mardi 30 octobre 2018

Faculté de médecine à Gatineau. La CAQ avait «exigé» que tout se fasse en français... Et maintenant?


Personne, ici en Outaouais, ne croit que la CAQ puisse réaliser sa plus grosse promesse régionale: la construction d'un nouvel hôpital de 170 lits à Gatineau d'ici cinq ans. Quand on ne réussit même pas à recruter suffisamment de personnel pour combler les postes disponibles dans les trois hôpitaux existants, comment peut-on espérer trouver les centaines de médecins, d'infirmières, de techniciens et autres préposés essentiels au fonctionnement d'un quatrième centre hospitalier dans la métropole de l'Outaouais?

Enfin, on verra... J'imagine qu'un miracle est toujours possible...

Il y a cependant un important engagement en santé, fait en septembre 2016, que le nouveau gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) est en mesure de remplir. Quand les libéraux de Philippe Couillard avaient annoncé l'ouverture d'une faculté de médecine à Gatineau d'ici 2020 sous l'égide de l'Université McGill, ils ont dû avouer que la totalité de l'enseignement en classe (la première année et demie du programme) serait dispensée en anglais seulement, et ce, pour au moins quelques années.

Cette proposition scandaleuse d'enseigner la médecine en anglais à des francophones québécois ne dérangeait nullement nos cinq députés outaouais du PLQ. C'est ça ou rien, nous avait lancé la députée de Hull, Maryse Gaudreault. Et le premier ministre Couillard avait eu le culot d'ajouter que les étudiants de Gatineau devaient se compter chanceux d'obtenir leur formation d'une université aussi prestigieuse que McGill... Comme attitude de colonisé, on ne trouvera guère mieux...

Quelques voix politiques d'opposition - dont celle de la CAQ - s'étaient élevées pour défendre le droit évident des étudiants francophones du Québec de pouvoir entreprendre leurs études de médecine entièrement en français. La porte-parole de la CAQ en matière de protection et promotion de la langue française, Claire Samson, avait fait la déclaration suivante, publiée dans le quotidien Le Droit dans son édition du 22 septembre 2016:

«Le Parti libéral minimise toujours la défense et la primauté du français. Il trouve toujours des excuses. La CAQ exige du gouvernement et de l'Université McGill de corriger la situation et d'offrir des cours en français lors de l'inauguration de la faculté de médecine en 2020.»

La journaliste Justine Mercier rapporte aussi que Mme Samson proposait de retirer le mandat d'enseignement confié à McGill et de l'accorder à une autre université «si McGill ne peut franciser son programme à temps pour l'ouverture prévue en 2020».

Nous voici maintenant à l'automne 2018, la CAQ est aux pouvoir et il n'y a toujours pas de garantie de programme en français pour 2020. Le temps est venu pour le parti de François Legault de remplir sa promesse, bien plus facile à réaliser que la construction d'un nouvel hôpital... Il y a deux ans, la CAQ exigeait que tout l'enseignement magistral à la nouvelle faculté soit donné en français. Eh bien maintenant qu'il en a le pouvoir, qu'il l'impose! Et tant qu'à y être, pourquoi ne pas tout de suite assigner le mandat d'enseignement à une université de langue française, où les programmes sont conçus par et pour les francophones?

L'Outaouais a désormais trois députés de la CAQ: Robert Bussière (Gatineau), Mathieu Lévesque (Chapleau) et Mathieu Lacombe (Papineau). Que dites-vous, messieurs? La balle est maintenant dans votre camp...

Les syndicats CSN et l'«agonie» de la presse écrite



«Les médias de la presse écrite sont à l'agonie. Cependant, ils trouvent encore la force de lutter pour leur survie et pour le droit du public à l'information, un fondement de notre démocratie.»

«Le mal a pris naissance avec l'arrivée des géants du Web comme Google et Facebook, qui accaparent la publicité autrefois placée dans les médias.»

Ces affirmations sont endossées par 28 syndicats CSN de travailleurs de l'information dans une lettre publiée ces dernières semaines (le 24 octobre dans Le Droit... voir bit.ly/2CC3cNb). Quand j'ai lu la déclaration syndicale collective, et ces extraits en particulier, je suis resté bouche bée... pour ne pas dire plume bée...

