samedi 13 juin 2020

Je m'ennuie de l'encre noire...

La dernière édition papier du Droit en semaine, le 24 mars 2020

Voulant sans doute cesser de naviguer dans l'encre rouge, mon journal a décidé de supprimer de l'encre noire... pour de bon. Les presses qui l'imprimaient toutes les nuits ne tournent plus. Seule l'édition du samedi a pour le moment échappé à la guillotine numérique... Pour combien de temps?

Cela m'attriste profondément de perdre l'édition papier en semaine, et ce, pour un tas de raisons qui n'ont rien à voir avec la nostalgie (réelle) d'un vieux de 73 ans. J'ai écrit là-dessus à diverses reprises et ne vois aucune utilité à reprendre ici tout l'argumentaire (voir bit.ly/33cXGfh).

Mais ce qui m'enrage, alors que je zieute Le Droit du mardi 24 mars 2020, jour où le couperet a tombé sur le papier, c'est de constater à quel point une frange importante du monde médiatique se jette avec enthousiasme dans le précipice numérique. À lire le message de la direction du journal, ce matin (samedi 13 juin 2020), on croirait presque que l'abandon de l'imprimé est un progrès!

On y vante «un pas important» dans la réalisation du «plan d'affaires»,  une «accélération du virage numérique«, une «intensification de l'offre du contenu». En voulez-vous, en v'là... Oh, en passant, vous ne recevrez plus jamais de journal papier à la maison, en semaine, et environ 90 employés de la chaîne coopérative perdront leur emploi... Mais rassurez-nous, ça va bien aller...

Eh bien non. Je vous assure, alors que j'use mon majeur depuis près de trois mois à faire défiler les pages, les textes et les images du Droit sur mon petit écran de tablette, que ça ne va pas bien.

* Je m'ennuie de ne plus entendre le journal heurter le perron ou la porte à l'aube...

* Je m'ennuie d'avoir à sortir en pyjama pour cueillir mon quotidien et humer l'air matinal par grand froid, à la pluie battante, ou au bleu brillant du ciel au soleil levant...

* Je m'ennuie du papier que je touchais en lisant, du froissement des pages que je tournais...

* Je m'ennuie de pouvoir jeter un coup d'oeil sur des pages ou des articles en entier, sans avoir à dérouler un menu, cliquer sur des liens ou frotter l'écran...

* Je m'ennuie de l'espace que prend un journal ouvert sur la table de cuisine; on s'y sent moins confiné qu'avec une tablette ou un téléphone...

* Je m'ennuie de pouvoir sauter en une seconde des sections qui m'intéressent moins, et de pouvoir déambuler entre la une et la dernière page en un clin d'oeil, sans frotter ou cliquer sans cesse...

* Je m'ennuie d'avoir les mains sales après avoir feuilleté un ou plusieurs journaux imprimés... les saletés du numérique ne laissent pas de traces sur les doigts...

* Je m'ennuie de ne plus pouvoir découper les articles qui m'intéressent et ensuite classer les coupures de presse dans mes dossiers ou sur mes pilées...

* Je m'ennuie de la convivialité des avis de décès dans le journal papier. Consulter la section nécrologique Web (à 73 ans on fait ça) prend pas mal plus de temps...

* Je m'ennuie de la publicité, surtout des pubs locales, plus souvent qu'autrement absentes de l'édition numérique...

* Je m'ennuie de lire noir sur blanc, sur papier journal, sans avoir à forcer mes yeux pour apprivoiser la luminosité et l'exiguïté d'un écran de tablette...

* Je m'ennuie de la page éditoriale, dont l'érosion s'est accélérée en même temps que le numérique...

* Je m'ennuie même des erreurs occasionnelles dans le journal, témoins de l'imperfection humaine, qu'on ne peut modifier sur un écran le lendemain... Les écrits imprimés restent...

Je reste abonné à l'édition numérique du Droit puisqu'il le faut, mais sans enthousiasme. Je continue d'espérer que l'imprimé retrouve la place qui lui revient, en cohabitation avec le Web...

Entre-temps, il n'y a guère de solution de rechange... Si d'autres pensent que l'imprimé ne doit pas disparaître, faudrait peut-être, un jour, avant qu'il ne soit trop tard, le clamer haut et fort!


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