photo prise en 1940 |
Il y a un an, le samedi 15 juillet 2023, j'allais prendre le petit déjeuner avec ma mère, Germaine Jubinville-Allard, à son appartement de la résidence Jardin Royal, à Orléans (Ontario). Nous avons jasé de tout et de rien. Une conversation comme tant d'autres, rappelant des anecdotes du passé, passant le présent en revue et regardant, malgré ses 98 ans et 352 jours, vers un avenir tout de même rétrécissant.
Après une chute, survenue la semaine suivante, elle est décédée le jour de ses 99 ans, le 28 juillet.
J'avais eu la conviction que maman fêterait ses 100 ans et qu'on finirait par croquer une photo de cinq générations après la naissance de son premier arrière-arrière-petit enfant, attendu au début de 2024 (Louis Pierre est né le 14 janvier). Jamais je n'aurais pu imaginer qu'elle mourrait treize jours plus tard!
Quelques mois auparavant, je lui avais demandé d'étaler ses boîtes de vieilles photos pour en offrir quelques-unes au Centre de recherche en civilisation canadienne française (CRCCF) de l'Université d'Ottawa, qui avait entrepris d'archiver des photos de familles des anciens quartiers franco-ontariens d'Ottawa. La première à susciter son intérêt était de 1940. Elle avait 16 ans.
On la voit près de la maison familiale, rue Hinchey (Ottawa), en train de râteler des feuilles. Qu'y a-t-il de spécial là-dedans, lui ai-je dit, n'y voyant qu'elle, souriante, et quelques maisons typiques du quartier. «Je suis en pantalon», a-t-elle répliqué, fière. À l'époque, les filles catholiques devaient porter robe ou jupe. Le pantalon étant considéré vêtement de garçon, ses parents se montraient réticents à laisser leurs adolescentes bousculer les traditions vestimentaires.
Elle avait dû contester l'autorité parentale et beaucoup, beaucoup insister pour finalement obtenir la permission de s'habiller «pas comme les autres». Cet incident témoigne de sa force de caractère et de son esprit indépendant. Les règles religieuses et sociétales parfois étouffantes de l'époque, confrontées à son individualité ou sa liberté, ne sortaient pas toujours victorieuses.
Quand, à la fin des années 1940, un prêtre capucin de la paroisse St-François d'Assise est venu lui reprocher le délai croissant (et apparemment excessif) entre ses deux premiers fils et un troisième enfant à venir, maman l'a doucement éconduit en lui rappelant que ce n'était pas lui qui accouchait et qui s'occupait des bébés.
Enfant de la Grande dépression, ma mère savait économiser. Le modeste salaire de mon père nous assurait un toit et de quoi manger à notre faim, mais pour le reste il fallait compter chaque «cenne». Également excellente couturière, elle a confectionné presque tous mes vêtements et ceux de mon frère pendant une bonne dizaine d'années.
Je me suis parfois demandé quel genre de vie elle aurait mené, ne pas avoir eu à s'occuper d'une maisonnée de quatre enfants. Ma mère avait complété son secondaire chez les Soeurs grises durant la Seconde Guerre mondiale et figurait presque toujours au tableau d'honneur scolaire.
Je la revois, à mes 9 ans, assise sur le perron, m'enseignant la prononciation latine dont j'aurais besoin comme enfant de choeur. «Non, on ne dit pas "Oratte fratte", c'est "Orâté frâtrèsse"...» Et je me souviens de l'importance accordée en 1959 à ma participation au Concours ontarien de français. J'y avais gagné un dictionnaire (que j'ai toujours) dans la catégorie orthographe...
Maman avait travaillé au gouvernement fédéral après sa 12e année à l'école St-Conrad, durant la Guerre (de 1942 à 1945). En se mariant, elle se consacra entièrement au foyer. Mais quand mes parents ont acheté leur première maison en 1959, style allumette sur la rue la plus étroite du quartier, il fallait rembourser deux hypothèques et elle a réintégré le marché du travail.
Tenant à son indépendance financière, elle avait son propre compte à la caisse populaire et s'entendait avec mon père sur un partage des responsabilités financières. Prudente gestionnaire du budget familial, je crois qu'avoir poursuivi une carrière politique, elle aurait fait une redoutable ministre des Finances...
Elle tenait à son héritage français, ontarien et québécois (elle était née à Aylmer, en Outaouais), et fut fort heureuse de participer à l'expérience - trop brève - des unités de langue française au sein de la fonction publique fédérale au début des années 1970.
C'est aussi à cette époque qu'elle s'est acheté une petite Toyota «qui changea sa vie», devenant un outil clé de son autonomie. L'obligation de vendre sa dernière voiture (également une Toyota) et de perdre son permis de conduire à 93 ou 94 ans fut pour elle un drame. Elle a regretté sa petite voiture japonaise jusqu'au dernier jour.
Sans cette vilaine chute qui précipita sa fin, peut-être serions-nous en train de jaser, ce 15 juillet 2024, des préparatifs ultimes pour sa fête de 100 ans. S'il existe un au-delà comme celui qu'on nous a toujours annoncé, j'ai la certitude qu'un méchant party s'y prépare avec la parenté... et sa grande amie Sainte Anne en invitée d'honneur...
Ma mère, née en 1903 à Bourget en Ontario et décédée à 101 ans à St-Bruno-de-Montarville, après s'être mariée à mon père à 33 ans, qui lui avait 36. Elle a tenu maison jusqu'à 96 ans, elle était un peu du même genre et a élevée 4 enfants à l'encontre de l'avis de M. le Curé. Elle avait de la poigne.
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