Si je l'avais lue avant de connaître les noms des signataires, j'aurais pu croire qu'il s'agissait d'un communiqué des entreprises de presse elles-mêmes, pas de leurs syndicats... et surtout pas de syndicats de la jadis combative CSN...

Ce que j'ai compris en décortiquant cette prise de position syndicale, c'est que les propriétaires et les directions de leurs médias se démènent comme des diables dans l'eau bénite pour assurer le droit du public à l'information, et qu'ils le font pour protéger les assises de notre démocratie. Je n'en reviens pas...

Mais il y a pire. D'abord ce diagnostic général d'agonie pour les médias de la presse écrite. Oui des journaux sont à l'agonie et d'autres ont de sérieux problèmes, mais d'autres restent à flot et d'autres encore engrangent toujours des profits. Allez-vous nous faire croire que Le Journal de Montréal et Le Devoir, entre autres, râlent leurs derniers râlements?

Secundo, cette affirmation voulant que «le mal» ait pris naissance avec l'arrivée des géants du Web depuis l'an 2000... Le Web n'existait pas quand les chaînes Southam et Thomson ont fermé l'Ottawa Journal et le Winnipeg Tribune en 1980, éliminant un concurrent dans chaque ville. Le Web n'existait pas quand Conrad Black et ses sbires ont charcuté la salle des nouvelles de mon quotidien, Le Droit, en 1988...

Les mouvements de compression dans les salles des nouvelles étaient en marche depuis des décennies dans des empires médiatiques plus soucieux de sauvegarder leurs marges de profit que d'assurer la qualité du produit. Les barons d'entreprise se sont toujours arrogé le droit de placer leurs bilans financiers devant le droit (constitutionnel) du public à l'information. Et on voudrait aujourd'hui les présenter seulement comme des victimes de Google et Facebook? Sérieusement?

Le constat syndical du moral des troupes dans les salles de rédaction me semble à peu près juste. Coupes de personnel jusqu'à 50%, enquêtes journalistiques abandonnées, toujours faire plus avec moins (et plus vite), de déchirants choix de couverture quotidiens, départ de jeunes journalistes talentueux faut de débouchés. Tout ça à cause de revenus chipés par quelques géants du Web? Les chaînes propriétaires de ces journaux (et leurs syndicats tant qu'à y être) n'ont-ils pas au moins un examen de conscience à faire avant de pitcher des roches à Google/Facebook?

Finalement, la solution, pour le moment, semble être de quêter des fonds auprès du gouvernement Trudeau. Des syndicats qui demandent au trésor public de mettre des millions dans la cagnotte de leurs patrons, en espérant que lesdits propriétaires s'en servent bien. N'auraient-ils pas pu, au moins, exiger d'être partie prenante à cette entente et de se conserver un droit de regard sur la répartition des fonds, pour s'assurer que quelques millions ne finissent pas comme primes de fin d'année aux administrateurs des empires?

Le problème, c'est que la crise des médias durera. On semble miser à moyen terme sur le développement de «nouveaux modèles d'affaires viables». On pourrait ajouter l'achat de quelques billets de Lotto Max... On ne s'en sortira pas sans examen exhaustif des causes réelles du bourbier actuel, qui remontent facilement aux années 1970, bien avant l'ère des Google-Facebook-Twitter-etc. Réduire le nombre d'analphabètes fonctionnels (autour de 50%) et habituer les jeunes à aimer la lecture de livres et de journaux imprimés auraient des effets plus bénéfiques qu'une succession de nouveaux modèles d'affaires aussi inefficaces les uns que les autres.

Quant aux syndicats, il me semble qu'ils feraient bien mieux de porter autrement sur la place publique la promotion de valeurs qu'ils ont toujours défendues. Et surtout de les présenter comme leurs valeurs, pas celles de propriétaires, de chaînes et d'empires qui ont toujours misé davantage sur l'abondance de l'encre noire. 

Je souscris cependant à la conclusion de leur communiqué: «L'heure est maintenant à l'action».


lundi 29 octobre 2018

L'indépendance devant un mur de briques...

Photo La Presse

En avril 2016, j'avais participé à une assemblée des «OUI Québec» au café-bar de l'Université du Québec en Outaouais (UQO), à Gatineau. Les quelque 70 personnes présentes avaient chaudement applaudi les discours de deux dirigeants de OUI Québec, Claudette Carbonneau et Pierre Curzi... mais comment aurait-il pu en être autrement? C'étaient tous, toutes, des militants. Des convaincus prêchant à des convaincus...

