Pas sûr que Félix aurait aimé ça... Un visage sans nom au-dessus du mot Canada... |
Après avoir permis l'embauche de facteurs unilingues anglais au Québec (permission retirée récemment après un tollé...), voilà que Postes Canada-Canada Post décide d'offrir davantage de services en anglais en sol québécois, et ce, particulièrement dans la région montréalaise. Ainsi, 24 bureaux de poste unilingues français de la métropole auront désormais un statut bilingue (1)...
Si le Québec avait son propre service postal, notre majorité francophone aurait sans doute pris des décisions différentes. Mais voilà... La Constitution de 1867 a décrété que seul Ottawa pouvait imprimer des timbres et assurer la livraison du courrier. Bien avant qu'il n'envahisse les champs de compétence provinciaux avec son pouvoir illimité de dépenser, bien avant qu'il piétine nos droits avec ses mesures de guerre, bien avant qu'il fomente le coup d'État constitutionnel en 1982 et nomme les juges chargés de nous l'imposer, le fédéral régnait en maître sur Canada Post.
L'Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB) de 1867 avait fait du français l'une des langues officielles du nouveau dominion, mais l'administration fédérale était essentiellement le reflet de la majorité anglaise du nouveau pays-colonie. Cela nous a valu, entre autres, des timbres unilingues anglais pendant les 60 premières années de la Confédération, le mot «Postes» s'ajoutant à Postage en 1927 lors de l'émission d'une série de timbres spéciaux à l'occasion du soixantenaire du Canada fédéré. Inutile d'ajouter que les visages prédominants sur les timbres-poste du Canada ont été, au fil des siècles, les reines et rois de la Grande-Bretagne... Les patrons de Canada Post n'auraient jamais songé à émettre un timbre commémoratif honorant le général De Gaulle après sa visite au Québec en 1967...
À travers le monde, des dizaines, voire des centaines de millions de personnes sur tous les continents collectionnent ou ont collectionné des timbres. Dans une de ses expositions virtuelles, le musée américain Smithsonian (2) explique que «les timbres fournissent une trace écrite de l'ascension et de la chute des empires, des pays, des dirigeants, des devises et des industries. Ils décrivent l'architecture, les coutumes, les croyances, les symboles, l'environnement et les traditions artistiques d'innombrables peuples.» L'album de timbres en ligne propose plus de 900 timbres-poste provenant de tous les pays du monde qui en ont émis, y compris de très nombreux pays qui n'existent plus.
Le Canada, tel que présenté par sa majorité anglaise, y est. Pas le Québec. Des personnages, des paysages et même des événements historiques québécois s'y trouvent à l'occasion, mais toujours avec la permission de la direction anglophone de Canada Post et comme des émanations du Canada. (3) Un peu comme nos athlètes de calibre mondial qui s'anglicisent dans des équipes pan-canadiennes pour ensuite se voir obligés de porter les couleurs de l'unifolié. On trouvera cependant dans les catalogues mondiaux des timbres de la Colombie-Britannique, de l'Île-du-Prince Édouard, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, émis avant leur entrée dans la fédération. Et surtout une multitude de timbres de Terre-Neuve, qui était un pays jusqu'à 1949. Mais pas du Québec...
Timbre produit entre 1931 et 1937 à Terre-Neuve |
Un Québec souverain pourrait ouvrir de nouvelles pages dans toutes les collections philatéliques de la planète, y compris au Smithsonian. Un tout premier timbre portant l'image du fleurdelisé ferait sensation. D'autres émissions, choisies cette fois par une majorité francophone, mettraient en valeur notre histoire, nos paysages, notre patrimoine, nos artistes et leurs oeuvres, et bien plus. Toutes ces choses qui façonnent notre identité nationale et que la majorité anglo-canadienne a eu trop souvent tendance à ignorer, rejeter ou mépriser. On me dira sans doute que le Canada a émis un timbre honorant Félix Leclerc (entre autres), mais il est humiliant d'avoir dû le demander et de s'être vus obligés d'obtenir la permission de dirigeants anglophones pour mettre le visage de notre barde national sur un timbre, au-dessus du mot Canada...
L'effet pédagogique de timbres émis par un Québec souverain serait immense. Imaginez des collectionneurs de l'Inde, de l'Australie, de l'Amérique latin ou de l'Europe recevant un nouveau timbre portant l'image de Pierre Bourgault, de René Lévesque, de Jacques Parizeau ou même Chevalier de Lorimier... Plusieurs effectueront sans délai quelque recherche pour en savoir davantage sur ces personnages et seront initiés à des chapitres de l'histoire du Québec que les dirigeants de Canada Post n'ont aucun intérêt à diffuser, étant trop occupés à autoriser l"embauche de facteurs et livreurs unilingues anglais au Québec ou à angliciser des dizaines de bureaux de poste jusque là unilingues français, le tout sous l'oeil bienveillant d'un Commissaire aux langues officielles plus soucieux du bien-être des Anglo-Québécois que de la protection du français.
À ceux et celles qui trouvent frivole mon incursion dans le fief postal de la fédération, clairement attribué à Ottawa par la Constitution de 1867, je dirais qu'il s'agit d'un exemple parfait de la situation dans laquelle la nation québécoise de langue française se retrouve à chaque fois qu'Ottawa exerce un de ses pouvoirs légitimes ou accapare un nouveau pouvoir de façon beaucoup moins légitime. Nous pouvons proposer, demander, quémander, supplier, argumenter, protester, nous mettre en colère... tout sauf DÉCIDER. La minorité ne décide JAMAIS.
Quoiqu'il en soit, j'aimerais bien un jour (pas trop lointain vu mes 78 ans) pouvoir coller un timbre québécois à l'effigie de Pierre Bourgault sur une lettre adressée au président ou à la présidente de Canada Post... J'en ferais un ego-portrait à publier sur ma page Facebook...
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(2) - https://postalmuseum.si.edu/exhibition/philat%C3%A9lie-internationale
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