mardi 30 juin 2020

Noir contre Blanc, ou le bien contre le mal?

Après avoir épluché la déclaration (voir photos en bas de page) de la journaliste de la CBC Wendy Mesley, disciplinée pour avoir prononcé le mot «nigger» dans deux réunions internes de production, les questions l'emportent sur les réponses, et les reportages que j'ai lus sur les plates-formes médiatiques jettent trop peu d'éclairage.

À première vue, l'affaire donne l'impression que Mme Mesley a été sacrifiée sur l'autel de la rectitude politique et expédiée promptement dans un camp de rééducation où, après un bon lavage de cerveau, elle a avoué sur la place publique ses soi-disant péchés et son ferme repentir.

Mais s'il y a une chose que j'ai bien apprise en plus de 40 années de journalisme, c'est d'éviter d'en arriver à des conclusions hâtives sans avoir en main les faits les plus pertinents, les pièces clés du casse-tête. Alors je pose en vrac les interrogations suivantes, que je crois importantes pour la compréhension des enjeux.

1. Que s'est-il vraiment passé à la réunion du début de juin 2020? Les déclarations de Mme Mesley et d'Imani Walker, la collège de race noire qui l'a apparemment dénoncée, ne permettent pas de savoir avec précision ce qui s'est dit autour de la table. Les interprétations ne suffisent pas ici.

2. Même question pour la réunion de septembre 2019 sur la Loi 21, où Mme Mesley a cité comme ouvrage de référence historique le livre Nègres blancs d'Amérique de Pierre Vallières (intitulé en anglais White Niggers of America). Peut-on en savoir plus?

2. Existait-t-il déjà à la CBC (et dans les autres médias) un climat de tension - ouvert ou larvé - entre le personnel de race blanche et celui de race noire et/ou d'autres races? Et si oui, pourquoi?

3. Les acteurs et actrices de cette confrontation s'entendent-ils au moins sur le sens des mots «racisme» et «systémique», ou comparent-ils (elles) des pommes et des oranges? Et en quoi citer le nom du livre de Vallières en anglais peut-il être jugé offensant pour les personnes de race noire, mais pas pour les Québécois francophones?

4. À la CBC, à qui a-t-on confié l'enquête sur les incidents impliquant Mme Mesley et comment a-t-on procédé pour établir les faits? Mme Mesley a-t-elle eu droit à un «procès» devant arbitre? CBC et Radio-Canada étant des sociétés d'État, il me semble que des comptes doivent être rendus aux citoyens qui en sont les véritables propriétaires.

5. Pourquoi les grandes fédérations professionnelles - canadienne et québécoise - de journalistes sont-elles restées muettes face à une situation qui touche au coeur du métier? Leur silence coupable les rend complices des injustices qui pourraient avoir été commises.

6. Pourquoi la CBC permet-elle à ses reporters et commentateurs d'associer au racisme la Loi 21 sur la laïcité de l'État québécois? C'est une fausseté, c'est insultant pour la majorité francophone du Québec, mais ça passe comme du beurre dans la poêle. Si Mme Mesley avait suggéré que les Québécois étaient trop souvent racistes, il n'y aurait eu aucune sanction...

7. La confession publique de Mme Mesley après sa «rééducation» a-t-elle été faite de plein gré ou imposée par la direction? Et sa collègue Imani Walker a-t-elle subi des pressions de son entourage pour ne pas faire de vagues avec cette histoire?

8. En vertu de quel principe peut-on édicter qu'un mot, si répugnant soit-il, puisse être rayé du vocabulaire (a word that should never be used, a déclaré Mme Mesley)? Faut-il proscrire un terme parce qu'il crée un inconfort chez ceux et celles qui l'ont historiquement subi comme injure?

9. Pourquoi a-t-on choisi le mot «niggers» à la place de «negroes» pour la traduction anglaise de Nègres blancs d'Amérique? À l'époque où ce livre a été publié, en 1968, le sens premier de «nègre» était une personne de race noire. Et les Noirs américains, même des militants, se définissaient encore souvent comme «Negroes». Alors pourquoi l'a-t-on traduit ainsi?

10. Quelle liberté restera-t-il si toutes les discussions journalistiques doivent constamment être soumises, à gauche et à droite, à l'imprimatur des polices de la rectitude politique? Entre gens des médias, quand on se sent insulté on le dit, on s'engueule, on finit ou pas par s'entendre, et on passe à autre chose. Seulement dans les cas très graves aura-t-on recours à un grief officiel ou portera-t-on le débat sur la place publique.

J'ai bien d'autres questions mais celles-là suffisent pour le moment.

Je termine avec une citation de 1964 de l'humoriste et activiste afro-américain Dick Gregory, peu après qu'il eut été arrêté, battu et emprisonné par des policiers blancs et racistes en Alabama. «Il ne s'agit pas d'une révolution des Noirs contre les Blancs, mais d'une révolution du bien contre le mal.»

Vues de cette façon, les situations paraissent plus claires.


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La déclaration du 25 juin de la journaliste Wendy Mesley






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