Je me souviens m'être demandé comment Mme Carbonneau et M. Curzi se seraient débrouillés avec des inconnus dans la rue ou dans l'autobus que j'avais pris pour me rendre à l'UQO. Bonjour, Monsieur, Madame, j'aimerais vous parler de l'indépendance du Québec? Non, pas vraiment... Et pourtant, ce sont justement ces inconnus qu'il faudra rallier pour qu'un bon jour, le Québec puisse devenir un pays avec l'appui d'une majorité des citoyens. 

Que diraient le duo Carbonneau-Curzi à ces inconnus si ces derniers baragouinent un français truffé d'anglicismes, s'ils veulent précipiter leurs enfants en apprentissage intensif de l'anglais, s'ils n'ont jamais entendu parler des Patriotes, de Louis Riel, du Règlement 17 ou de la crise d'octobre, s'ils ne suivent pas l'actualité politique québécoise ou canadienne, si leur univers gravite autour de Facebook, Instagram, Twitter ou quelque autre truc du genre, ou encore s'ils sont surtout préoccupés à arrondir les fins de mois pour assurer le nécessaire au foyer? Ils frapperont un mur de briques...

La langue française

Pour l'indépendance comme pour un casse-tête, les pièces clés doivent être placées pour que l'ensemble du projet apparaisse clairement. Avec un taux d'analphabétisme fonctionnel frisant les 50% chez les francophones et l'anglicisation croissante de notre seule métropole, comment pouvons-nous espérer bâtir un État dont la langue et la culture françaises sont le principal ciment identitaire? L'excellence du français parlé et écrit, à l'école, au travail, partout au Québec, constitue un préalable au débat ultime sur l'indépendance. Nous n'en sommes pas là.

La connaissance de l'histoire

L'apprentissage de l'histoire compte aussi parmi les pièces maîtresses du projet souverainiste. Sans connaissance solide de notre passé, comment pouvons-nous intelligemment décortiquer le présent et en tirer des choix d'avenir informés? Les adversaires d'un Québec souverain craignent l'enseignement de l'histoire, avec raison. Une simple énumération chronologique des principaux évènements, sans commentaire aucun, suffirait pour éveiller la conscience nationale des francophones du Québec... et d'ailleurs au Canada. Si on se laisse convaincre qu'il s'agit là seulement de «vieilles chicanes» sans intérêt, notre «petit village encerclé» du bassin du Saint-Laurent sombrera dans l'oubli après un combat inutile de plus de deux siècles...

Les médias

Par ailleurs, en 45 ans de journalisme, j'ai appris qu'en démocratie, un public bien informé est plus susceptible de prendre de bonnes décisions. Or, dans le bourbier médiatique actuel, avec la surmultiplication de sources d'information plus ou moins fiables, avec les coupes incessantes dans les salles des nouvelles (quand ce n'est pas carrément une fermeture), avec la puissance des machines de propagande privées et publiques, s'informer peut devenir tout un défi. Depuis un demi-siècle, les indépendantistes savent à quel point le prisme médiatique les a déformés. Et le problème semble s'aggraver en ce début de 21e siècle.

Je vous parle d'un temps...

À l'époque où ma génération s'agitait contre la guerre du Vietnam, manifestait pour l'indépendance du Québec, rangeait pour de bon les épouvantails religieux, virait les campus universitaires sens dessus dessous, les gens s'écrivaient, se parlaient, se rassemblaient, lisaient des livres et des journaux imprimés, allaient s'informer à la bibliothèque. Aujourd'hui, et peut-être pour de bon, toutes ces activités peuvent être concentrées dans un petit ordinateur ou téléphone que l'on transporte toujours avec soi.

