lundi 28 octobre 2024

Mary Simon... Habituez-vous...

Mary Simon


Dans cette fédération ficelée contre notre gré en 1867, dans cette Constitution de 1982 enfoncée comme un poignard, dans ce pays où, minoritaires, nous n'avons jamais pu décider de quoi que ce soit, l'égalité de deux langues «officielles» continue d'orner les façades à Ottawa.  Mais ces jours-ci, excusez l'anglicisme, les craques fissurent de plus en plus les façades, même aux plus hautes sphères de l'État.

La nomination en 2021 d'une gouverneure générale incapable de prononcer même quelques phrases en français, et encore moins de les comprendre, aurait été impensable durant la Révolution tranquille ou dans les années suivant l'échec de l'Accord du Lac Meech. Ce l'est, désormais. À cause du contexte politique: le Canada anglais, sous Harper et bientôt avec Poilièvre, sait qu'il n'a plus besoin du Québec pour gouverner le pays. Secundo et de manière plus importante, le contexte démographique: la proportion de francophones, et bientôt leur nombre absolu, connaît une chute dramatique qui va s'accélérant.

Au milieu du 20e siècle, parlant des langues officielles, près d'un citoyen du Canada sur cinq connaissait seulement le français. Aujourd'hui,  cette proportion s'approche de 10%. Bientôt un sur dix! Le bilinguisme ne progresse qu'au Québec et principalement chez les francophones. Les Anglo-Canadiens hors-Québec, à 90%, ne parlent pas notre langue et ne la parleront jamais. Cela fait, au Canada de 2021, environ 4 000 000 d'«unilingues» français pour plus de 25 millions de citoyens qui ne comprennent que l'anglais, l'autre langue officielle. Ça laisse, sur une population totale de 36 ou 37 millions, à peine six millions et demie de «bilingues»: 18% de la population...

Les médias faisaient récemment état de l'embarras* du gouvernement Trudeau parce que la gouverneure générale Mary Simon, après trois ans de cours, ne maîtrisait pas un français même rudimentaire. C'est pourtant une femme intelligente, experte des questions de l'Arctique et ancienne ambassadrice du Canada. Tout à fait capable d'acquérir l'autre langue officielle du pays. Alors pourquoi ne l'a-t-elle pas fait avec tous les moyens mis à sa disposition? Pour deux motifs qui devraient crever les yeux: elle n'a pas besoin du français pour exercer l'essentiel de sa fonction de chef d'Etat et, de toute façon, elle ne veut pas vraiment l'apprendre.

Quand on veut on peut! J'avais interviewé dans les années 1990 un major anglophone dans l'aviation canadienne parlant un français fort acceptable, avec un accent issu de la rue et non des couloirs scolaires. Je lui demandé comment il avait appris. Originaire de la Nouvelle-Écosse, unilingue anglais, il avait été stationné à Bagotville et vécu quelque temps à Jonquière où il lui fallait évoluer au quotidien en français. En quelques mois à peine, il se débrouillait. Avoir obligé Mary Simon à vivre en appart à Rimouski pendant trois ou quatre mois, le problème serait déjà résolu... Enfin...

Je peux tout de même comprendre le point de vue des anglos. Apprendre une langue seconde parce qu'on le veut est un plaisir, un enrichissement. Se faire imposer une autre langue que la sienne est un irritant majeur, que les francophones du Québec et du reste du Canada connaissent bien, qu'ils subissent en grands nombres à chaque minute de chaque heure de chaque jour depuis que ce pays existe. Nous y sommes habitués avec un Canada à forte majorité anglaise et un voisin anglo-américain omniprésent. Mais l'Anglo-Canadien peut vivre en anglais seulement un peu partout de Whitehorse à Yarmouth, y compris à Ottawa et même à Montréal (Michael Rousseau l'a dit). Pourquoi apprendre le français, une langue qu'ils n'utiliseront pas?

Quand on défend le droit pour la majorité franco-québécoise de demeurer majoritairement unilingue française dans un Québec appelé, espérons-le, à devenir souverain, on ne peut du même souffle réclamer une bilinguisation de masse dans un Canada où l'unilinguisme anglais restera la règle, avec ou sans le Québec. De toute façon, au rythme actuel, d'ici deux générations, une forte majorité de francophones connaîtront l'anglais. C'est déjà fait hors Québec (à 90%) et ce le sera bientôt dans le bassin du Saint-Laurent. Quand seul un Canadien sur 20 sera unilingue français et que le Québec en voie de s'angliciser deviendra officiellement bilingue, on ne se posera plus de questions. Il y aura des Mary Simon partout et ce sera normal. Les anglos se sentiront chez eux partout dans leur langue. C'est leur pays.

