À tous les ans, notre quotidien régional, Le Droit, publie deux cahiers spéciaux à la seconde moitié de juin - un pour la Saint-Jean, l'autre pour la Fête du Canada. Cette année, en l'absence de rassemblements, les festivités reléguées aux écrans, les cahiers sont minces. Mais ils sont aussi révélateurs de la situation rocambolesque dans laquelle se trouve un quotidien à cheval sur les deux rives de l'Outaouais.
À tout seigneur tout honneur, commençons par la fête nationale du Québec et des Canadiens français non acadiens. À l'affut des marchés québécois et ontarien, Le Droit a prudemment donné à son cahier spécial de six pages tabloïd l'appellation suivante: «La fête nationale du Québec et la Saint-Jean-Baptiste des Franco-Ontariens».
Titre audacieux quand l'on considère qu'il ne se passe pas grand chose chez les francophones d'Ottawa et de l'Est ontarien, où rien n'indique que le 24 juin soit autre chose qu'un jeudi ordinaire. Même pas d'activité virtuelle. En Ontario, le 25 septembre (Jour des Franco-Ontariens et des Franco-Ontariennes) est devenu la fête patriotique dominante et l'ancienne St-Jean-Baptiste ne semble plus intéresser grand monde...
Comme il s'agit d'un cahier promotionnel, les textes ne sont pas rédigés par des journalistes de la salle des nouvelles et les pubs occupent en général la moitié ou plus de l'espace des pages disponibles. Encore là, la «Saint-Jean-Baptiste des Franco-Ontariens» est invisible. On y voit les voeux de circonstance des trois députés caquistes de l'Outaouais, des deux députés libéraux à l'Assemblée nationale et des quatre députés libéraux fédéraux de l'Outaouais, ainsi qu'une annonce pleine page de l'activité «Hôte St-Jean» d'impératif français.
Les députés provinciaux et fédéraux d'Ottawa et de l'Est ontarien? Absents. La ville d'Ottawa? Les grandes organisations franco-ontariennes? Nulle part. Remarquez que la ville de Gatineau et le gouvernement québécois brillent aussi par leur absence publicitaire dans ce cahier de la fête nationale... C'est un peu scandaleux.
Petit à-côté intéressant : les messages des députés... Pour les caquistes - Robert Bussière (Gatineau), Mathieu Lacombe (Papineau) et Mathieu Lévesque (Chapleau) - c'est «Bonne Fête nationale du Québec à tous!» Pour les libéraux «provinciaux» - Maryse Gaudreault (Hull) et André Fortin (Pontiac), c'est «Bonne Saint-Jean-Baptiste!» Se croient-ils en Ontario? Enfin, les quatre fédéraux - William Amos (Pontiac), Greg Fergus (Hull-Aylmer, Steve MacKinnon (Gatineau), Stéphane Lauzon (Argenteuil-La Petite Nation) - s'en tiennent à «Bonne St-Jean!»
Le «cahier» - si on peut l'appeler ainsi - de la Fête du Canada n'a que quatre pages tabloïd, ne contient que deux textes et trois annonces publicitaires - toutes d'élus québécois et fédéraux. Le trio caquiste a la sienne, les deux PLQ la leur dans une page différente, mais cette fois Robert Bussière, Mathieu Lacombe, Mathieu Lévesque, Maryse Gaudreault et André Fortin s'entendent sur le libellé du message: «Bonne fête du Canada!»
La seule autre pub, d'une demi-page, met en vitrine tous «vos députés libéraux (fédéraux) de la région de la capitale nationale», québécois et ontariens regroupés, ainsi que le premier ministre Justin Trudeau. Pour ne froisser personne, le gouvernement canadien les présente en ordre alphabétique... Encore une fois, la présence ontarienne dans ce cahier est nulle ou négligeable, alors que contrairement à la St-Jean, la Fête du Canada est suivie avec enthousiasme dans la capitale et ses banlieues. De fait, sans la présence publicitaire des cinq députés de l'Outaouais à l'Assemblée nationale du Québec, il n'y aurait pas eu assez de pubs pour justifier un cahier spécial de la Fête du Canada dans Le Droit...
De toute évidence, les efforts du quotidien pour maintenir ou renforcer sa présence ontarienne - y compris la création d'un laboratoire de journalisme au collège La Cité et la mise en ligne de ledroitfranco.com - n'ont pas freiné la glissade du journal au sein de la collectivité franco-ontarienne, majoritairement branchée aux médias de langue anglaise. La disparition de l'édition imprimée, le 24 mars 2020, a rendu Le Droit encore plus invisible dans les résidences, les lieux publics (sur les deux rives), et les milieux institutionnels.
Les cahiers de la St-Jean et de la fête du Canada en témoignent.