La culture des écrans

La culture des écrans a fondamentalement modifié l'expression d'opinion et l'acquisition de connaissances au cours des 20 dernières années. À mon plus récent trajet en autobus, à peu près personne ne se parlait. Tout le monde pitonnait... En file à l'épicerie, l'autre jour, la femme devant moi avait un oeil sur la caissière et l'autre sur le texto qu'elle tapait d'une main à l'écran de son cellulaire... Quant à mon expérience de sept ans avec Facebook et Twitter, je peux difficilement dire que je l'ai trouvée édifiante sur le plan du dialogue et des communications. À l'écran, il me semble, le soi l'emporte beaucoup trop souvent sur le nous. Pour un projet collectif comme la souveraineté, c'est là un obstacle de taille... On ne verra guère de milléniaux aux assemblée de OUI Québec...

Bien sûr, tête grise que je suis, je continuerai dans la mesure de mes faibles moyens, pour le temps qui me reste, à défendre le caractère essentiel du projet indépendantiste. Mais je suis sans illusions. Si nous devenons un peuple de quelques millions de zombies d'écran parlant un franglais approximatif, ignorant presque tout de son passé... nos oeuvres musicales et littéraires, nos faits et gestes (glorieux ou pas), nos combats inégaux, nos quatre siècles d'existence finiront aux archives et sur les tablettes des musées.

Awignahan!


mardi 23 octobre 2018

Denise Bombardier et la francophonie hors Québec

Les Québécois s'informent trop souvent mal ou peu de la réalité des minorités canadiennes-françaises et acadiennes. Mais l'inverse est tout aussi vrai. Les minorités canadiennes-françaises et acadiennes, de plus en plus minoritaires, informent mal ou peu le Québec. Les commentaires de la journaliste Denise Bombardier à l'émission Tout le monde en parle (TLMEP) et les réactions qu'ils ont suscités hors Québec en sont une illustration parfaite.

Mme Bombardier, pour qui j'ai par ailleurs la plus haute estime, n'avait vraiment pas fait ses devoirs quand elle a déclaré: «À travers le Canada, toutes les communautés francophones ont à peu près disparu. Il en reste encore un peu en Ontario. Au Manitoba, je suis allée encore au mois de janvier chez les Métis, on ne parle plus français.» Une autre affirmation qu'on pourra ranger au panthéon de l'incompréhension, avec les dead ducks de René Lévesque...

Que l'assimilation fasse des ravages dans les provinces à majorité anglophone ne fait pas de doute. Les recensements fédéraux en font un constat chirurgical à tous les cinq ans. Oui, les francophones minoritaires perdent constamment du terrain, mais ils ne sont pas près d'être «disparus»... De fait, la langue française se porte mieux dans la péninsule acadienne du Nouveau-Brunswick et certains coins du Nord et de l'Est ontarien que dans le West Island montréalais et le Pontiac québécois.

Le fait que Mme Bombardier, qui navigue depuis fort longtemps dans les milieux de l'information, soit aussi déconnectée dans un domaine névralgique pour l'avenir du pays en dit long sur la piètre couverture de la francophonie hors Québec par l'ensemble des médias québécois et anglo-canadiens. Son intervention à TLMEP serait sans doute passée inaperçue si Radio-Canada (qui a des journalistes en milieu minoritaire) et TFO (Ontario) n'avaient pas ratissé les médias sociaux et les porte-parole francophones à travers le pays pour recueillir des commentaires croustillants et parfois aussi erronés que ceux de Denise Bombardier...

La première citation de l'article de Benjamin Vachet dans #ONFR (TFO) est un classique d'information tordue à souhait. «Madame, 2,7 millions de francophones (hors Québec) vous écoutent et comprennent», lance Ricky Richard, un politicologue acadien qui a oeuvré pendant plus de 10 ans au Commissariat fédéral aux langues officielles. Ce 2,7 millions, repris régulièrement par la FCFA (Fédération des communautés francophones et acadienne), comprend tous les francophones hors Québec (environ 950 000 selon le critère de la langue maternelle) ainsi que quelque 1,7 million d'anglophones et allophones qui comprennent le français... 

En retournant ce subterfuge, il faudrait aussi permettre à la majorité Canadian de compter comme anglophones tous les francophones minoritaires bilingues (80% et +?) ainsi que tous les Québécois francophones bilingues (plus de 3 millions)... Selon cette méthode de calcul trompeuse, le Québec serait à près de 45% anglophone! Si encore la déclaration dans le texte d'#ONFR provenait d'un non-initié, on pourrait l'excuser. Mais d'un vétéran du bureau du Commissaire aux langues officielles, non!

