la page une de La rotonde, octobre 1968...
La semaine dernière, le mardi 25 avril, à Ottawa, j'étais l'un des cinquante ou soixante participants à une «journée de réflexion» sur la dernière mouture du projet de création d'une université franco-ontarienne. Lancée avec beaucoup d'énergie en 2012 par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), cette campagne bien huilée a rallié en cours de route la Fédération de la jeunesse franco-Ontarienne (FESFO) et l'Assemblée de la Francophonie de l'Ontario (AFO).
En principe, l'idée est simple et parfaitement justifiable: s'assurer que les francophones de l'Ontario puissent avoir accès à un régime complet de programmes universitaires de langue française et, surtout, en obtenir la gouvernance. Depuis 1867, les Anglo-Québécois assument la pleine gestion de leurs institutions universitaires. Les Acadiens ont leur Université de Moncton depuis la fin des années 1960. Alors quel est le problème en Ontario? Pourquoi réclame-t-on toujours en 2017 des droits que d'autres minorités exercent depuis belle lurette?
Répondre à cette question n'a rien de facile... En 2014, les promoteurs du projet étaient divisés quant au modèle de gestion universitaire à proposer, ce qui a permis au gouvernement Wynne de sa faufiler, presque du bout des lèvres, sans budget, avec l'offre d'un seul mini-campus universitaire de langue française (quand???) dans la région de Toronto...
Les monstres sacrés bilingues...
Secundo, la ferme opposition des deux monstres sacrés bilingues, l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne à Sudbury, où logent l'immense majorité des étudiants universitaires franco-ontariens, constitue un obstacle formidable, d'autant plus que les administrations de ces deux universités ont des liens et des appuis bien plus puissants à Queen's Park que les militants du RÉFO, de la FESFO et de l'AFO...
Pour faire bouger le gouvernement de Mme Wynne, déjà impopulaire et craignant de subir une cuisante défaite au prochain scrutin, il faudrait une pression populaire du genre qu'on avait vu à l'époque de SOS Montfort, quand les francophones étaient prêts à dresser des barricades devant «leur» hôpital et alors que plus de 10 000 personnes avaient envahi le stade municipal pour crier: «Montfort fermé? Jamais!» Or, à l'extérieur d'un noyau convaincu d'étudiants et d'adultes dans les organisations qui militent pour l'université franco-ontarienne, ce type de mobilisation est présentement à peu près inexistant...
Pire, le temps joue contre les Franco-Ontariens dans cette course vers la gouvernance universitaire... L'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit la gestion scolaire francophone en milieu minoritaire (là où le nombre le justifie) au primaire et au secondaire. La création de collèges de langue française a suivi de peine et de misère à la fin des années 1980, bénéficiant de conjonctures favorables sur la scène politique et constitutionnelle canadienne. Mais rien n'a bougé au palier universitaire depuis les années 1960 malgré de multiples revendications franco-ontariennes, et cette fois, la Constitution, ne semble d'aucune utilité...
Par ailleurs, les données démographiques et socio-géographiques annoncent des jours sombres la collectivité franco-ontarienne, la plus importante minorité francophone hors-Québec. Un conférencier à la journée de réflexion du 25, s'appuyant sur les données de la plus récente analyse de Statistique Canada (projections jusqu'en 2036), a prédit que les effectifs franco-ontariens resteraient stables. Pas vraiment de croissance. S'il avait conjugué cette étude à une précédente, du même chercheur (Jean-Pierre Corbeil), en 2010, il aurait peut-être adopté un ton plus pessimiste, et donc plus urgent...
Tenir compte de l'exogamie
Le document Corbeil de 2010 évoquait entre autres un phénomène qui a été peu mentionné à la journée de réflexion: l'exogamie. Stéphane Dion, à un colloque de l'UQAM en 2012, affirmait que c'était le plus grand défi des minorités acadiennes et canadiennes-françaises à travers le pays. Selon Statistique Canada, près de 70% des jeunes Franco-Ontariens vivent dans des unions exogames (là où l'un des conjoints de parle pas le français) et trois enfants sur quatre issus de ces unions seront anglophones. Je ne suis pas fort en calcul mais j'ai peine à croire que l'immigration puisse combler les manques à gagner.
