Quand, en octobre 2020, la professeure Verushka Lieutenant-Duval a voulu expliquer et contextualiser l'insulte raciste nigger dans un cours en anglais à la faculté des Arts de l'Université d'Ottawa - un incident somme toute banal en milieu universitaire - la baraque a sauté: hauts cris, médias sociaux enflammés, pétition de 10 000 signatures, interventions publiques à répétition du recteur Jacques Frémont, manifestations de francophobie, enquête... Alouette...
Mais quand, en août 2021, le cabinet du Vice-recteur (International et Francophonie) de l'Université ottavienne a produit un rapport officiel faisant, entre autres, état de discrimination et d'hostilité face au fait français sur l'ensemble du campus... RIEN!... Le rapport n'a même pas été communiqué aux médias et n'a fait l'objet d'aucune annonce par les autorités universitaires...
Finalement, le réseau franco-ontarien ONFR+ a mis la patte sur le document et rendu le tout public le 28 septembre(1). Diffusée le lendemain par Radio-Canada(2), la nouvelle a pris de l'ampleur et commencé à faire des vagues sur Facebook et Twitter. Et qu'en est-il deux jours plus tard? RIEN! Pas de déclaration publique du recteur ou du vice-recteur à la Francophonie, Sanni Yaya(3), des associations de profs ou d'étudiants, ou d'organisations franco-ontariennes(4). Même pas un article dans le quotidien Le Droit, qui aurait pourtant dû mordre à pleines dents dans ce dossier... La poussière est-elle déjà retombée?
C'est comme ça à l'Université d'Ottawa ces jours-ci... Un incident jugé raciste survient, qu'il le soit réellement ou pas, et on sort l'escouade anti-émeute! Mais pour un rapport d'enquête faisant état de «l'émergence d'une francophobie qui semble prendre ses aises» un peu partout, c'est le silence... À la limite, quelques bruits de criquets...
Quand, au début du secondaire, j'ai mis les pieds pour la première fois dans le grand pavillon Tabaret (l'édifice principal) de l'Université d'Ottawa, en septembre 1959, les francophones formaient près de 65% de la population étudiante. Quand j'ai quitté l'Université après ma scolarité de maîtrise en science politique en 1969, la proportion de francophones dépassait de justesse 50%. En 2021, c'est à peine 29%...
À la fin des années 1960, avant d'être mis en minorité sur le campus, des étudiants de l'Université, ainsi que deux importantes associations franco-ontariennes(5), ont demandé que l'institution devienne unilingue française. Dirigée par un bilingue fanatique, le père Roger Guindon, l'Université a vite repoussé telle horreur. Après, c'était trop tard. La dégringolade s'est accélérée.
Quand deux de mes filles ont étudié en génie à mon ancienne alma mater, années 1990 et 2000, elles ont dû circuler des pétitions pour tenter d'obtenir, en vain, certains cours en français... Quand j'ai assisté, en mars 2016, à un colloque sur le bilinguisme canadien au pavillon Desmarais de l'Université d'Ottawa, on a semblé éberlué au café Starbucks du campus que je veuille commander un breuvage en français... J'en a conclu que l'unilinguisme anglais à cet endroit était accepté de tous... Ce ne sont que deux exemples mais il y en a sûrement des milliers d'autres...
Mais revenons au rapport(6), qui concerne l'ensemble des 43 000 étudiants de l'Université, mais surtout les 15 000 francophones. Les consultations et les recommandations appelleront des gestes concrets et surtout, des changements de mentalités. Des décisions devront être prises et appliquées. Qui aura le plus d'influence sur la prise de décision? 71% de non-francophones (surtout anglophones) ou 29% de francophones? Même si la totalité du 29% était mobilisée, ce qu'elle n'est pas, elle demeurerait une minorité (décroissante) et, tout le monde le sait, les minorités subissent les décisions de la majorité. Avec les structures actuelles, les francophones n'obtiendront à l'Université d'Ottawa rien de plus que ce que la majorité anglo voudra bien leur concéder... La minorité ne décide jamais. Elle subit.
Depuis près de 10 ans, le Regroupement étudiant franco-ontarien (étudiants collégiaux et universitaires), la FESFO (élèves du secondaire), et l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario demandent que la gestion de tous les programmes universitaires ontariens en français soit regroupée sous la gouvernance d'une université de langue française. Qu'a-t-on obtenu? Une claque en pleine face avec la création d'un micro-campus à Toronto, là où les étudiants francophones ne sont pas... La grande majorité continue de fréquenter le milieu anglo-dominant de l'Université d'Ottawa, où la situation empire dans l'indifférence... On n'en est pas encore aux coups de sabre de la Laurentian University, mais un jour ça viendra, et il sera trop tard.
À l'Université d'Ottawa comme dans l'ensemble du Canada, les francophones n'auront pas droit à leur moment de «vérité et réconciliation». La majorité anglo-canadienne ne connaît pas la vérité et ne veut pas de réconciliation avec nous. L'élection fédérale du 20 septembre en fait foi. Alors quoi? On s'écroule ou on résiste. Et ces jours-ci, je ne vois pas beaucoup de résistance...
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(1) voir bit.ly/3AQFw2S
(2) voir bit.ly/3kMDiMj
(3) Sanni Yaya, qui s'identifiait sur sa page Twitter comme «Vice-Recteur International and Francophonie» dans une présentation toute en anglais. Quand je l'ai souligné, il m'a bloqué...
(4) Après rédaction de ce texte de blogue, cette réaction du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) est apparue sur mon fil Facebook: bit.ly/39TJBYo
(5) l'Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de l'Ontario français (APMJOF) et l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO)
(6) voir bit.ly/2WrIqw5