«L’épanouissement, voire le sort de la francophonie canadienne à l’extérieur du Québec semble aujourd’hui se jouer sur la capacité de cette dernière à préserver, à développer et à contrôler des espaces francophones*.» - La construction d'espaces francophones comme projet de société en milieu minoritaire, Revue Minorités linguistiques et société, numéro 13, 2020. (lien en bas de page)
------------------------------------------------------------------------
Pour en arriver à cette conclusion, qui va de soi pour tout francophone ayant vécu ou vivant dans une province à majorité anglaise, les quatre auteurs du texte ont passé au peigne fin la réalité de la francophonie canadienne hors-Québec. Qu'auraient-ils écrit s'ils s'étaient penchés de même façon sur la situation du français au Québec? La même chose?
On n'aurait qu'à remplacer «la francophonie canadienne à l'extérieur du Québec» par «la francophonie québécoise»... «L’épanouissement, voire le sort de la francophonie québécoise semble aujourd’hui se jouer sur la capacité de cette dernière à préserver, à développer et à contrôler des espaces francophones.»
Le mot clef, évidemment, c'est «contrôler». Si le contrôle d'un espace ou d'un territoire échappe à la collectivité de langue française qui l'occupe, rien ne garantit qu'on puisse en «préserver» et «développer» le caractère francophone. De fait, sans cette capacité de contrôler leur propre destin, les francophones, tant au Québec qu'ailleurs au Canada, seront toujours à la merci de majorités anglophones souvent hostiles.
Quelques exemples (on pourrait en citer des centaines, voire des milliers) pertinents? Prenez le secteur de la Basse-Ville d'Ottawa, l'ancien bastion des Franco-Ontariens de la capitale canadienne. Un bon jour, dans les années 1960, pour construire un pont le fédéral exproprié plus de 100 familles et cassé le quartier en deux avec un grand boulevard. À la fin des années 60, sous le couvert d'un projet de rénovation urbaine, la ville d'Ottawa a défiguré l'ensemble de la Basse-Ville à coups de routes et d'expropriations.
À 80% francophone jusque dans les années 1970, la Basse-Ville compte aujourd'hui à peine 20% de Franco-Ontariens. Qu'auraient pu faire les anciens résidents pour préserver et développer le caractère français du territoire qu'ils occupaient depuis la première moitié du 19e siècle? Autre que de s'armer et de dresser des barricades, rien! Ils n'exerçaient aucun contrôle sur les véritables décideurs anglophones et francophobes, logés au Parlement fédéral et à l'hôtel de ville d'Ottawa.
Ce qu'ont subi les Franco-Ontariens de la Basse-Ville est arrivé, d'une manière ou d'une autre, à toutes les collectivités francophones urbaines hors-Québec. Entre l'effritement des quartiers, l’assimilation des francophones et l'absence de contrôle des leviers politiques, le français n’est nulle part aujourd'hui la langue de la rue dans ces villes ontariennes (et manitobaine) qui se glorifiaient jadis d'avoir de vibrantes «communautés» canadiennes-françaises. En 2024, les seuls espaces francophones à l'extérieur du foyer sont les salles de classe des écoles françaises, les églises (souvent vides) et les résidences pour personnes âgées. Ce n'est pas suffisant. Loin de là.
On pourra toujours dire qu'au Québec, la situation n'est pas la même. La majorité est francophone et la force du nombre lui permet d'exercer le contrôle sur un territoire qu'elle dit vouloir, depuis la Loi 101, de langue française. Mais encore faut-il que notre demi-État l'exerce, ce pouvoir. Les domaines de compétence du gouvernement fédéral, ceux que la Constitution lui attribue et ceux qu'il accapare avec l'aide de ses juges, sont entre les mains de la majorité anglo-canadienne. Vous n'avez qu'à lire les rapports annuels du Commissaire fédéral aux langues officielles pour en comprendre les conséquences.
