samedi 26 mars 2022

Je fais toujours confiance aux journalistes, moins aux médias, pas du tout à l'Internet

les dernières éditions quotidiennes imprimées de La Presse et du Droit

Quand le public fait davantage confiance aux entreprises et aux gouvernements qu'aux médias d'information (voir bit.ly/3NlsCk4), on a un sérieux problème de société, de démocratie, voire de civilisation.

Ça fait dramatique un peu comme déclaration, j'en conviens, mais j'ai la conviction qu'elle oscille tout près de la réalité.

Contrairement à un nombre croissant de lecteurs et d'auditeurs, je ne crois pas que les médias et les journalistes d'ici tentent de disséminer «de l'information erronée ou largement exagérée».

Mais je peux comprendre. J'ai moi-même, de plus en plus, un réflexe de méfiance (pas pour les mêmes motifs) envers ce qui reste de l'offre de nos anciens journaux papier.

Le noeud du problème se résume en un mot: Internet.

Cet Internet, que j'adore pour ce qu'il ajoute à nos capacités d'informer et d'échanger, mais que je déteste pour ce qu'il prétend supplanter, est devenu une véritable jungle médiatique.

L'information est partout, et en désordre. Les organes d'information crédibles se noient dans une bouillie de médias sociaux où fausses et vraies nouvelles se côtoient sans distinction...

Auparavant, je n'avais pas besoin naviguer d'un moteur de recherche à l'autre sur de minuscules écrans pour trouver des aiguilles dans des bottes de foin.

Mon journal était déposé à ma porte tous les jours (sauf le dimanche).

Je ne devais pas le dégager d'une pile de publications à potins, parfois délirantes, sur mon perron.

Ayant travaillé longtemps dans une salle des nouvelles, je connaissais les rouages de mon quotidien et pouvais deviner ceux des autres.

Que l'information véhiculée était le produit d'une équipe de journalistes professionnels bien encadrés (tant ceux de mon journal que ceux, encore plus nombreux, des agences de presse).

Que les textes avaient été révisés, corrigés, triés et mis en page en fonction des priorités du jour. Sans être complet, le menu était suffisant pour faire du lecteur un citoyen informé.

Que le format papier - tabloïd ou plus grand - était plus facile à lire que l'écran d'une tablette ou d'un téléphone.

Que je pouvais voir deux pleines pages et plusieurs nouvelles du même coup d'oeil, et passer aux autres pages sans pitonner...

Que le journal ne disparaissait pas dans un nuage virtuel dès que je le rangeais...

Que je n'avais pas à craindre que les nouvelles lues aujourd'hui aient été modifiées ou pire, effacées, le lendemain... ou l'année d'après...

Que les coupures de presse ou les éditions papier que je conservais seraient toujours accessibles dix ans, 50 ans, 100 ans plus tard...

L'arrivée de l'Internet, dans les années 1990, permettait de multiplier l'offre des médias traditionnels en assurant l'accès universel à l'information en temps réel ainsi qu'une communication instantanée entre usagers et producteurs.

Mais la magie d'Internet avait aussi ses Voldemort...

Entre l'appât du gain des barons de la presse et la découverte d'un bâton magique virtuel qui semblait ouvrir toutes les portes jadis verrouillées, cinq siècles de civilisation de l'imprimé ont été vite assiégés.

Le Web ne s'est pas contenté d'ouvrir un nouvel univers. On s'en est servi pour supplanter l'ancien. Feu le papier. Un vaste autodafé virtuel.

Et vingt-cinq ans plus tard, on a ce qu'on a. Depuis le 24 mars 2020, mon quotidien (Le Droit) n'a plus d'édition quotidienne papier. Le vide sur mon perron a été rempli, pour le moment, par Le Devoir.

Je reste - je resterai toujours abonné à l'édition Internet du Droit, qui a ses qualités et ses défauts, mais il n'est plus physiquement sur ma table de cuisine. Il n'est plus dans les kiosques des magasins, ni sur les tables de restaurants.

Pour conserver un texte ou une photo du journal, je dois l'imprimer. Rien ne garantit que ce texte ou cette photo sera encore accessible le lendemain, ou pire vingt ans plus tard. Et de fait, de nombreux textes du Droit qu'on trouvait jadis sur le Web n'y sont plus...

N'oubliez jamais que nous ne contrôlons pas les interrupteurs. Si quelque part, quelqu'un qui le peut et le veut coupe les accès, l'écran de votre tablette, de votre ordi ou de votre téléphone n'affichera RIEN.

Entre-temps, de vraies et de fausses nouvelles, des analyses de journalistes sérieux et les délires de complotistes, les échanges constructifs et les ragots les plus mesquins se côtoient sur les écrans.

Mon journal n'est pas à ma porte, avec ses 30 ou 40 pages de papier qui m'ont été personnellement adressées.

Mon journal est dans une vaste toile virtuelle où avoisinent le meilleur et le pire, le vrai et le faux, le propre et le sale. Veux, veux pas, il est entaché par les dégueulasseries qui l'entourent.

Pour plusieurs, encore, qui s'assemblent ont tendance à se ressembler...

Le papier assurait sa crédibilité, sa noblesse et sa permanence.

Les journalistes de nos salles de nouvelles décimées font leur possible pour maintenir les niveaux de qualité de l'information.

Un peu de détergent dans les eaux malpropres de l'Internet.

Je fais toujours confiance à mes collègues journalistes. Les vrais.

Je ne fais plus vraiment confiance aux médias qui les emploient.

Et je ne fais aucunement confiance à cet Internet qui échappe complètement à notre contrôle.

Quand je dis que les journaux doivent retrouver leurs éditions papier, on me dit que je rêve en couleur. Que cette époque est finie, ou presque.

Quand je dis que l'information dans nos quotidiens a dépéri depuis l'arrivée de l'Internet, je ne rêve pas.

Quand je dis que le dépérissement de l'information menace la démocratie, la civilisation même, je ne rêve pas.

Le papier coûte cher. Abandonner le papier coûtera bien plus cher.

Le peuple a raison de se méfier...


1 commentaire:

  1. Entièrement d'accord. Pour ma part, je suis heureuse de pouvoir tous les jours mettre un journal papier sur la table, que mes enfants regardent avec curiosité, sur lequel ils me posent des questions. Bientôt, sachant lire, ils auront accès à l'information sans avoir à nécessairement se pencher sur une tablette ou à s'abîmer les yeux devant un ordinateur. Mais pour combien de temps?
    Quel bonheur également, à l'heure du dîner, de pouvoir continuer sa lecture en s'éloignant de l'écran, de parcourir les titres sans avoir à les faire défiler sur un écran lumineux. De pouvoir découper des critiques et suggestions, de conserver certains articles qu'on glisse dans le livre approprié... et de les retrouver plus tard.
    Quand j'en ai l'occasion, c'est avec un mélange de bonheur et de malaise que j'apporte un journal plié dans le métro et que je le lis. En espérant que quelqu'un, parmi les passagers, se dira "ah oui, c'est vrai, c'était si agréable de lire sur papier..." et se réabonne.

    RépondreEffacer