De plus, quand M. Richard affirme que ces 2,7 millions de «francophones» écoutaient Denise Bombardier à TLMEP, il sombre au pays des merveilles. Selon une étude de Statistique Canada, publiée en 2010, plus de 60% des Franco-Ontariens (la plus importante minorité francophone au Canada) regardent la télé uniquement ou surtout en anglais. Avec la multiplication de l'offre et la fragmentation des auditoires, j'ai peine à croire que la cote d'écoute de TLMEP dépasse de beaucoup le seuil des 100 000 ou 150 000 à l'extérieur du Québec...

Deuxième citation tirée du texte d'#ONFR. Elle est attribuée à Hugues Beaudoin-Dumouchel, un animateur et chroniqueur d'Ottawa. «Sur les francophones hors Québec, Madame Bombardier dit à TLMEP: "Y'en a un petit peu en Ontario". Y'en a 600 000, calvaire, je lui suggère d'en rester à l'écriture parce que les mathématiques, c'est clairement pas son domaine.» Ce 600 000 est contestable lui-même, provenant de la définition «inclusive» ontarienne qui gonfle les effectifs. Selon le recensement de 2016, quelque 504 130 Ontariens ont le français comme première langue officielle parlée (c'est 490 715 selon la langue maternelle, et à peine  277 045 selon le critère de la langue le plus souvent parlée à la maison). Rien là-dedans n'approche de 600 000...

Troisième citation, de la politicologue Stéphanie Chouinard, du Collège militaire royal du Canada à Kingston, Ontario: «Il y a 1 000 000 de francophones hors Québec - autant qu'il y a d'anglophones au Québec. 1 000 000 à se battre au quotidien pour la survie du français»... Dans le texte de Radio-Canada, le reporter a interviewé Denis Simard, président de l'Assemblée communautaire fransaskoise qui a fait une déclaration similaire: «Il y a, dit-il, un million de personnes qui font un combat tous les jours pour parler en français à l'extérieur du Québec».

Je ne disputerai pas le chiffre d'un million, mais moins de 600 000 de ce million ont le français comme langue d'usage (langue la plus souvent parlée à la maison), et le niveau de militantisme chez les francophones hors Québec est plutôt faible à l'exception des élites dirigeantes et de pochettes de résistance. En Saskatchewan, sur quelque 15 000 francophones, moins de 4 000 ont le français comme langue d'usage à la maison. Alors pour «1 000 000 à se battre au quotidien», je pense qu'on repassera...

L'article de Radio-Canada cite également Nicole Forest Lavigne, du village «francophone» de St-Pierre-Jolys au Manitoba: «Elle ne sait pas de quoi elle (Mme Bombardier) parle. On vit en français, il y a des semaines où on ne prononce par un mot d'anglais», affirme l'ancienne présidente de la Société de la francophonie du Manitoba. D'abord l'appellation village «francophone», qui semble provenir de l'auteur du texte. Celui-ci aurait eu avantage à vérifier cette information parce qu'au recensement de 2016, le nombre d'anglophones est désormais supérieur à celui des francophones. Sur une population de 1090 habitants, 490 sont de langue maternelle française, et à peine 375 ont le français comme langue d'usage. Alors je veux bien croire que Mme Forest Lavigne réussit à vivre en français, mais un nombre toujours croissant de ses concitoyens francophones n'y arrivent plus.

J'ai toujours eu la plus grande admiration pour ces Canadiens français et Acadiens qui défendent avec acharnement depuis 1867 la langue française contre un pays qui - contrairement à ce que prétend Jean Chrétien - les a trop longtemps étouffés, persécutés même. Étant moi-même originaire d'Ottawa et ancien militant franco-ontarien, je peux apprécier le combat inégal qu'ils livrent et la frustration ressentie quand des coups bas arrivent du Québec. Mais répondre en vociférant et en brossant un tableau trompeur de la réalité franco-canadienne n'est pas le meilleur moyen de la faire apparaître sur les radars québécois.

En 2015, l'ancienne présidente de la FCFA, Marie France Kenney, peignait un portrait beaucoup plus sombre et, je crois, réaliste de la situation lors de sa comparution devant le Comité parlementaire des langues officielles: «À plusieurs endroits, a-t-elle déclaré, ce n'est qu'une question de temps avant que nos communautés tombent en dessous du seuil requis pour recevoir des services et des communications en français des bureaux fédéraux. Et quand notre poids relatif sera tombé encore plus bas, que remettra-t-on en question à ce moment? Nos écoles de langue française?»

