La semaine dernière, à la radio (première chaîne) de Radio-Canada, à la fin d'un échange avec le correspondant de la Société d'État à Washington sur les péripéties de la transition vers la présidence de Donald Trump, j'ai entendu le journaliste-animateur affirmer - on sentait presque le sourire en ondes - qu'il serait «intéressant» de suivre l'actualité dans la capitale américaine au cours des prochains mois…
Intéressant? Avais-je bien entendu?
Intéressant? Je n'en croyais pas mes oreilles…
Sommes-nous sur la même planète?
Pourtant, j'écoutais avec mes oreilles de vieux routier du journalisme, avec des décennies d'expérience, et la carapace, et tout le cynisme qui résulte d'en avoir parfois vu de toutes les couleurs… Mais là, trop c'était trop…
On peut estimer un film intéressant… Un conférencier aussi… Une visite guidée… Un spectacle… Un débat… Un match sportif… Un concours…
Dans nombre de situations, cependant, le mot «intéressant» ne convient pas, mais pas du tout… Il peut même devenir fort inopportun… grotesque… presque obscène…
Imaginez un journaliste couvrant Alep, en Syrie, et arrivant sur les lieux d'un hôpital bombardé… Songerait-il à dire aux auditeurs qu'il sera «intéressant» de voir combien de corps on retirera des décombres?
…ou qu'il sera «intéressant» de connaître l'ampleur d'éventuelles conséquences planétaires de l'accident nucléaire à la centrale japonaise de Fukushima, d'une gravité similaire à celui de Tchernobyl?
…qu'il serait «intéressant» de présenter des images en direct d'une séance de coups de fouet à Raïf Badawi, ou une scène de décapitation en pleine rue en Arabie saoudite?
Le terme «intéressant» sied mal aux guerres, aux hécatombes, aux désastres. Ce mot porte en lui une petite suggestion positive, presque de divertissement. Vu de cette façon, il ne convient surtout pas à l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche...
Ce dangereux milliardaire volatile au comportement politique déséquilibré aura le doigt sur la gâchette nucléaire. Il s'entoure d'un cabinet d'extrémistes de droite qui ferait frémir d'horreur toute personne informée et sensée. Le monde médiatique, s'il lui reste quelques grammes de bon sens, devrait rester en mode bouton de panique, et passer le plus clair de son temps à avertir la planète de la menace imminente qu'elle court avec Donald Trump et sa horde obscurantiste.
Les salles des nouvelles, au moment où le monde civilisé, ou ce qui en reste, titube au bord du précipice, ne doivent plus édulcorer les mots. Les changements climatiques SONT une réalité démontrée. Dans la communauté scientifique (la vraie), il n'y a plus de débat là-dessus. On est en mode «sauver les meubles», près du point de non-retour. Alors quand Trump nomme un climato-sceptique pour diriger l'EPA, on ne doit pas hésiter à dire les choses vraies. Ou ce sont des menteurs, ou ce sont des ignorants. Mais ils ne sont pas du tout «intéressants»…
Quand un président élu des États-Unis menace d'ériger un mur entre son pays et le Mexique et d'expulser manu militari des millions d'immigrants, il se prépare à commettre ouvertement des crimes contre l'humanité. Comme ceux qui ont érigé le mur de Berlin. Comme ceux qui érigent le mur entre Israël et la Palestine. On se prépare à des années de folie et de violence contre des pauvres sans défense. Ce n'est pas «intéressant»…
Quand Trump veut nommer comme ministre de l'Éducation une milliardaire qui a dépensé une petite fortune pour combattre l'école publique, le geste est suffisamment obscène pour valoir une condamnation mondiale, et à la limite un impeachment pour trahison de sa mission présidentielle de défendre la constitution et le bien-être des citoyens. Il ne sera pas «intéressant» d'assister à une offensive de démolition de l'État contre son propre système d'éducation...
Désormais, le mot d'ordre doit être information et résistance. Pour les quatre prochaines années, il n'y aura absolument rien de divertissant à la Maison très blanche de Donald Trump. Et les médias ne doivent pas dissimuler la gravité de la menace Trump en y voyant une actualité «intéressante» pour les mois et les années venir. Avec ce président, des offensives sauvages contre l'humanité pointent à l'horizon. Le ton qui convient n'est pas le ton que je lis et que j'entends trop souvent dans les médias d'ici...
Si un jour, balayant du regard ce qui reste d'une planète dévastée par les changements climatiques ainsi que par les haines et conflits engendrés par les Trump de ce monde, un des derniers humains tombe sur une émission de nouvelles de décembre 2016 qui annonce des mois «intéressants» sous ce nouveau président républicain, il maudira les journalistes qui n'auront pas su agir comme chiens de garde d'une civilisation en péril…
Aucun commentaire:
Publier un commentaire