«Les commerces et les gens ne sont que de passageLe quartier, lui, traverse les âgesConservant dans ses cours, ses maisons et ses ruesL'âme de tous ceux qui y ont vécu.»
Rue des souvenirs, Cowboys fringants
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Pas de quoi faire un plat, direz-vous. Et pourtant, le geste revêt une importance plus que symbolique. Pour moi en tout cas... Après avoir vécu 36 ans, d'abord avec nos trois filles, puis seuls, dans cette maison à paliers que nous avons fait bâtir en 1988, le compte à rebours a débuté. Le bail est signé et le 1er juillet 2026, nous retournerons vivre en appartement pour la première fois depuis 1980.
Ces boîtes contenant une centaine de livres marquent le début officiel de deux années de désassemblage d'un chez-soi que nous tenions un peu trop pour acquis. Nos enfants ont grandi ici. Ils ont fait leur nid ailleurs depuis longtemps. Nous avons vieilli ici, et arrivons à l'âge où l'entretien de terrain et maison prend des allures de défi quotidien. Et nous ne sommes pas seuls. On voit le quartier se renouveler avec le départ graduel des têtes blanches... de notre génération. Les cris d'enfants se font de nouveau entendre dans la rue.
Dorénavant, nos yeux ne verront plus de la même façon. Le vaisselier semble avoir grossi au regard d'un futur logement plus exigu. Les fauteuils du sous-sol seront de trop dans un appartement au 6e étage. Deux lits devront se trouver un nouveau foyer. Et ainsi de suite. De pièce en pièce, la constatation qu'en perdant plus de la moitié de l'espace actuel, plus de la moitié des biens accumulés au fil des ans ne nous suivront pas à l'été 2026. Et qu'il serait impensable d'attendre aux derniers mois pour s'en défaire...
Mais l'obligation d'entreprendre un tri dans nos possessions ne rend pas l'exercice plus facile. Pour moi surtout. Les trois boîtes pour la Bibliothèque de Gatineau, c'est Ginette qui les a remplies. Ce sont, pour la plupart, ses livres. Les miens, c'est autre chose. Mon attachement à l'imprimé a toujours été viscéral. Une grande partie de ma vie - étudiante, journalistique, politique, sociale, philosophique - s'étale sur mes étagères de merisier. J'y conserve des trésors de mon passé, les outils du présent et beaucoup d'espoir pour l'avenir. Un ultime bouclier contre l'avilissement des excès d'écran...
Et que dire de ma précieuse collection de 33 et 45 tours, également en péril. Ma table tournante Pioneer, vieille de plus de 40 ans, et ses hauts-parleurs en bois de près d'un mètre de hauteur prennent beaucoup de place, mais moins que ma collection de 1500 disques vinyle, témoins d'une passion musicale de sept décennies. Non seulement les rangs d'albums décorent-ils bien une pièce, mais dès que l'aiguille glisse sur leurs sillons, des sonorités d'un temps perdu jaillissent avec toute l'imperfection et la richesse du vinyle. Devrai-je tous les réécouter une fois de plus, au cas où...
Pour le moment, le sort des écrits et de la musique accumulés depuis les années 1960 retient le plus mon attention. Cela changera sans doute au cours des 24 mois qui nous restent à préparer le départ de la maison familiale. Telle pièce, tel objet ou tel meuble, objets de discussion pour un moment, se révéleront tels qu'ils sont, des éléments d'un tout bien plus essentiel: ce chez-soi tout entier que nous habitons, auquel notre petite famille a légué une âme, si telle chose qu'une âme existe pour une structure de béton, de bois, de briques, de vinyle et d'aluminium ayant offert un toit à l'amour éternel d'un couple et de ses trois filles.
À suivre...
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