jeudi 22 décembre 2016
Langues officielles: on réfléchit à Ottawa...
Le journaliste Paul Gaboury, du quotidien Le Droit, a attribué récemment à la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, une citation qui - advenant qu'elle soit aussi exacte que les guillemets qui l'entourent semblent l'indiquer - soulève de graves interrogations.
Mme Joly commentait la fin des soi-disant consultations, entamées en juin et terminées au début de décembre 2016, visant à sonder la population du pays en vue de la confection d'un «plan d'action» qui remplacera l'actuelle Feuille de route 2013-2018 pour les langues officielles.
Voici ce qu'elle a dit, selon le texte de l'édition imprimée du 9 décembre 2016 du journal Le Droit: «Le nouveau plan (d'action) offrira une vision renouvelée des langues officielles qui reflétera ce que nous sommes aujourd'hui et ce que nous serons demain.»
C'est le genre de déclaration bidon, style passe-partout, qu'on voit trop et qui laisse le plus souvent entendre au public qu'il y aura sans doute du nouveau, et que cette nouveauté à définir collera à une certaine réalité… Si encore Mme Joly avait exprimé ainsi ses intentions, c'eut été un moindre mal… Mais non, et après avoir lu deux ou trois fois ces paroles qu'on lui attribue, je me suis gratté la tête…
D'abord il faut rappeler que le gouvernement fédéral met plus d'un milliard de dollars dans la cagnotte de ce «plan d'action» et que ces sommes substantielles servent surtout à soutenir et promouvoir les langues officielles (le français, l'anglais) dans les milieux où elles sont minoritaires. Pour les organismes francophones hors-Québec, ces fonds sont essentiels.
Ces «consultations» orchestrées permettent aux organismes et groupes minoritaires de formuler leurs demandes en fonction de leurs priorités. À toutes fins utiles, ce sont ces organisations et quelques intervenants clés qu'Ottawa écoute. Le grand public est absent des rencontres (il y en a eu 22 à travers le pays). Il n'y est pas invité par Patrimoine canadien. Et les médias accordent généralement à ces «consultations» une couverture qui oscille entre nulle et médiocre.
Les lois qui régissent les langues officielles n'ont pas fondamentalement changé depuis la Charte de 1982 et la Loi sur les langues officielles de 1969. Les ajustements les plus importants ont été apportés par les provinces et les tribunaux, qui donnent tantôt une interprétation généreuse, tantôt une interprétation pingre des droits linguistiques. Rien de tout cela ne changera d'ici la confection d'un nouveau «plan d'action» fédéral sur les langues officielles…
Alors revenons à la déclaration de la ministre Joly.
Le nouveau plan d'action, dit-elle, offrira «une vision renouvelée» des langues officielles. On ne parle pas ici de modifications mineures. Elle annonce qu'Ottawa a l'intention de renouveler (c.-à-d. changer, introduire des nouveautés) sa «vision» globale des langues officielles. La dernière fois qu'Ottawa avait décidé de «renouveler» sa vision de la dualité canadienne, c'était pour remplacer le biculturalisme d'André Laurendeau (Commission B-B) par le multiculturalisme de Trudeau père… Et on sait où cela nous a menés… et nous mène toujours…
À quelques reprises depuis le début de l'ère de Trudeau fils, les assises du «bi»linguisme ont semblé fragiles à Ottawa, des ouvertures se manifestant envers d'autres langues, notamment les langues autochtones. Ce n'est pas nouveau. Un des commissaires de la Commission B-B, Jaroslav Rudnyckyj, avait proposé dans les années 60 d'accorder un statut officiel à l'ukrainien dans les Prairies… Reste que la tradition du biculturalisme a succombé aux partisans du «multi» dans les années 70… Se prépare-t-on à réserver un sort semblable au principe de «deux» langues officielles? La question est posée…
Dans la deuxième partie de la citation, Mme Joly indique que cette vision «renouvelée» des langues officielles «reflétera ce que nous sommes aujourd'hui et ce que nous serons demain»… La ministre vient de se faire dire depuis six mois que la langue française est menacée partout au pays (même au Québec), qu'il existe toujours des injustices à corriger et que les besoins des minorités acadiennes et canadiennes-françaises sont à la fois grands et pressants. Bref, on lui a crié qu'il fallait changer et améliorer «ce que nous sommes aujourd'hui»… pas le «refléter». Ça s'annonce mal… Pourquoi s'est-on donné la peine de consulter, même à moitié?
Par ailleurs, comme elle ne se donne pas la peine de définir ce «nous», on suppose qu'elle parle de l'ensemble des Canadiens, toutes langues confondues. Si c'est le cas, refléter ce que «nous» sommes aujourd'hui a de quoi inquiéter les parlant français dans un pays où la langue anglaise resserre son emprise partout, même dans certaines régions québécoises, y compris Montréal, et où la proportion des francophones est en diminution préoccupante depuis plus de 50 ans. Une politique des langues officielles conçue à l'époque où les citoyens de langue maternelle française représentaient près de 30% de la population sera-t-elle la même que celle d'un pays (aujourd'hui) où cette même population culbute rapidement vers le seuil des 20% ?
Quant à refléter «ce que nous serons demain», à moins d'avoir en mains une boule de cristal ou les prévisions les plus raffinées de statisticiens fédéraux spécialistes des données linguistiques, cela me semble être de la bouillie pour les chats. Au regard des vents linguistiques dominants de 2016, nos «demains» francophones apparaissent de plus en plus sombres entre le multiculturalisme officiel d'Ottawa et le pseudo-bilinguisme-multiculturalisme du gouvernement actuel à Québec. Nous (le nous francophone) sommes en fragile équilibre au bord d'un précipice…
Alors qu'en est-il, Mme Joly? Doit-on prendre au sérieux vos propos, où est-ce simplement une déclaration vide de sens pour donner de quoi écrire aux scribes médiatiques? J'aurais espéré qu'au moins l'un de ces courriéristes parlementaires d'expérience exige quelque éclaircissement après avoir entendu vos propos. Si ce fut le cas, je n'en ai pas trouvé de trace…
Vous mentionnez ailleurs que le français et l'anglais sont «à la base de notre contrat social»… Voilà un autre concept au sujet duquel je vous aurais sérieusement interrogée… Ça fait plutôt «bi» que «multi» mais ces jours-ci, on ne sait jamais...
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