jeudi 6 octobre 2016

Alors, gouvernons !

Lettre d'un vieux scribe au nouveau chef du Parti québécois

Page du lendemain de l'échec de Meech...

Cher Monsieur Lisée,

Le débat interminable sur l'échéancier hypothétique d'un futur référendum nous empoisonne depuis trop longtemps. Au sein du public, l'indice d'enthousiasme pour un troisième référendum sur la souveraineté oscille autour de zéro... et les adversaires du Parti Québécois le savent. Ils n'attendent que l'occasion propice pour sortir la masse et asséner un coup qu'ils espèrent fatal


Les ennemis de l'indépendance sont généralement implacables. Ils ne s'embarrassent pas de règles. Pendant qu'en 1980, le gouvernement Lévesque soumettait son projet de souveraineté-association à la population on ne peut plus démocratiquement, l'année suivante la bande à Trudeau-Chrétien complotait dans le plus grand secret, en pleine nuit, avec la majorité des premiers ministres provinciaux pour imposer au Québec - sans la moindre consultation publique - une nouvelle constitution dont l'un des principaux effets fut justement de nier la spécificité québécoise.


N'oublions pas qu'en 1970, pour jeter à la prison une partie de l'opposition indépendantiste, Pierre Elliott Trudeau n'avait pas hésité à invoquer les mesures de guerre en temps de paix (cette loi n'avait servi que deux fois - durant la guerre 14-18 et la Deuxième Guerre mondiale). En 1981, les manigances secrètes de la nuit des longs couteaux ont livré aux tribunaux les outils nécessaires pour démanteler la Loi 101, prélude à une attaque tous azimuts contre le dernier rempart de notre identité - la langue française.


Ce qu'Ottawa n'a pu compléter, le Québec libéral de l'ère Charest-Couillard tente de l'achever en entreprenant de bilinguiser les jeunes Québécois dès la fin du primaire, tout en réduisant presque à néant l'efficacité des efforts de francisation, tant en milieu de travail que dans l'accueil de masses d'immigrants qui finiront par s'angliciser en proportions croissantes. Sans oublier ce marteau du multiculturalisme sauce Trudeau père-fils, qui assomme toute velléité d'inscrire dans nos lois fondamentales des valeurs universelles - laïcité/neutralité de l'État, égalité hommes-femmes - conformes à notre spécificité.


Malgré tout, l'idée d'indépendance reste en vie. Bon an mal an, et par les temps qui courent c'est plutôt «mal an mal an», près de la moitié des francophones du Québec se disent toujours sympathiques à la souveraineté. Et dans l'autre moitié de la population de langue française, le refus de l'indépendance n'entraîne nullement un attachement profond au reste du Canada ou au fédéralisme. Il est toujours possible de rapailler ce qui reste de nous pour une ultime tentative de se libérer du carcan. Mais il faudra faire vite. Les têtes blanches se font très nombreuses et les plus jeunes n'ont jamais connu l'univers dans lequel s'est forgée l'opinion des générations précédentes…


Le Parti québécois doit absolument accéder au pouvoir, majoritaire, dès 2018. Mais cela n'arrivera pas - en dépit du caractère catastrophique de l'administration Couillard - si le principal véhicule du projet d'indépendance traîne ce boulet référendaire qui répugne à la génération montante et ne sert qu'à rappeler les mauvais souvenirs de 1980 et 1995 aux fédéralistes et indépendantistes assez vieux pour les avoir vécus. Larguer l'obsession référendaire n'affaiblira pas la mission première du parti. Au contraire. Au-delà d'un solide programme social-démocrate rassembleur, le PQ doit promettre très clairement de poursuivre l'objectif de l'indépendance par tous les moyens.


On semble avoir oublié, en regardant de trop près les arbres et les branches, que la forêt existe toujours. Le peuple québécois, la nation québécoise est toujours là, avec sa langue et sa culture, ses valeurs partagées, son droit à l'autodétermination bien intact. La Cour suprême du Canada l'a soutenu clairement dans son renvoi de 1998 sur la sécession. Les Trudeau, Chrétien et compagnie ont reconnu eux aussi la nation québécoise - et son droit à l'indépendance - en participant aux campagnes référendaires dans le camp du «Non». Participer, qu'ils l'avouent ou pas, c'était accepter la légitimité du processus… et du résultat.


Ce que le PQ doit proposer, et réaliser s'il est élu, c'est d'agir en porte-étendard fier et digne de la nation, d'un peuple souverain, et de tout faire pour élargir ses champs de compétence, jusqu'à l'éventuelle accession à l'indépendance politique. Il ne sera plus question d'administrer comme «bon gouvernement provincial» en attendant les conditions gagnantes de la souveraineté, mais de se comporter en gouvernement d'un pays à l'horizon, fricoté à nos goûts républicains, dans le respect des limitations actuelles bien sûr mais en perçant des brèches partout où cela sera possible.


