vendredi 6 mars 2020

L'Université de l'Ontario français... Une «chose stupide»?


Dans sa chronique du 3 mars 2020 intitulée Does Ontario actually need a French-language university? (bit.ly/2vJwatq], Steve Paikin, chef d'antenne de l'émission amiral d'affaires publiques de TV Ontario, The Agenda with Steve Paikin, rappelait une conversation avec un ancien sous-ministre ontarien des collèges et universités, qu'il n'a pas nommé:

«"Je passe 80% de mon temps à essayer d'empêcher des choses stupides", m'avait-il dit. Quand je lui ai demandé ce qui figurait sur sa liste de "choses stupides", l'université de langue française était au sommet. Le sous-ministre estimait qu'il n'y avait pas suffisamment de demande, de fonds ou de talent disponible pour une telle institution.»

L'auteur ajoute, à l'appui de cette conclusion, les données d'une étude du ministère de l'Éducation, selon laquelle à peine 13% des élèves franco-ontariens de 11e et 12e années veulent fréquenter une institution post secondaire de langue française, alors que 49% préféreraient un collège ou une université bilingue et 20% une institution unilingue anglaise... M. Paikin oublie de mentionner que cette étude a été menée dans le centre-sud-ouest ontarien où les Franco-Ontariens sont une micro-minorité et où les taux d'assimilation sont les plus élevés, mais tout de même...

La chronique poursuit en citant un argument évoqué par le premier ministre Doug Ford lui-même, à savoir qu'il n'existe pas une demande suffisante pour combler les places disponibles dans les programmes de langue française des universités bilingues - Ottawa, Laurentienne (Sudbury) et Glendon (Toronto). Alors, si cela est vrai, pourquoi en créer de nouvelles, à Toronto par surcroit, à une douzaine de kilomètres seulement du campus de Glendon?

Steve Paikin arrive au constat qui semble s'imposer. Il ne l'écrit pas de façon lapidaire, mais le message est clair. L'immense majorité des élèves francophones du sud-ouest ontarien ne veulent pas fréquenter  un campus universitaire de langue française et même les universités «bilingues» ne trouvent pas assez de candidats pour leurs programmes en français. Alors créer cette soi-disante «Université de l'Ontario français» serait une «chose stupide»... Échec et mat.

Voilà dans quel cul-de-sac argumentaire nous a laissé le torpillage du véritable projet d'université franco-ontarienne, par le gouvernement Wynne d'abord, puis par Doug Ford et sa horde, avec la complicité d'une grande partie des élites franco-ontariennes.

La vraie demande, l'originale, formulée par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) en 2012, celle qui a lancé l'offensive des dernières années, visait la création d'une université de langue française de dimension provinciale (pas pour le sud-ouest seulement) qui assurerait la gestion de tous les programmes universitaires de langue française -- surtout ceux des méga universités bilingues anglo-dominantes qui abritent l'immense majorité des étudiants universitaires francophones en Ontario.

Ce qu'on a appelé par la suite le «par» et «pour», c'est-à-dire des institutions administrées par des Franco-Ontariens pour les Franco-Ontariens, c'étaient les tripes de la revendication et ce sont ces tripes qu'on a éviscérées en 2015 quand on a substitué à ce grand projet un petit campus à Toronto pour se contenter d'essayer de boucher l'un des trous les plus criants de l'offre en français dans cette région.

Au lieu de discuter du grand principe de la gestion scolaire partout en Ontario, comme on l'avait fait pour les écoles primaires, secondaires et collégiales françaises depuis les années 1960, on a laissé le débat basculer vers une querelle locale sur la demande et les budgets...

On ne parle plus de l'injustice scolaire plus que centenaire subie par la plus importante minorité francophone hors Québec... On ne parle plus des millions (des milliards?) de dollars volés aux Franco-Ontariens en services non rendus par la privation de leurs droits... On se chicane pour des miettes, sur les rives du lac Ontario...

Les Franco-Ontariens, du moins ceux et celles qui ont milité dans ce domaine, savent que les institutions scolaires bilingues dans un milieu anglo-dominant sont des usines d'assimilation. Alors pourquoi forme-t-on, ou tente-t-on de former des générations francophones du primaire au collégial, pour ensuite les priver du droit à un environnement de langue et de culture françaises à l'universitaire? Le message sous-jacent, c'est que dans les lieux de haut savoir, les jeunes Franco-Ontariens doivent se résigner à étudier des université à majorité anglaises, administrées par et pour la majorité anglaise... C'est un non-sens identitaire.

Les arguments formulés par Steve Paikin sont pertinents, et insidieux. Ils abaissent le débat au terrain des chiffres alors qu'il doit rester à un niveau beaucoup plus élevé, celui du principe du droit des Franco-Ontariens à la gestion de leurs institutions scolaires, de la maternelle à l'universitaire. Sinon, le débat est perdu d'avance...




1 commentaire:

  1. Pierre Allard: Grand blagueur tres provincial chapeaute par les fantomes d'un journal
    insignifiant.

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