lundi 5 décembre 2016

Samedi soir au Hong Kong...


Heureusement qu'on y prépare les meilleurs mets chinois américains à Gatineau (selon moi bien sûr), parce que l'endroit ne paie vraiment pas de mine… Des lanternes chinoises accrochées au plafond, le calendrier d'un fournisseur oriental sur le mur, les bouteilles d'alcool alignées devant un miroir mural…

Et si l'idée vous prenait d'utiliser votre tablette, votre téléphone intelligent ou votre ordi pour commander un festin engraissant à mon petit restaurant chinois de quartier, dans le vieux Gatineau (là où ça s'appelait Gatineau avant toutes les fusions), oubliez ça… J'y suis allé pour la première fois en 1974, je crois, et parfois je me demande si ce ne sont pas toujours les mêmes tables et les mêmes chaises…

Chercher le restaurant Hong Kong sur Internet? Vous trouverez son adresse et son numéro de téléphone… et guère plus… Pas de site Web, pas de menu en ligne, rien… Du moins je n'ai rien trouvé… Alors on fait comme dans les années 70... On commande par téléphone, avec l'option d'aller cueillir la commande au restaurant ou de la faire livrer à domicile… On peut aussi aller directement au resto et commander au comptoir, comme j'en ai fait l'expérience samedi soir…

Nous devions être une vingtaine à s'attabler chez nous, et avions fait nos choix à partir d'un menu papier que je conserve à la maison. Comme la liste de mets sélectionnés était longue et variée, je me suis dit qu'un face-à-face avec la serveuse éviterait les malentendus possibles au téléphone (qui sonne d'ailleurs sans arrêt à l'heure du souper). Et la technologie du resto étant ce qu'elle est, je savais aussi qu'elle ne pitonnerait pas ma commande sur un écran comme à un St-Hubert… Ce serait scribouillé à la main…

Alors ma fille Véronique et moi sommes allés au resto en auto. Ça prend cinq minutes, pas plus… Le stationnement dans le rue s'y fait en diagonale (la rue est large…), notre royaume local de mets chinois n'ayant pas de terrain pour garer les voitures des clients… Quelle chance, il reste une place… Arrivé à l'intérieur, on se retrouve à l'arrière d'une petite foule entassée aux abords de la caisse… où la serveuse en devoir dirige comme un général sur un champ de bataille…

Vous ne trouverez pas de petit(e)s jeunes au service dans ce resto de quartier ouvrier. Ce n'est pas ici un Tim Hortons ou un McDo… Ça prend de l'expérience et de la poigne pour faire la navette entre les cuisiniers orientaux qui ne semblent parler que le chinois et l'anglais, et la salle à manger / comptoir de commandes souvent bondé de clients presque exclusivement francophones… Les serveuses du Hong Kong ne s'énerveraient pas devant un tsunami…

Nous voilà donc derrière une douzaine de clients en demi-cercle (plus ou moins), dans l'espace exigu entre la porte et le comptoir et le buffet où pigent des clients déjà attablés… Je demande à la dame devant moi: «Attendez-vous pour commander, ou de recevoir votre commande?» Ouf.. ils semblent avoir tous téléphoné et font le pied de grue en attendant que les sacs de mets chinois sortent de la cuisine par un trou dans le mur (avec petite porte battante)… C'est comme ça depuis des décennies…

Je m'approche du comptoir avec ma liste… Le client devant moi présente sa carte de crédit pour payer… C'est à peu près la seule différence technologique perceptible depuis 1974… ce lien téléphonique avec Visa, MasterCard et les autres du genre… Mais ce soir ça ne fonctionne pas. «Transaction non complétée», dit le client, dépité… On essaie encore, même échec. «Avez-vous du comptant», demande la générale d'un ton à peu près neutre… Les mains dans les poches, il compte les billets… oui, ça va. Un de réglé, mais d'autres attendent plastique en main…

Je place ma commande, article par article. Elle écrit sur son calepin à deux copies, sans doute en anglais sinon les cuisiniers anglo-chinois pourraient ne rien comprendre, ouvre la porte battante et pousse la liste dans la cuisine sans me faire payer… Ce serait trop long à additionner pour le moment et d'autres clients attendent car les sacs continuent d'arriver par le trou dans le mur… Comme je suis placé pour les voir (les commandes), la serveuse nous demande (à moi et à fille) de l'avertir au cas où elle aurait le dos tourné… Inutile, je suis convaincue qu'elle a des yeux derrière la tête et une ouïe hors normes…

Les clients défilent et la machine à carte de crédit continue de faire des siennes, et tout le monde se met à vider portefeuilles, bourses, poches de manteaux pour faire l'inventaire du comptant… Ma fille Véronique et moi aussi, parce que notre méga-commande exigera plus que quelques billets de 20$… Tout à coup, le hourra d'un client soulagé. «Transaction complétée»… Sourires autour… Il semble que le téléphone soit moins occupé… Selon un client qui semblait informé, les cartes de crédit passent sur la quatrième ligne et s'il y a trop d'appels, ça coupe… Enfin…

À quelques reprises, une des responsables de la cuisine sort avec une facture, et échange en anglais avec la caissière… sans doute pour éclaircir les complexités de certaines commandes… Parfois, de vives réparties en chinois (enfin, dans une langue que je crois être du chinois), émanant de la cuisine, se font entendre par le trou dans le mur...

