Chez les Franco-Ontariens, comme au Québec ou dans toute société, les masses ne manifestent sur la place publique qu'en temps de crise... Pour le reste, plus souvent qu'autrement, des franges militantes traînent comme un boulet une majorité qui rame même, parfois, à contre-courant de ses propres intérêts...
Le projet d'université franco-ontarienne en fait foi. Ce qui au début, en 2012, devait aboutir un jour à une gestion «par et pour» les francophones de l'ensemble des programmes universitaires ontariens de langue française s'est transformé au fil des ans, faute de mobilisation, en mini-campus universitaire à Toronto qu'on a pompeusement baptisé Université de l'Ontario français.
En Ontario, l'immense majorité des étudiants universitaires inscrits à des programmes en français fréquentent l'Université d'Ottawa, où il ne semble y avoir aucun intérêt chez les francophones pour une quelconque remise en question du statut bilingue de l'institution ou pour la création à Ottawa d'un campus de langue française sous la gouverne d'une université franco-ontarienne.
Ces derniers mois, après que l'Université Laurentienne eut mis la hache dans de nombreux programmes d'études de langue française, on a pu croire que quelque chose bougeait vraiment dans la région de Sudbury. L'annonce de la transformation de l'Université (bilingue) de Sudbury en institution franco-ontarienne, et son intention de mettre le grappin sur les programmes en français de la Laurentienne, ont fait le tour des actualités.
Mais entre la force d'inertie des deux monstres bilingues (Ottawa et Laurentienne) et l'inertie des collectivités étudiantes de langue française, la poussée risque de s'essouffler vite. On a dévoilé récemment les résultats d'un sondage réalisé en juin 2021 par l'Association des étudiants francophones (AEF) de l'Université Laurentienne, révélant que près de 70% des étudiants francophones à cette institution disent préférer s'inscrire à une université bilingue... même s'ils appuient le concept d'une université de langue française...
Faut-il s'en surprendre dans une province où, sauf quelques régions, les élèves franco-ontariens au primaire et au secondaire se retrouvent trop souvent dans des écoles où l'enseignement est donné en français mais où l'anglais domine dans les couloirs et la cour d'école. Rendus au post-secondaire, près de la moitié sont en voie d'assimilation. Un sondage Léger et Léger de l'ancienne ACFO régionale Ottawa-Carleton démontrait en 1993 que dans le groupe des 18-24 ans, près de 40% des francophones de la région d'Ottawa s'identifiaient comme «bilingues» et seulement 27% «franco-ontariens»... La situation ne s'est sans doute pas améliorée depuis...
Sur le campus de l'Université d'Ottawa, qui se veut l'Université des Franco-Ontariens et que de nombreux francophones de l'Ontario considèrent comme «leur» université, on n'a pas besoin de tendre l'oreille très longtemps pour comprendre que plus des deux tiers des étudiants ont l'anglais comme langue commune... Or, dans cette ambiance anglo-dominante et clairement anglicisante, on entend chez les francophones un silence assourdissant... Si le sondage de l'AEF de Laurentienne était réalisé à Ottawa, on peut raisonnablement croire qu'une forte proportion de francophones opteraient eux aussi pour une institution universitaire bilingue.
Et surtout n'allez pas croire qu'en tant qu'ex-Franco-Ontarien, aujourd'hui fier Québécois, je veuille dénigrer ou condamner qui que ce soit. Ce qui se passe aujourd'hui en Ontario a de forts échos dans le bassin du Saint-Laurent. Quand le gouvernement Charest a introduit l'anglais intensif au primaire en 2011 (rendait la 6e année bilingue), une immense majorité de la population et des médias a applaudi. Et tous les ans, des milliers de parents franco-québécois veulent que leurs enfants étudient dans un cégep anglais ou à l'université anglaise. Il va falloir légiférer pour endiguer la vague. Le français au Québec est menacé autant par la complaisance des francophones que par la progression parfois agressive de l'anglais. Alors, chers Franco-Ontariens, ne comptez surtout pas sur les milliers de Québécois inscrits dans vos universités bilingues pour mener le combat en faveur d'une gestion universitaire «par et pour» les Franco-Ontariens.
