mardi 10 décembre 2019

Langues officielles: le silence coupable du discours du Trône

Le 5 décembre, le premier discours du Trône ne faisait aucune mention des enjeux liés aux langues officielles. La presse écrite, y compris Le Droit, n'a pas relevé cette absence. La Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA) a publié un communiqué de protestation. Nouveau silence de la presse écrite.  Seuls le réseau ontarien de Radio-Canada et le site Web de TFO (télévision franco-ontarienne) en ont parlé... C'est décourageant...

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photo du gouvernement du Canada

Si jamais les collectivités canadiennes-françaises et acadiennes hors-Québec voulaient la preuve d'être trop souvent laissées pour compte sur l'échiquier du gouvernement canadien (autre qu'en période électorale ou comme pions pour contrer les velléités souverainistes québécoises), elles l'ont eue le 5 décembre 2019.

Après une année pourtant fort mouvementée - des frasques ontariennes de Doug Ford aux controverses entourant les sorties de Denise Bombardier, en passant par la nomination d'une lieutenant-gouverneur unilingue anglais au Nouveau-Brunswick et un débat de plus en plus pressant sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles (qui a 50 ans en 2019) - le premier discours du Trône du gouvernement Trudeau n'a même pas effleuré les dossiers linguistiques...

Pas un mot! À moins de considérer que l'inclusion de l'expression «minorités linguistiques» - sans plus - dans une énumération contenant aussi les femmes, les minorités visibles, les personnes handicapées et les membres des communautés LGBTQ2 constitue une mention traduisant un réel intérêt pour la promotion de la seule langue officielle qui en arrache au Canada - le français.

Le gouvernement Trudeau a réussi dans son discours inaugural à se dire au service de tous les citoyens quelles que soient «leurs langues»... Ici, le français, l'une des deux langues officielles du pays, est relégué au même palier que le chinois, l'arabe, l'ukrainien, l'allemand ou le magyar... Le discours du Trône évoque par ailleurs la protection des langues autochtones, mais ne dit rien du français langue officielle qui décline d'un océan à l'autre, de recensement en recensement...

Les Québécois ont en mains un coffre d'outils (même s'il est parfois rouillé...) avec lequel ils peuvent façonner, protéger et promouvoir un État de langue française. Aussi les engagements linguistiques fédéraux y passent-ils souvent au second plan, et c'est malheureux. Pour les organisations francophones du reste du Canada, c'est une tout autre histoire. Ayant souvent eu maille à partir avec les capitales provinciales, ainsi que des relations douces-amères avec Québec, c'est vers Ottawa qu'elles se sont tournées depuis un demi-siècle pour solliciter fonds et appuis.

Bien des choses ont changé depuis l'adoption de la Loi fédérale sur les langues officielles en 1969, cependant. Avec la Loi constitutionnelle de 1982 et l'interprétation inattendue de l'article 23 par la Cour suprême du Canada, les collectivités de langue française en situation minoritaire ont obtenu la gouvernance de leurs institutions scolaires. Et Ottawa a injecté des centaines de millions pour soutenir l'infrastructure organisationnelle de la francophonie hors-Québec, conscient de son importance stratégique dans l'argumentaire contre le mouvement indépendantiste québécois.

Mais depuis les années 1970, et particulièrement depuis l'imposition de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, l'ancien biculturalisme - jadis fidèle compagnon du bilinguisme - a été largué en faveur d'un multiculturalisme officiel, consacré à l'article 27 de la Charte. Et ces dernières années, avec la perception que le mouvement indépendantiste est en chute, l'intérêt d'Ottawa pour l'égalité pan-canadienne du français et de l'anglais semble nettement s'affadir.

Faisant face à un sérieux déclin de leurs effectifs, déclin qu'on tente tant bien que mal de maquiller en tripotant les statistiques des recensements, les organisations de la francophonie minoritaire ont toujours les yeux et les oreilles tendus en direction d'Ottawa. Toute déclaration, tout discours, tout budget est scruté à la loupe quand les langues officielles peuvent en devenir l'enjeu. À plus forte raison le premier discours du Trône après une campagne électorale comme celle de 2019. La plus légère secousse politique ou budgétaire, à peine perçue au Québec, devient souvent un séisme de forte magnitude à la FCFA et dans ses organisations affiliées.

Cette fois, les espoirs étaient grands. À peu près tout ce qui bouge, y compris les libéraux, avait promis de moderniser la Loi sur les langues officielles et de lui donner un peu plus de mordant. Cela ne paraissait pas très ambitieux. En mars 2015, la présidente sortante de la FCFA, Marie-France Kenney, affirmait devant les parlementaires fédéraux que la Loi sur les langues officielles (LLO) «est la loi la moins bien appliquée du pays, et ça fait que 45 ans que ça dure...» Après les vifs débats de la dernière année, on aurait été en droit de s'attendre qu'Ottawa réitère tout au moins ses promesses.

Même pas... Et pourtant, quelques semaines plus tôt, la ministre québécoise responsable de la francophonie canadienne, Sonia Lebel, annonçait l'intention de son gouvernement de demander une modification fondamentale à la LLO, en mettant fin à cette fiction que la minorité anglo-québécoise est le miroir des minorités canadiennes-françaises et acadiennes à l'extérieur du Québec. Les anglos québécois n'ont jamais été une vraie minorité. Ils sont une extension au Québec de la majorité anglo-canadienne.

