mardi 10 janvier 2017

La recette parfaite pour l'assimilation...

Les maisons de sondage nous annoncent régulièrement, en dépit de variations ça et là, que les collectivités francophones et anglophones du Canada s'estiment majoritairement «favorables» au bilinguisme. Ce que cela signifie en réalité reste pour moi un mystère. Dans la vraie vie, la proportion d'Anglo-Canadiens bilingues est en baisse, et à chaque incident linguistique (p. ex. demander un 7up en français dans un avion...) les médias de langue anglaise sont inondés de commentaires haineux à l'endroit du Québec, des francophones et de la langue française…

Le plus récent coup de sonde, celui qu'a tricoté la maison Ad Hoc Recherche pour le ministère fédéral du Patrimoine canadien (voir dans Le Devoir bit.ly/2iFqyaG), remet également à l'avant-scène quelques-unes des platitudes habituelles mais fait tout de même ressortir de façon un peu plus percutante certaines différences appréciables entre francophones (principalement au Québec) et anglophones à travers le pays.

On songe notamment à cette perception, très majoritaire chez les parlant français mais nettement minoritaire chez les Anglos-in-et-hors-Québec, que l'avenir du français soit menacé au Canada. Cela tendrait à expliquer pourquoi, comme d'habitude, ces sondages n'intéressent que les médias de langue française, davantage conscients de notre situation de village assiégé dans une Amérique septentrionale anglo-dominante. Les Canadians de langue anglaise, reflets fidèles de leurs médias et de leur éducation, ne comprennent absolument rien à notre dynamique linguistique.

Ces derniers temps, cependant, même les équipes éditoriales francophones du Québec me semblent parfois confuses devant le casse-tête du bilinguisme. Le thème m'apparaît d'ailleurs peu prisé dans les salles de nouvelles, peut-être parce qu'il nécessite beaucoup de fouilles, de calculs et de réflexion. Dans des rédactions amincies où les citrons sont déjà trop pressés par des entrepreneurs plus avides de profits que d'information, la recherche sur la situation de la langue française se dirige tout doucement vers les tablettes, sauf quand une étincelle vient faire sauter l'un des nombreux barils de poudre qui traînent dans le décor québécois et canadien…

Le sondage Ad Hoc, révélé par le journaliste Philippe Orfali, un Franco-Ontarien issu du quotidien Le Droit qui oeuvre maintenant au Devoir, contient cependant des pistes intéressantes à suivre, si ce n'est que par l'abondance des données qu'il abrite - y compris plus de 350 pages de tableaux détaillés.

* Une question d'abord. Pourquoi apprend-on l'existence et les résultats de cette enquête en janvier 2017 alors que la collecte des données s'est faite en avril et en mai 2016? Même question pour le dernier sondage du Commissariat aux langues officielles, réalisé en mars 2016 et rendu public en octobre 2016… En période électorale, on réussit à nous infliger des sondages quotidiennement, presque en temps réel…

* Une constatation ensuite. La proportion de répondants bilingues au Québec s'établit à 53% de l'échantillon total, alors que selon le recensement de 2011, environ 42% de la population québécoise connaît le français et l'anglais. Les bilingues sont donc surreprésentés dans l'échantillon global, à moins que le profil linguistique du Canada n'ait beaucoup évolué en cinq ans. Les unilingues français sont légèrement sous-représentés, alors que anglophones unilingues sont légèrement surreprésentés…

* Une autre donnée assez remarquable… Au Québec, 29 répondants au sondage se sont dits de langue maternelle anglaise, et 32 Québécois ont répondu au sondage en anglais. Hors Québec, 45 répondants se sont déclarés de langue maternelle française, mais seulement 13 d'entre eux ont répondu au sondage en français (7 au Nouveau-Brunswick, 6 en Ontario)… Quelle conclusion doit-on en tirer?

* Le sondage Ad Hoc révèle que 75% des Québécois sont intéressés à en savoir davantage sur les francophones des autres provinces. C'est un pourcentage substantiellement plus élevé que celui des autres provinces, où les majorités anglophones connaissent assez peu leurs collectivités acadiennes et canadiennes-françaises… En tous cas, si ce coup de sonde vise juste, les médias québécois auraient avantage à suivre d'un peu plus près l'actualité francophone ailleurs au pays…

* Assez bizarrement, le sondage indique que les Québécois sont également intéressés, plus que les répondants des autres provinces, à mieux connaître les «communautés francophones» du Québec… Personne n'explique par ailleurs ce qu'est au juste une «communauté francophone» (il y en aurait plus d'une) au Québec… Drôle d'expression que je n'ai jamais vue auparavant… Nous sommes une nation, un peuple, à la limite une collectivité… mais un groupe de communautés?

* Autre fait bizarre. On sonde les francophones et les anglophones sur leur degré d'intérêt pour la consommation de produits culturels (spectacles, musique, livres, films, télé) en anglais, mais pas pour des produits culturels en français (à moins qu'ils n'aient pas révélé les résultats…). Quoiqu'il en soit, c'est étrange, les Québécois s'intéressent davantage aux produits culturels en anglais que les anglophones des autres provinces (64% au Québec contre 36% en Ontario). Je dois avouer que je n'y comprends rien…

* Une dernière observation. Les sondeurs préfèrent la «première ou principale langue officielle» (PLO) comme critère d'identification d'un répondant à un groupe linguistique. Au Québec, cela fait passer l'échantillon anglophone de 29 (selon la langue maternelle) à 53 (selon la PLO). Hors Québec, l'échantillon francophone rétrécit de 45 (langue maternelle) à 30 (PLO). Ce critère fait ressortir le pouvoir assimilateur de l'anglais, tant au Québec que dans les autres provinces.

Je poursuis ma lecture des données mais l'impression générale laissée est la suivante...

Les francophones (très majoritairement québécois) et les anglophones du Canada appuient majoritairement (avec certains écarts) les grands principes de la dualité linguistique canadienne. Cependant, quand vient le temps de l'intégrer dans sa vie quotidienne ou de consentir des efforts d'acquisition de la langue seconde, l'immense majorité des anglophones ne sont plus dans le coup… Peut-être estiment-ils qu'ils n'en ont pas vraiment besoin...

En tout cas, c'est la recette parfaite pour l'assimilation des francophones, à court et à moyen terme dans les régions où ils sont minoritaires, et à plus long terme au Québec même…








1 commentaire:

  1. Écoutez, Pierre, je viens de terminer la lecture du petit dernier de Yves Beauchemin: "Les empocheurs" 2016. Je mêle sans doute réalité et fiction mais le texte de Beauchemin me trouble au plus haut point. L'intrigue révèle le plan libéral de désigner Montréal ville bilingue à l'encontre de la Loi 101... Lisez, vous verrez... Montréal est devenue MÉTROPOLE récemment. Que se brasse-t-il ente Coderre et Couillard? Qu'est-ce que cela implique en termes de langues. Vous direz que j'ai besoin de vacances...

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