Le recteur de l'Université Laurentienne, Robert Haché, et le porte-parole de la Coalition nord-ontarienne pour une université de langue française, Denis Constantineau, ont touché au coeur du problème en reconnaissant, tous deux, que «c'est bel et bien l'identité de toute une communauté qui est en jeu». La question, c'est de savoir si les futures générations de Franco-Ontariens seront, sur le plan identitaire, des francophones ou des «bilingues». S'ils auront une identité ou une double identité. Individuellement et collectivement. La glissade vers un bilinguisme identitaire collectif, prélude à la perte du français, est amorcée depuis le Règlement 17, il y a plus de cent ans.
Dans son Histoire de la province de Québec, l'auteur Robert Rumilly rappelle les débats de 1938 entourant la participation éventuelle du Canada à une guerre européenne, mettant aux prises un Canada anglais largement participationniste et un Canada français majoritairement abstentionniste. L'Assemblée législative de l'Ontario avait adopté une résolution guerrière et Rumully écrit: «Les députés franco-ontariens votèrent la motion comme les autres (...) car l'école bilingue, les journaux de langue anglaise, l'atmosphère ontarienne et le zèle officieux des chefs avaient développé parmi les Franco-Ontariens une mentalité différente de l'esprit québécois», différente de celle qui prévalait «lors de la résistance héroïque au Règlement 17».
Avance rapide à l'automne 2021. Ce qu'on a appelé l'Université de l'Ontario français et qui ne l'est pas vient d'ouvrir ses portes avec quelques centaines d'étudiants dont la majorité n'est pas originaire de l'Ontario. L'Université française de Sudbury vient de débuter avec aucun étudiant, pour le moment. La quasi-totalité des effectifs étudiants francophones inscrits dans des universités ontariennes fréquentent des universités bilingues ou anglaises. Et à peu près personne, sauf quelques voix dissidentes et/ou militantes, ne semble s'en offusquer. Le combat de l'Ontario français à l'universitaire est clairement identitaire. Comme il l'est au Québec, où la victoire est loin d'être acquise même si nous sommes majoritaires.
La bataille est perdue dans le sud de l'Ontario où, sauf pour le vieux quarter français de Welland, les collectivités francophones ne sont plus qu'une note en bas de page. Les yeux sont maintenant tournés vers Sudbury, où la plus récente «coalition» franco-ontarienne ne semble pas avoir perdu de vue l'objectif de regrouper les programmes de langue française sous une seule bannière, avec une gestion «par et pour» les francophones. La question, c'est de savoir si le nouveau recteur Serge Miville (Université de Sudbury) et ses troupes peuvent compter sur l'appui des étudiants franco-ontariens, et notamment ceux et celles de la Laurentienne. En Ontario, les dés politiques sont pipés en faveur des deux monstres bilingues, et sans un appui massif des collectivités étudiantes et citoyennes de l'Ontario français, les chances de succès sont quasi nulles.
Si les Franco-Ontariens ne réussissent pas à compléter leur pyramide scolaire avec une université digne de la relève que s'efforcent de préparer les collèges, les écoles secondaires et les écoles primaires de langue française, à quoi auront servi toutes ces luttes depuis un siècle? Le drapeau franco-ontarien flottera-t-il un jour sur des universités de langue française à Ottawa et à Sudbury? Demandez aux Acadiens quelles auraient été les conséquences de ne pas avoir obtenu leur Université de Moncton. C'était là aussi, essentiellement, une question d'identité.
Encore une fois, M. Allard (PYA), je souscris à la quasi-entièrité de vos propos. Dans ce pays, passer de français à bilingue n'est que le prélude à une transition presqu'obligatoire vers 'anglais'. C'est ce que les religieux d'autrefois appelaient ''la pente savonneuse du vice''... Ma fille aînée va à l'Université d'Ottawa, tout comme moi autrefois, et elle ne jure que par OttawaU, prononcé à l'anglaise. Ça fait plus prestigieux... Nous avons toute une pente à remonter, mais je ne perd pas espoir (même si j'ai parfois des doutes, comme tout le monde). En passant, si jamais il vous tente de me contacter, ça me ferait plaisir, je dois dire. Vous n'êtes pas obligé, toutefois.
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