samedi 3 février 2024

Coopérative mon oeil!

Ma caisse à Gatineau, avec l'ancien logo (qui a disparu depuis)

---------------------------------------------------------------------------------

Il y a encore des gens qui croient que Desjardins demeure une coopérative... Légalement, peut-être... Mais en pratique, le mouvement de coopératisme qui a donné naissance à des centaines et centaines de caisses populaires depuis plus d'un siècle est désormais consigné aux livres d'histoire. Et pour les dirigeants de la méga «banque» centralisée Desjardins du 21e siècle, moins on s'en souviendra, mieux ce sera...

À chaque fermeture de caisse (jadis populaire), de centre de services ou de guichet automatique, les pages de ce qui nous reste de presse régionale regorgent de protestations de membres (oui, membres), de citoyens, et même de municipalités qui semblent toujours croire à leur droit d'exercer une quelconque autorité au sein de «leurs» coopératives Desjardins au logo hexagonal dépouillé (sans ruche).

Quand, en 2018, on a annoncé la fermeture du guichet et comptoir caisse de Notre-Dame-de-la-Salette (vallée de la Lièvre), le maire Denis Légaré était monté en vain aux barricades. «On va leur montrer une leçon, disait-il. S'ils l'ont oublié, on va leur rappeler que ça appartient à leurs membres, la Caisse populaire»... À l'annonce du retrait du guichet de Plaisance (Petite-Nation), le maire Christian Pilon a été plus lucide dans son malheur: «Tout le monde sait que la décision vient du conseil d'administration à Montréal», a-t-il déclaré.

Dans la région du Lac-Saint-Jean, l'an dernier (2023), Desjardins a fermé des installations dans un certain nombre de localités (Albanel, L'Ascension, Ste-Monique, etc.). Plusieurs pétitions ont circulé et des milliers de membres ont signé. Encore en vain. «C'est une coopérative, a plaidé l'une des signataires. Ça appartient aux membres et on n'a pas notre mot à dire.» Desjardins aurait pu au moins organiser une assemblée publique pour expliquer les fermetures, notait pour sa part le maire d'Albanel, Dave Plourde.

En principe, sur le plan juridique, une coopérative «est une organisation autonome, gérée par ses membres», selon la définition offerte par le gouvernement du Québec. En réalité, depuis que Desjardins a tout fait pour liquider les petites caisses populaires sur lesquelles s'est édifié au fil des décennies le monstre bureaucratique actuel, la démocratie coopérative est morte ou agonisante. Quand une coopérative d'épargne et de crédit comme la Caisse Desjardins (jadis populaire) de Gatineau compte plus de 60 000 membres - bouffés après l'abolition et la fusion de caisses locales plus modestes - ça fonctionne à toutes fins utiles comme une banque.

On «scrappe» les livrets de caisse... À qui faudra-t-il s'adresser? Sais pas... Sûrement pas à ma caisse jadis populaire, qui semble être essentiellement un haut-parleur pour retransmettre les mots d'ordres du sommet de la pyramide. Je veux voter là-dessus comme membre? Impossible. Là on annonce la fermeture de près de 190 centres de services et bien plus de guichets d'ici 2026. Ce n'est pas Desjardins qui l'annonce, mais un journaliste du Soleil qui le révèle sur Internet. Dans une coopérative démocratique, une guillotine similaire aurait dû depuis longtemps être l'objet de discussions et de votes dans toutes les localités visées. Au lieu de ça, on met les cinq ou six millions de membres Desjardins devant un fait quasi accompli. Qui a pris la décision? Quand? Sais pas. Probablement dans des bureaux où les numéros de téléphone ne sont accessibles qu'au personnel de Desjardins. Surtout pas aux membres...

Une chose est sûre. On a pris le temps de préparer des réponses parfois claires, parfois pas claires du tout, toujours dans une langue de bois, aux milliers de questions qui seront posées dans les médias et parmi les membres des coopératives. «Desjardins maintient ainsi son objectif de centraliser ses services et de déplacer les opérations courantes de son réseau physique vers le numérique», explique-t-on. De belles paroles pour nous dire: ne venez plus à votre caisse, on ne veut pas vous voir. Ne vous rendez plus à ces guichets qu'on a mis des années à vous convaincre d'utiliser. Sortez vos petits téléphones et vos tablettes, bandes de zombis, et restez encabanés chez vous, greffés à vos écrans. Je n'ai jamais voté pour ça. Je ne me souviens pas d'une assemblée générale où on m'a demandé de voter pour ça.

Les dirigeants de Desjardins vous lancent ensuite quelques statistiques destinées à vous faire croire que vous êtes un dinosaure si vous n'avez pas encore compris ce que 99% des gens autour de vous font déjà. «L'an dernier, dit-on, moins de 1% des transactions ont été effectuées aux comptoirs caissiers» de Desjardins. Mais ça veut dire quoi, au juste? C'est quoi, une transaction? À chaque fois que j'utilise ma carte VISA ou ma carte débit et que cela apparaît dans mes comptes, c'est une transaction? À chaque fois que mes paiements d'hypothèque, d'assurance, de téléphone, de câble, etc. sont retirées de mon compte de caisse par Internet, c'est une transaction? 

Ça fait combien de transactions par année? Des milliards? Un pour cent, ça reste au moins plusieurs millions de transactions effectuées par des humains, probablement plus âgés que la moyenne, qui se déplacent à une caisse jadis populaire ou à ses centres de service. À la mienne, ce que je sais, c'est qu'à chaque fois que je m'y rends pour un dépôt, un retrait, pour avoir du comptant, une devise étrangère, ou de l'information, il y a une file d'attente aux quatre ou cinq guichets caissiers ouverts. Ces personnes sont des humains, des membres qui, semble-t-il, n'auront pas voix au chapitre quand on barrera un jour les portes. Coopérative mon oeil!

Dans une société en voie de zombification par écrans, les coopératives devraient avoir pour mission de stimuler l'action collective, la solidarité, l'engagement social. Promouvoir l'éducation coopérative. Investir dans la formation de nouvelles coopératives. Multiplier les assemblées thématiques à la caisse même. Devenir un instrument de participation citoyenne. Et cela peut inclure, entre autres, la volonté de conserver des guichets et des centres déficitaires pour rendre service aux membres et aux localités qui en ont besoin, ceux-là même qui ont donné à Desjardins sa force actuelle.

Les dirigeants de Desjardins traitent de plus en plus les membres propriétaires comme de simples clients, comme le font les banques. Les nouvelles technologies, qui auraient dû se contenter d'ajouter à l'offre de services et à la bonifier, ont été détournées pour justifier la destruction de ce qu'on appelle vulgairement «le réseau physique». Quand les guichets et les comptoirs caissiers auront tous disparu, un jour, et que tout, vraiment tout, se fera en pitonnant sur un petit écran, Desjardins pourra dire: mission accomplie. Et si jamais un jour les écrans s'éteignent, il ne restera plus rien...


1 commentaire:

  1. C'est le fondateur des Caisses populaires Alphonse Desjardins qui doit se retourner dans sa tombe.

    RépondreEffacer