Remarquez, l'intervention de Mme Kenney n'a pas davantage eu l'effet que j'aurais souhaité dans les médias et le public québécois...

Peut-être le temps est-il venu de convoquer de nouveaux États généraux de la francophonie québécoise et canadienne. Faudrait sans doute se parler ailleurs que dans des médias tout croches...







samedi 20 octobre 2018

Ils sont des nôtres!

Texte de blogue mis en ligne le 3 juin 2016 mais que j'aurais pu aussi bien signer en octobre 2018...

Photo chga.fm

J'en ai plein le casque de voir notre «nous» malmené par ces soi-disant gardiens de la multiculture officielle, qui voient trop souvent chez les Québécois francophones - surtout ceux et celles qui sont «nationalistes» - une espèce de tribu xénophobe, raciste sur les bords, constamment méfiante à l'endroit de tout ce qui sonne «étranger»…

Cette perception est fausse. Notre «nous» n'est ni meilleur, ni pire que les autres «nous» de la planète. Historiquement, notre «nous» s'est montré ouvert au métissage et accueillant pour les nouveaux-venus prêts à respecter notre spécificité. Ce «nous» a évolué au fil des siècles, et ses valeurs se sont lentement forgées dans un creuset où les vieux héritages de France se sont enrichis au contact intime des cultures autochtones et d'apports d'autres nationalités.

La vieille notion de Québécois ou de Canadien français de souche est depuis longtemps dépassée. Cette image de la grande famille canadienne-française tricotée serrée, blanche et catholique, a été colportée comme un étendard jusqu'à la fin des années 1950, mais il suffisait de gratter un peu sous la surface pour démontrer qu'elle était bien plus l'instrument d'une idéologie socio-politique et religieuse que le fidèle reflet de la réalité.

Tous savent que la composante catholique de l'ancien «nous» a été éjectée avec fracas et à la vitesse de l'éclair dans les années 1960, même si son influence culturelle se fait sans doute sentir plus qu'on ne le croie, généralement, au début du 21e siècle. Mais même à l'époque où l'emprise du clergé semblait quasi totale, disons de 1850 à 1950, l'Église n'a jamais pu éteindre les braises d'une vieille résistance bien laïque, ayant atteint son paroxysme au temps des Patriotes.

En dépit des sermons et des menaces, les nôtres donnaient des noms interdits - Napoléon, Émile - à leurs nouveaux-nés. La musique et la danse, arrosées d'un p'tit coup, avaient l'allure d'un défi permanent à l'autorité du clergé. Et s'il allait à la messe le dimanche, le bon peuple prenait le nom et les objets de son Dieu en vain le reste de la semaine avec des sacres religieux uniques au monde. Et à ceux et celles qui nous grondent quand on fronce les sourcils devant des symboles d'autres religions, puis-je rappeler les anciennes railleries envers nos propres «mangeux de balustre»...

Sur le plan ethnique, dès le 17e siècle, et par la suite, les alliances entre Franco-Canadiens et Autochtones ont produit des tas de mariages et d'unions de fait. Des nations de Métis en sont témoins. L'arrivée de Britanniques après la conquête et de milliers d'immigrants réfugiés d'Irlande et d'Écosse au 19e siècle a aussi coloré à sa façon la démographie régionale du Québec ainsi que l'ensemble de notre «nous»…

Daniel Johnson, premier ministre sous le gouvernement de l'Union nationale de 1966 à 1968, celui qui lança le célèbre slogan Égalité ou indépendance et qui fut solidaire du général De Gaulle après son Vive le Québec libre, avait pour père Francis Johnson, un immigrant irlandais anglophone. Oserait-on prétendre que Daniel Johnson n'était pas membre à part entière de notre «nous»? Ou Mary Travers, également fille d'Irlandais, alias La Bolduc? Ou Pierre Trudeau? Ou Jean (John) Charest?