Un autre élément du dossier, essentiel pour l'avenir de l'Ontario français, manquait aux discussions du 25 avril: la disparition graduelle des quartiers francophones urbains (Ottawa, Cornwall, Sudbury, Welland, Windsor), particulièrement depuis les années 1960 et 1970... Il reste aujourd'hui plus de 100 000 francophones à Ottawa, mais ils ne forment une majorité dans aucun quartier de la ville, même pas dans la Basse-ville (le bastion traditionnel) et le secteur Vanier...
Déplacement des axes de force?
Les forces franco-ontariennes les plus dynamiques se sont traditionnellement enracinées dans les villes, notamment à Ottawa et Sudbury. Désormais elles devront compter davantage sur les petites municipalités et les régions rurales (dans l'Est et le Nord) où les francophones restent majoritaires. La relative absence de réseaux entre ces régions dispersées créera d'énormes difficultés que seul l'Internet (Facebook, Twitter, etc.) semble avoir des chances de surmonter. Et ça reste à voir... Il faudrait sans doute tenter de harnacher la force d'une page Facebook comme Fier d'être Franco-Ontarien, qui regroupe plus de 6000 adhérents des quatre coins de la province...
Enfin, lors de la journée de réflexion du 25 avril, on a à peine scruté les enjeux médiatiques. D'abord, la majorité des Franco-Ontariens suivent les journaux, la télé, la radio et l'Internet en anglais, et aucun média de langue anglaise ne couvre vraiment les dossiers franco-ontariens. Ils n'étaient pas à la journée de réflexion, en tout cas...
Quant aux médias...
Et parmi les médias de langue française, entre Radio-Canada, #OnFr (TFO), Le Droit, des hebdos et stations de radio, un certain auditoire est rejoint mais il est fort incomplet. Sans compter que la couverture médiatique est au mieux irrégulière, particulièrement au navire amiral historique, Le Droit. Ce que tout cela signifie, c'est que le message véhiculé par le RÉFO, la FESFO et l'AFO n'a pas eu, n'a pas et n'aura peut-être pas les effets escomptés sur le vaste public visé. Ni dans les milieux francophones, ni chez les Anglos...
Journée de réflexion féconde
La journée du 25 avril réunissait des professeurs, des représentants d'associations, des administrateurs scolaires, des étudiants et étudiantes, de tous les coins de l'Ontario. Les discussions étaient intéressantes et fécondes, dans la mesure où l'on semble vouloir rétablir l'une des cibles premières: une gouvernance francophone sur l'ensemble de l'offre universitaire en français, même si cela signifie une remise en question de la structure actuelle des deux monstres bilingues. D'un certain sens, le dossier progresse à l'interne, essentiellement dans les milieux franco-ontariens militants.
Mais ce gouvernement ne bougera pas, ni son successeur, qui qu'il soit (peut-être le NPD???), et la coalition AFO-RÉFO-FESFO n'a pas - pour le moment - les moyens de brandir toute la puissance de l'opinion publique. Compte tenu que l'on semble s'entendre désormais sur l'objectif final (bit.ly/2pGUhBH), il est grand temps pour l'état-major franco-ontarien de réfléchir à l'étape suivante: trouver des stratégies d'action porteuses de résultats à très court terme... Attendre dix ans dans l'espoir du grand déblocage n'est plus vraiment une option...
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NB - J'ai dû quitter avant la fin du dernier débat de l'après-midi à la journée de réflexion du 25 avril. Si on y a mis à l'avant-plan certains points que j'aborde ci-dessus, je compte qu'on me le fera savoir...
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