Internet portant les anciens logos des six journaux, mis à jour en temps réel par de braves équipes de journalistes qui ont survécu aux coupes successives.
La disparition simultanée de six des dix quotidiens imprimés du Québec, à laquelle s'ajoute l'abandon du papier à La Presse, aurait dû provoquer une levée de boucliers dans la société et un débat de fond au sein de la profession. Dans n'importe quel autre pays démocratique, on aurait lancé des SOS si plus de la moitié des journaux papier étaient supprimés. Ici, à part quelques cris ça et là, l'abandon de l'imprimé est passé comme un couteau dans le beurre. La suppression des éditions numériques trois ans plus tard est passée inaperçue!
La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) aurait été justifiée de convoquer un congrès d'urgence devant cette tragédie de portée civilisationnelle. Non, pas de congrès spécial. Même pas d'atelier sur cet enjeu à un congrès régulier. Et le désert laissé par la suppression des quotidiens imprimés dans toutes les régions du Québec (sauf pour les deux Québecor et Le Devoir) n'est très certainement pas à l'ordre du jour du congrès de novembre 2025 à la FPJQ... Le silence de la profession reste assourdissant...
J'ai appris fin septembre par un article du Devoir que la Fédération nationale des communications et de la culture de la CSN (qui regroupe plusieurs syndicats de travailleurs de l'information) avait entrepris une tournée québécoise (y compris à Gatineau) à l'automne 2024 et l'hiver 2025 pour tâter l'opinion sur l'affaiblissement des médias québécois. Il n'y a rien dans le rapport sur cette tournée de la FNCC-CSN qui porte sur l'abandon du papier (autre que d'en faire mention à l'occasion) ou la disparition de six journaux quotidiens (imprimés et numériques).**
Les écrans sont en voie de tuer l'imprimé au Québec. Ils sont aussi en train de tuer l'information. Entre les modèles d'affaires capitalistes en quête constante de profits excessifs, un milieu journalistique en perte de combativité, un fatalisme qui voit dans le seul numérique l'avenir de l'information et un public de moins en moins informé, embourbé dans un océan de désinformation qui sera multiplié à l'infini par les abus de l'intelligence artificielle, ça va très mal à la shoppe...
Demain matin, j'aurai confiance que les textes de l'édition papier Le Devoir ont été préparés par des professionnels bien encadrés. Je sais aussi que le lendemain, le mois suivant, l'année suivante, l'information qui s'y trouve n'aura pas changé. Si je conserve une coupure de presse, personne ne peut la tripoter ou la détruire, comme cela arrive avec des nouvelles sur le Web. Ces écrits restent. L'imprimé est un socle de notre civilisation depuis plus d'un demi-millénaire. Il est aujourd'hui menacé par des hordes barbares habitant les médias sociaux...
Je n'ai rien contre l'information numérique en soi. Elle est devenue incontournable depuis le milieu des années 1990. Mais je l'apprécie pour ce qu'elle ajoute à la connaissance, et non pour ce qu'elle prétend remplacer. L'imprimé, j'en ai la conviction, est et sera irremplaçable. Le majorité de nos journalistes ne semblent pas de cet avis... mais je continue d'espérer...
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* https://www.ledevoir.com/culture/medias/920595/consensus-sauver-information-bien-public
** https://fncc.csn.qc.ca/wp-content/uploads/2025/08/2025.05_CSN-FNCC_Tournee-Rapport_VF-Num.pdf
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