La clientèle continue d'affluer… Je n'ai pas encore payé… le suspense Visa dure toujours… chaque client(e) espérant gagner à la loterie du «transaction complétée»… Tout ce temps, la générale derrière le comptoir, qui en a vu d'autres, surnage dans ce bordel de factures et de commandes et de clients agglutinés autour du comptoir. Brève interruption, elle ouvre la porte battante et crie à la cuisine. «La cliente Vanessa a commandé depuis au moins une heure!»… À en juger par son regard, elle sympathise avec Vanessa...

Mon tour arrive enfin de régler la note… et je sors ma petite carte VISA avec beaucoup d'espoir… Victoire, je fais partie des chanceux… Ça marche et tout le monde autour de moi, y compris la serveuse, semble très heureux. Je n'aurais pas été surpris que la petite foule se mette à applaudir à chaque «transaction complétée»… Je suis là depuis une demi-heure, et à regarder la scène, j'ai la certitude que Michel Tremblay pourrait en tirer une pièce à succès: Samedi soir au Hong Kong

Je surveillais l'ouverture dans le mur pour ce qui serait sûrement deux ou trois sacs de mets chinois avec le même nom… le mien… quand tout à coup la porte de la cuisine, au fond, s'ouvre, et une personne s'avance à travers le restaurant, se faufilant entre les tables, avec une méga-boîte en carton qui semble plutôt lourde… La générale derrière le comptoir me jette un coup d'oeil et lance avec le sourire, «ce doit être la vôtre, M. Allard»… En effet!

La foule entre la porte et la caisse reste dense et patiente, au moment où nous quittons avec les meilleurs mets chinois américains en ville. Devant nous, la rue déserte… Derrière nous, la devanture illuminée du seul resto de la sombre rue Duquette (le seul commerce?) où s'anime le petit univers mouvementé de la fidèle clientèle du restaurant Hong Kong à l'heure du souper…

Il faut goûter les roulés aux oeufs aux bouts brûlés… Imbattables!

Et que dire de cette serveuse du Hong Kong… Imbattable!

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Et sauf sans doute pour ces embouteillages occasionnels entre 17 et 18 heures, je n'ai jamais eu à me plaindre de la rapidité du service...









2 commentaires:

  1. «ce doit être la vôtre, M. Allard»… Ça fait un petit velours d'être reconnu parmi tant d'autres.

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  2. J'ai travaillé deux années au restaurant, ironiquement, quelques mois à peine après cet article qui décrit si bien mes heures de travail là bas, c'en est époustouflant. Par ce commentaire, j'aimerais confirmer quelque un des point que vous avez fait dans votre article, à propos du restaurant.
    Contrairement au apparence, il ne prenne pas que les gens avec expérience, Hong Kong à été ma première expérience. J'avais déjà les nerfs solide et une bonne tolérance au stress, mais comme vous l'avez bien dit, je crois désormais que je pourrais faire face à un tsunami. Dans les meilleurs journée, un bon rythme de travail ce deguage et nous servons les clients dans des temps respectables. Les mauvaises journées, on fait notre maximum. La technologie est en effet un grand point faible du restaurant. Je prenais les téléphones à l'arrière boutique et nous avions un ordinateur, mais il n'était nis très fiable, ni facile à utiliser. Durant l'été, il surchauffé et doublait la charge de travail, puisqu'il fallait par la suite réécrire toute le commande dans l'ordinateur lorsquil redevenait fonctionnel.
    La communication est un gros problème de l'endroit. Les employer québécois on une meilleur maîtrise de l'anglais que les employer d'origine chinoise. Donc il y avait parfois des erreur de communication, ou parfois celle qui comprenait le mieux traduisait mes paroles au autres. Il fallait adapter son vocabulaire au mots clés. Lors de rare conflits,certains employer parlait contre les autre en français, et d'autre lançait des regard en parlant mandarin, ce qui est bien indicatif que nous sommes tous semblable peu importe la langue dans laquelle on chiale.
    La bouffe du Hong Kong est en effet la meilleur en ville. Merci pour votre article, j'ai eu le sentiment d'un retour dans le temps.

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