lundi 12 août 2019

L'insécurité linguistique, synonyme d'assimilation

Les gens ont souvent peur des mots. Exemple? J'ai 73 ans. Je suis vieux, comme tous ceux et celles qui ont franchi le cap de la soixantaine. Et j'en suis heureux! Mais il ne faut surtout pas utiliser le mot «vieux» ces jours-ci. On préférera «aîné». On parlera du «bel âge». De «l'âge d'or». Foutaise!

Et surtout n'allez pas évoquer les «sourds» et les «aveugles»... Ce sont plutôt des «malentendants» ou des «non-voyants». Les «pauvres» sont devenus des «défavorisés». Les «riches»? Trop lapidaire, on embellira avec l'expression «bien nantis». Et - un classique - les entreprises ne «congédient» plus, elles «rationalisent». Rectitude politique, quand tu nous tiens...

L'une des plus récentes additions? «L'insécurité linguistique» pour remplacer le terme, certes moins doux, d'«assimilation». D'aucuns contesteront ma perception mais je suis prêt à la défendre. Ce qu'on appelle désormais l'insécurité linguistique touche principalement les minorités canadiennes-françaises et acadiennes à l'extérieur du Québec, mais le phénomène se pointe déjà dans les milieux québécois en proie à l'anglicisation (quelques coins de la région montréalaise et de l'Outaouais).

Il s'agit, selon ses concepteurs, d'une espèce de «peur» de parler français, soit pour ne pas froisser une majorité anglophone environnante, soit par crainte «d'être jugé par d'autres francophones parce que (le) français parlé est différent et peut-être moins bon». Ainsi, le français serait en régression à travers le pays parce qu'on a peur de l'utiliser? Ben voyons...

Les recensements fédéraux taillent en pièces cette hypothèse à tous les cinq ans. On me permettra d'utiliser comme exemple la ville de Cornwall, située en Ontario mais tout près du Québec, où il existe depuis longtemps une présence appréciable de francophones. C'aurait pu être une autre localité où les francophones sont minoritaires. La tendance aurait été la même.

Dans cette ville en bordure du fleuve Saint-Laurent, plus de 42% des résidents connaissent le français et environ 23% de la population totale de 46,625 (recensement 2016) se dit de langue maternelle française. Or, quand on consulte les chiffres de langue d'usage, moins de 10% des gens de Cornwall parlent surtout le français à la maison...

C'est éloquent. À la maison, donc à l'abri de la société, ces francophones n'ont pas à craindre la majorité anglophone, et ne ressentent aucune peur d'être jugés pour la qualité de leur français parlé. Il n'y a pas d'insécurité linguistique avec ses parents, frères et soeurs. Et pourtant plus de la moitié des personnes de langue maternelle française à Cornwall optent pour l'anglais comme langue principale à domicile.

Selon une vaste étude de Statistique Canada, publiée en 2010, entre 60 et 70% des francophones de l'Ontario consomment des médias (radio, télé, journaux, Internet) uniquement ou surtout en anglais, contre seulement 19% en français. On ne viendra pas me faire croire qu'on peut ressentir une insécurité linguistique devant un téléviseur ou une tablette ou un téléphone intelligent...

La réalité ce n'est pas l'insécurité linguistique, c'est l'anglicisation massive, l'assimilation. Si des milliers de jeunes francophones hors-Québec ont peur de prendre la parole en français devant d'autres francophones moins anglicisés, c'est qu'ils sont conscients d'être habitués à communiquer le plus souvent en anglais, même avec leurs amis, en famille, à l'école... oui même à l'école française où l'on doit souvent faire la discipline pour obliger les élèves à parler français dans les couloirs...

Ce n'est pas l'accent ou la différence des expressions qui font défaut. On peut parler avec confiance un excellent français tout en ayant un fort accent, anglais ou autre. Ce qui manque le plus souvent (même dans certains coins du Québec), c'est le vocabulaire, la prononciation correcte, une bonne connaissance des verbes et de leurs accords, ou encore - surtout? - la pratique quotidienne de la langue française dans un contexte où elle est à la fois utile et nécessaire.

Alors je peux comprendre qu'un francophone qui regarde la télé en anglais, utilise l'Internet en anglais, se sert à peu près uniquement de l'anglais en société, communique en anglais avec ses proches et ses amis, que son français acquis à l'enfance grince tant il est rouillé. Je peux comprendre son insécurité linguistique s'il se retrouve en milieu très francophone. Mais l'insécurité n'est pas la cause du problème, c'est le résultat du processus d'assimilation.

Ce n'est donc pas l'insécurité linguistique qui contribue à l'assimilation (bit.ly/300m8yb), mais bien l'inverse.

On me répondra que certains Français et des Québécois ont parfois une attitude hautaine ou condescendante envers ceux et celles qui, à leurs yeux, parlent un français appauvri. Et c'est vrai. Et ils ont tort. Je suis Franco-Ontarien d'origine et je peux comprendre l'irritation que l'on ressent dans de telles situations. À Paris, il m'est arrivé de me faire répondre en anglais après avoir posé une question en français... Cela ne m'a pas intimidé cependant... J'ai demandé à l'un de mes interlocuteurs ahuri s'il croyait que j'avais une tête d'Anglais...

À l'automne 2018, la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) a annoncé qu'elle allait développer d'ici 2020 une stratégie pancanadienne pour tenter de régler le problème de l'insécurité linguistique (bit.ly/2EwVh6n). J'espère que les membres de cet organisme auront le courage de regarder la réalité en face, de bien définir le problème de l'assimilation, de ne pas maquiller les chiffres pour créer un faux optimisme linguistique, de définir ses concepts avec clarté.

Denise Bombardier avait tort de voir la francophonie canadienne comme moribonde. Il ne faudrait pas pécher par excès contraire en portant des lunettes roses. D'un point de vue comme de l'autre, les vrais problèmes ne se régleront pas...

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Une vidéo intéressante sur YouTube - bit.ly/2KOkSaO





1 commentaire:

  1. En effet, il s’agit de la pratique du déni par le vocabulaire politiquement correct. Lorsqu’on entend l’expression « insécurité linguistique », il y aurait lieu de répondre : « Voulez-vous dire INSALUBRITÉ linguistique ? »

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