Depuis plus d'une centaine d'années, avec la présence croissante et très visible de nationalités et de races autres que les Autochtones, les Français et les Britanniques, on voit aujourd'hui dans nos familles, dans les rues, les cours d'école et les milieux de travail de nouveaux arrivants de tous les continents. Ceux et celles qui ont choisi de vivre avec nous en français, de plus en plus nombreux, font désormais partie de notre «nous»…

Quand Nicola Ciccone, d'origine italienne, chante pour défendre la langue française en clamant qu'il se souvient «de tous ces chants le long des berges du Saint-Laurent», n'est-il pas l'un des nôtres, voire un éloquent porte-parole de notre «nous»? Et que dire des Boucar Diouf, des Dany Laferrière, Normand Brathwaite, Fatima Houda-Pepin, Osvaldo Nunez, Akos Verboczy et combien d'autres, devenus des «tricotés serrés» autant que les vieux «de souche»…

Ce qui «nous» rassemble et «nous» unit, désormais, depuis que l'ethnie et la religion ont perdu leur ascendant, ce sont la langue et la culture françaises. Elles servent de lien de communication avec la vieille mère-patrie et l'ensemble de la francophonie mondiale, mais aussi de véhicule à l'expression originale de notre «nous» sur tous les plans - politique, économique, scientifique, musical, littéraire, etc. Le français, déjà langue nationale, devenu langue commune et officielle, cimente notre «nous».

Sa défense et sa promotion sont intimement liées à nos valeurs de liberté, de laïcité, de justice, de partage et de démocratie. À la fois belle et rebelle, la langue française ouvre la porte à une vision de notre histoire, de notre géographie, de nos oeuvres, de nos gens d'ici et d'ailleurs. On comprend alors que notre «nous», comme celui de chaque nation, petite ou grande, reste un élément précieux, voire essentiel, de la diversité planétaire. Et qu'à ce titre, son droit à l'existence et à une pleine expression politique demeure un objectif noble, ouvert sur le monde entier.

La preuve est abondamment faite, depuis des siècles, que les nouveaux-venus peuvent, sans nier leur spécificité, trouver notre «nous» valorisant, au point de s'y associer, de l'enrichir et de participer à son cheminement historique. Dès lors et pour toujours, ils sont des nôtres.





samedi 13 octobre 2018

Les 50 ans du PQ. «Ce parti est à ses membres aussi sûrement que le Québec est aux Québécois.» - René Lévesque, 14 octobre 1968


Le Parti québécois a 50 ans. Un vieux parti à l'agonie, disent de nombreux fossoyeurs. Un parti fondé à une époque révolue, taillé sur mesure pour cette époque révolue. Un parti qui a gouverné et perdu deux référendums. La société a changé, le monde a changé. Le temps est venu de chercher ailleurs, de passer à autre chose.

Voilà à peu près ce que j'entends ces jours-ci. Et si tout cela n'était un astucieux mélange de factuel et d'opinion dont on a fait une mixture toxique de conclusions perçues, jusque dans les médias, comme des évidences? S'il me faut retenir un seul enseignement ans de mes 40 et plus années de journalisme, c'est qu'il n'existe rien d'évident. Tout, absolument tout, doit être vérifié, critiqué, évalué et revérifié. 

Alors je pose la question. Le PQ est-il démodé? Le Québec des années 60 et 70 conserve-t-il sa pertinence pour l'analyse des conjonctures actuelles et futures? Les préoccupations de notre petit peuple d'Amérique ont-elles évolué à ce point? Le monde d'aujourd'hui est-il différent au point de reléguer en permanence aux livres d'histoire les enjeux qui ont façonné le PQ d'octobre 1968?

Les indépendantistes étaient alors divisés, même après la fondation du Parti québécois. Le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) campait solidement à sa gauche, et les rapports entre les chefs des deux formations était tendus. Le taux de natalité des Québécois francophones était en chute libre et l'immigration constituait déjà un facteur inquiétant d'anglicisation. Le statut du français au travail et en éducation suscitaient de vifs débats. Le Québec tout entier était en processus accéléré de laïcisation. Un sinistre président (Richard Nixon), qui serait par la suite évincé, trônait à Washington et un Trudeau arrogant régnait en adversaire très hostile à Ottawa. 

Vous voyez au moins quelques similitudes? Moi si! En tous cas, suffisamment pour retourner à certaines déclarations de l'époque et se demander si leurs auteurs pourraient toujours les prononcer en 2018. Je vous en laisse juges...