Mme Lebel crie dans le désert. Jamais un gouvernement fédéral ne consentira à mettre fin au mythe d'une symétrie quasi parfaite entre les minorités francophones du Canada et la collectivité anglophone du Québec. Jamais il n'avouera que le Commissaire fédéral aux langues officielles passe l'essentiel de son temps à défendre une seule de ces langues, toujours la même... le français, d'un océan à l'autre et même au Québec.

Le quotidien Le Nouvelliste avait noté à la fin de novembre que le ministre François-Philippe Champagne, à qui Justin Trudeau a confié les dossiers de la francophonie internationale, n'en avait pas le titre. Il n'y a plus de ministre de la Francophonie. C'était sans doute un présage de ce que l'on devait attendre du discours du Trône. Une poursuite du déclin du gouvernement canadien pour ce qu'on appelle bien mal le «bilinguisme» officiel. Quand la proportion de francophones chutera sous la barre des 20% dans l'ensemble du pays, d'ici un ou deux recensements, cette tendance deviendra de plus en plus évidente.

Mme Kenney avait fait de sombres prévisions en 2015, prévisions qui contredisent les discours des «lunettes roses» qui persistent à maquiller la réalité franco-canadienne. «À plusieurs endroits, disait l'ancienne présidente de la FCFA, ce n'est qu'une question de temps avant que nos communautés tombent en dessous du seuil requis pour recevoir des services et des communications en français des bureaux fédéraux. Et quand notre poids relatif sera tombé encore plus bas, que remettra-t-on en question à ce moment? Nos écoles de langue française?»

Le silence du gouvernement Trudeau en matière de langues officielles est alarmant. Les organisations de la francophonie hors-Québec ont raison de protester sur la place publique. Elles auraient aussi raison de se plaindre de l'indifférence générale de la plupart des grands médias, tant français qu'anglais, à l'égard de ces dossiers. Il y a là-dedans une tendance lourde qui menace la situation de la francophonie partout au Canada, y compris au Québec.

Si le gouvernement québécois se donnait la peine de bien étudier et analyser ce qui se passe chez les Canadiens français et les Acadiens, il n'hésiterait pas une seconde à redonner à la Loi 101 tout le mordant qu'elle a perdu depuis son adoption en 1977, et à utiliser tous les leviers disponibles pour renforcer son alliance avec les collectivités de langue française ailleurs au pays.

Sauf de rares exceptions, les francophones hors-Québec ont eu peu d'influence, peu de poids sur l'échiquier politique pan-canadien. Et ils doivent désormais faire face à une Cour suprême qui leur est de plus en plus indifférente, voire hostile. Le silence du discours du Trône n'est pas un hasard.




3 commentaires:

  1. Merci, Pierre, de cette analyse rigoureuse d'une triste réalité.

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  2. Le problème : C’est le « Canada » et le mensonge du Canada bilingue de Trudeau Père!


    Pour mes amis francophones hors-Québec, qui se sentent abandonnés par les Québécois… Voici une bonne analyse qui remonte à la source… l’abandon du bilinguisme canadien par Trudeau en 1971 !

    8 octobre 1971 - Abandon par le fédéral du biculturalisme et introduction du multiculturalisme

    https://www.facebook.com/autre150e/videos/1512160125517760/?hc_ref=ARRS75bo97iKtZnqtjtRoIYL1R_cYaUSWdWDk5UZy0akOsPs2lHQHTNHaTpnClw98rc&pnref=story


    Le Canada est perçu par une majorité de Québécois comme étant formé de deux nations, si on fait exception des Autochtones, reconnus en 1983 par l’Assemblée nationale comme des nations qui partagent le territoire avec les Québécois. Cette perception remonte à l’époque du Haut et du Bas-Canada (1791-1840) et a subsisté jusqu’à nos jours. De l’Acte d’Union de 1840 à la Révolution tranquille, cette vision binationale du Canada s’est incarnée dans un nationalisme conservateur et religieux qui distinguait le Canada français du Canada anglais. Depuis l’émergence du nationalisme politique, on distingue plutôt l’ensemble du Québec du reste du Canada.

    Pierre Elliot Trudeau n’a de cesse de reléguer le Québec au rang de « province comme les autres » et de réduire la culture québécoise à sa composante canadienne-française. C’est dans cet ordre d’idées que Pierre Elliott Trudeau rejette le biculturalisme qui était à la source du mandat de la Commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme mise sur pied en 1963 par son prédécesseur Lester Pearson. Le 8 octobre 1971, dans sa réponse au Livre IV du rapport de la commission, Trudeau affirme qu’il convient de définir le Canada sur la base du « multiculturalisme » plutôt que sur celle du « biculturalisme », car il ne saurait y avoir de primauté des cultures canadienne-anglaise ou française au Canada.

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  3. La tristesse me gagne, parce que ne vois qu'une solution !!! L'indépendance, mais il n'y a personne pour la proposer aux québécois, et malheureusement, ils dorment de plus en plus profondément !!!

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