Pour le reste, on sait ce qu'il faut faire. Seul un Québec à toutes fins utiles unilingue français permettra peut-être d'endiguer la vague anglo-américaine qui fait de nous un village encerclé. Mais depuis le premier gouvernement Lévesque, avec sa première mouture de la Loi 101, un manque évident de volonté politique a permis une érosion croissante vers un bilinguisme quasi juridique, tout au moins de facto. Un exemple? Toutes les municipalités qui auraient dû perdre leur statut bilingue en vertu de la Loi 101 ont décidé de le conserver parce que Québec leur a laissé le choix de se franciser ou pas, au lieu d’affirmer le pouvoir de la majorité.
À l'image de la Basse-Ville d'Ottawa qui lui fait face, le centre-ville de Gatineau, quatrième ville du Québec, s'anglicise à vue d'oeil alors que la rive québécoise se peuple de tours d'habitation envahies par des Anglo-Ottaviens qui s'y croient encore chez eux. Le vieux secteur de l'Île de Hull, autrefois à 90%, l'est désormais à moins de 60%. D'ici peu, les francophones y seront minoritaires. Et les autorités municipales ne font rien pour affirmer le caractère français de la ville pendant qu'ils ont encore le pouvoir de le faire. Au contraire, ils l'affaiblissent. Et les espaces francophones s'effritent à mesure que le centre-ville de Gatineau prend l'image d'une extension du centre-ville de la capitale fédérale..
À Ottawa, les Franco-Ontariens ont dû encaisser les coups parce qu'ils étaient minoritaires. Le pouvoir, le droit de contrôler leur destinée, leur échappait. À Gatineau les francophones sont majoritaires pour le moment et pourraient contrôler leur destinée, mais ne le font pas. Ils se taisent, à genoux, pendant que les tours riveraines continuent de monter et que l'assimilation croissante des francophones s'ajoute à l'arrivée massive d'anglophones de l'autre rive.
Si, un jour, les anglos sont en majorité à Gatineau, à Montréal, à Laval, ou même au Québec, je vous le garantis. Le pouvoir, le droit de nous contrôler, ils l'exerceront sans retenue et toutes nos futures jérémiades n'y pourront rien. Si on n'a pas de couilles, voilà le sort qui nous attend...
-----------------------------------------
Lien à l'article de la revue Minorités linguistiques et société, numéro 13, 2020. https://www.erudit.org/fr/revues/minling/2020-n13-minling05385/1070389ar.pdf
*Dans son usage courant, la notion «d’espace francophone» désigne les espaces sociaux où les francophones peuvent vivre, socialiser, transmettre la langue, se définir, se gouverner et développer leurs institutions en français. Ces espaces peuvent être formels ou informels, ou encore privés ou publics. Cela peut aller de l’habitation au quartier, aux commerces, à des centres socioculturels, aux organismes francophones, aux médias, aux écoles et établissements postsecondaires, aux hôpitaux, aux municipalités qui offrent des services ou qui fonctionnent en français.»
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreEffacerJe trouve bien dommage de ne pas pouvoir lire ce genre de choses dans les pages du Droit. Le journal LeDroit des premières années, celui des Franco-Ontariens luttant contre le règlement 17, aurait accueilli ces points de vue avec enthousiame. De façon regrettable, ce journal, sous la pression de ses propriétaires et à travers les agissements d'au moins deux de ses rédacteurs en chef, est progressivement devenu une extension du Parti libéral du Canada, la voix d'Ottawa, en d'autres mots, avec une ligne éditoriale collée au plus près sur le programme électoral de cette formantion politique, prônant un fédéralisme pur et dur. LeDroit n'a jamais dénoncé les agissements douteux du fédéral lors du référendum de 1995, un exercice démocratique qui impliquait des millions d'électeurs et qui a fait l'objet d'un tripotage honteux de la part d'Ottawa au plan du financement du comité du Non. Le journal LeDroit actuel, plus précisément la coopérative de travailleurs qui a repris le nom de l'ancien quotidien, en parle-t-il? Non. Pas du tout. L'ancien quotidien méritait amplement sa banqueroute d'il y a quelques années. En fait, moralement, il était déjà en banqueroute depuis des décennies. Ce que je viens juste d'écrire fera peut-être mal aux anciens du Droit, comme vous, mais cela me semble être la simple vérité. Je comprends votre loyauté au Droit, elle est évidemment compréhensible, mais je pense pourtant qu'il faut être loyal à son peuple avant d'être loyal à son employeur.
RépondreEffacer