René Lévesque, cité dans Le Devoir du 15 octobre 1968:

«C'est un très beau nom (Parti québécois) que nous venons de choisir. C'est le plus beau nom pour un parti politique. Il nous impose une écrasante responsabilité additionnelle. Il ne faut pas jouer avec le nom du pays. Il y a des gens sincères qui ne sont pas souverainistes et qu'il ne faut pas heurter ou repousser. Il faut porter le nom de notre parti avec dignité, sans commercialisme, avec intégrité, jusqu'à ce qu'il ait joué son rôle et qu'il ne soit plus nécessaire, c'est-à-dire jusqu'au jour de l'indépendance, alors que nous serons tous devenus des Québécois.»

Pierre Bourgault, au moment de saborder le RIN pour faire l'unité indépendantiste au sein du PQ, cité dans Le Devoir du 28 octobre 1968:

«Nous n'avons pas le droit d'aller au Parti québécois pour y semer des difficultés. Le PQ sera et devra être notre parti autant que le RIN le fut pendant huit ans. Nous avons une seule arme: la générosité; nous affrontons un seul danger: la peur, la peur de nous-mêmes, la peur de l'inconnu qui nous attend, la peur de nos faiblesses.»

René Lévesque, dans la série de volumes L'humanité en marche, début années 1970:

«Aux alentours de 1980, la dernière grande vague de natalité d'après-guerre aura atteint l'âge adulte et la société québécoise, pendant un nombre d'années dont on ne voit pas encore la fin, plafonnera numériquement. Dans un pays fédéral dont la politique d'immigration tend naturellement à renforcer la majorité anglophone, elle aurait alors toutes les chances de décliner et de commencer à subir cette assimilation par la noyade, vieux rêve du conquérant que seule notre ancestrale "revanche des berceaux" empêcha jadis de se concrétiser.»

«La société québécoise ressemble un peu au homard en saison de mue, sa vieille carapace émiettée est, jusqu'à la repousse, extrêmement vulnérable.

«Charriée par tous les courants torrentueux de notre époque, la société québécoise a donc le besoin pressant d'un nouvel encadrement, de ce minimum vital de "consensus", faisceau toujours mystérieux des liens et des modèles qu'on accepte, sans quoi elle serait, plus que toute autre peut-être, en danger de désintégration irrémédiable.

«Or, ce consensus nouveau, ce cadre vital, on n'en voit nulle part la perspective solide si ce n'est dans l'indépendance.»

Voilà ce qu'on semble avoir perdu de vue ces dernières années: l'indépendance comme meilleure (seule?) solution aux problèmes pressants qui mettent en péril l'avenir, l'existence même, de la nation québécoise. Dans cette lutte qui n'en finit plus entre factions souverainistes pour savoir qui occupera la meilleure branche du meilleur arbre, on a trop souvent oublié la forêt - l'objectif d'un pays bien à nous.

Brian Myles écrivait cette belle conclusion dans son éditorial d'avant-scrutin, il y a quelques semaines:

«Pour l’heure, l’indépendance du Québec est l’équivalent d’une semence remise en terre. Elle se réalisera le jour où le peuple sera persuadé qu’il s’agit de la meilleure option pour assurer la pérennité de l’expérience historique singulière du Québec, cette terre d’expression, d’institutions et de culture francophones en Amérique.» 

Mais le peuple ne se persuadera pas tout seul, dans un brillant éclat de spontanéité. C'est pour cette raison qu'un parti souverainiste portant le nom de son peuple a été créé en 1968. René Lévesque déclarait d'ailleurs au congrès de fondation: «Ce parti est à ses membres aussi sûrement que le Québec est aux Québécois.»

Le défi de 1968 ressemble très-beaucoup à celui de 2018. Les enjeux aussi. Bien sûr le monde a changé, mais pas autant qu'on le prétend. Avant de reléguer aux oubliettes les stratégies et combats d'il y a 50 ans, peut-être y aurait-il lieu d'y chercher des enseignements...

Comme l'écrit si bien Alexandre Belliard dans sa chanson Papineau (chantée par Paul Piché en 2014) sur l'album Légendes d'un peuple - Le Collectif,

«Si l'indépendance n'est pas faite, c'est qu'elle sera toujours à faire»...