Cela signifie, d'abord, discuter d'égal à égal avec le reste du pays, de nation à nation. Finie l'époque des négociations à onze gouvernements. C'est ce qu'avait promis Robert Bourassa après l'échec de Meech, en 1990 (voir photo ci-haut). Rien dans la constitution actuelle ne nous oblige à jouer le jeu à onze… Cela veut aussi dire assumer pleinement la responsabilité des domaines de compétence qui sont déjà nôtres… jusque dans l'arène internationale. Rien n'interdit au gouvernement du PQ de demander l'admission du Québec à l'ONU comme nation fédérée. Il y a des précédents…


Sur le plan linguistique, tout en respectant scrupuleusement les droits historiques des Anglo-Québécois et en suivant de très près le sort réservé aux minorités francophones des autres provinces, le gouvernement du Parti québécois devra rétablir la force originale de la Loi 101 et même l'élargir là où elle l'aurait dû l'être - dans les cégeps, dans les petites entreprises. Une nation digne de ce nom assure le respect de sa langue et de sa culture, en premier lieu par les siens. Il faudra s'attaquer à l'analphabétisme, assurer non seulement la prééminence du français, mais son excellence, parlée et écrite, dans tous les milieux y compris au travail. Le bilinguisme et le plurilinguisme chez les nôtres devront se bâtir sur une solide identité francophone.


En matière sociale, un gouvernement péquiste devra tout faire pour mettre en oeuvre les valeurs d'égalité et d'entraide héritées des générations qui ont bâti depuis plus de 400 ans le Québec français. On nous jugera à la façon dont notre peuple souverain traitera ceux et celles des siens qui ont le plus besoin de la solidarité de l'ensemble - les vieux, les pauvres, les malades, les chômeurs, les mal logés, les jeunes aux études, etc. Les milliards perdus en dédoublement fédéral ou mal orientés à Ottawa par une majorité anglophone, les milliards détournés du fisc par un capitalisme débridé, seront réclamés et récupérés au nom de la nation québécoise pour favoriser la justice sociale dans notre futur pays.


D'effort en effort, d'obstacle surmonté en obstacle surmonté, de petite victoire en petite victoire, le tout clairement orienté vers le projet d'indépendance, la population saura davantage à quoi s'en tenir. Plutôt que d'avoir perdu un temps précieux en palabres pré-référendaires, le projet souverainiste sera enclenché avec tous les moyens disponibles. Si le travail est bien fait, l'appui populaire suivra. Vite, très vite, on ne verra plus le Québec comme province, tant ici qu'ailleurs au Canada, mais comme nation en marche vers une destinée qu'elle a prise en main. Jusqu'où cela nous mènera-t-il? L'électorat québécois, qui aura toujours droit de véto sur ses gouvernements, restera le décideur ultime.


Mais le temps presse…. Il faudra commencer dès 2018! Le talent, les outils ne manquent pas. Ce qui nous manque, c'est un gouvernement indépendantiste avec la volonté de nous sortir du bourbier, de mettre en marche le projet souverainiste et d'inviter chacun, chacune, à y travailler. Démocratiquement. Dans la légalité. Dans la légitimité. Dans la paix. Dans l'affirmation d'une souveraineté reconnue, jusqu'à la création de ce pays qui nous ressemble... ou jusqu'à ce que le peuple en décide autrement.

Ce dont nous n'avons surtout pas besoin, c'est de savoir s'il y aura ou non un ultime rendez-vous référendaire... Trudeau père a imposé sa constitution anti-québécoise de 1982 sans référendum. Il a gouverné et laissé aux citoyens le soin de le juger au scrutin suivant. Alors gouvernons, nous aussi!

Que se passera-t-il en 2019, en 2020, en 2021, après? Je n'en sais rien. Personne ne sait ce que les événements nous réservent. Ce que l'on appréhende, cependant, c'est qu'un référendum au programme, tout de suite ou plus tard, ne soit rien d'autre qu'un suicide politique. Le temps est à l'action. Sinon, la déprime collective, déjà perceptible, s'accentuera. Sur le succès ou l'échec de ces actions, un Québec indépendant verra le jour... ou l'histoire de notre peuple se terminera sur «une page blanche»...

À force de préparer et d'attendre un grand soir référendaire, nous risquons de ne jamais faire l'essentiel premier pas… puis le deuxième...

Alors, cher Monsieur Lisée, portez-nous bien...







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