Alors le scénario est clair. Au recensement de 1971, près de 4 millions de répondants francophones (sur une population totale de 21 millions de Canadiens) ne comprenaient pas l'anglais. En 2021, ça stagne toujours autour de 4 millions, mais sur une population totale de 36 millions! Entre-temps, le nombre d'anglophones qui ne comprennent pas le français est passé de 14 millions en 1971 à 25 millions en 2021. Il devient de plus en plus ardu de dire à ces dizaines de millions d'anglos qu'ils devront apprendre une langue en déclin pour devenir juges de la Cour suprême, gouverneur général, haut fonctionnaire ou ministre... Mary Simon n'est que la pointe d'un iceberg. Remarquez qu'on pourrait toujours, pendant son règne, demander à Charles III de lire les Discours du Trône à Ottawa. Le roi, lui, parle assez bien français.

Il ne reste qu'une voie réaliste pour sauver la langue et la culture française en Amérique du Nord: créer notre pays français. Entre l'immigration incontrôlée et une dénatalité massive qui menacent désormais l'existence même de ce «nous» français que nous avons mis 400 ans à bâtir et auquel nous voudrions intégrer les nouveaux arrivants, il ne reste plus grand temps pour agir de façon décisive. Le prochain recensement sera désastreux. Les façades bilingues fissurées finiront par s'écrouler...

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* Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/politique/canada/820533/incapacite-mary-simon-parler-francais-embarrasse-gouvernement-trudeau


mercredi 23 octobre 2024

Pourquoi le drapeau du Canada devant nos hôtels de ville?



Devant la Maison du Citoyen à Gatineau


Le drapeau officiel d'un État, c'est bien plus qu'un chiffon... Il identifie l'État, ainsi que son territoire et son peuple, à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières. Le graphisme et les couleurs symbolisent son histoire et ses valeurs. Il marque aussi la présence, l'appartenance et l'autorité de l'État qui le déploie.

À Ottawa où j'ai grandi, le gouvernement fédéral arbore l’unifolié rouge sur la multitude d'édifices qu'il occupe et il n'est pas rare de voir le drapeau du Canada flotter sur des terrains ou maisons de particuliers. Le 1er juillet, Fête du Canada, la ville est littéralement tapissée de drapeaux rouges et blancs à feuille d'érable. Cette masse d'unifoliés déborde un peu sur Gatineau, notamment près des tours remplies de fonctionnaires fédéraux qui trônent sur le centre-ville. Ça donne un peu à la rive québécoise de l'Outaouais une allure «Ottawa-Nord», bilingue-à-l'anglaise. 

Le gouvernement du Québec a aussi pignon dans le vieux Hull, mais son modeste édifice Jos Montferrand sur la rue Hôtel-de-ville, avec ses trois drapeaux québécois, reste dans l'ombre des tours fédérales adjacentes de Place du Portage. On aurait pu s'attendre que l'hôtel de ville de Gatineau, de l'autre côté de la rue, vienne en renfort à titre d'institution publique du Québec mais non: sur les trois mats devant notre «Maison du citoyen» municipale flottent le drapeau du Canada, le fleurdelisé au centre et la bannière municipale...

Cela m'a étonné. Je ne l'avais jamais vraiment remarqué. Combien de passants jettent.un coup d'oeil aux mats sur la terrasse devant l'hôtel de ville de Gatineau? Offusqué, je me suis dit que cela valait bien un texte de blogue, qu'il y avait là une des preuves que Gatineau soit inféodée au fédéral depuis que ce dernier ait pris pied sur la rive québécoise vers 1970 et éviscéré à coups d'expropriations un quartier ayant abrité les humbles maisons de résidents francophones.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, à l'aide de Google Street View, que le drapeau canadien est déployé devant les hôtels de ville de la quasi-totalité des villes que j'ai arpentées numériquement: ailleurs en Outaouais y compris Maniwaki, Thurso, Montebello; mais aussi dans notre métropole, Montréal; dans notre capitale nationale, Québec; à Sherbrooke, Saint-Hyacinthe, Rivière-du-Loup, etc. Je ne comprends pas... Ottawa n'ajoute pas de fleurdelisé devant ses bureaux de poste. Québec déploie le seul fleurdelisé devant les écoles publiques, les centres hospitaliers et autres édifices publics. Alors pourquoi l’unifolié devant les mairies québécoises?

Les lois et règlements du Québec stipulent: «Le drapeau du Québec doit être déployé de façon officielle par une institution publique ou un établissement relevant de l'Administration gouvernementale afin d'identifier son appartenance à cette dernière. Le drapeau a pour fonction, au même titre qu'une signature gouvernementale, de permettre au citoyen de reconnaître la juridiction du service qui lui est offert. Les institutions publiques relevant de l'État du Québec doivent observer les règles relatives au déploiement institutionnel.» Or, les municipalités font expressément partie de ces institutions publiques!

Hisser le drapeau du Canada sur nos mats municipaux constitue un manque de respect pour la loi québécoise en laissant croire à une juridiction partagée avec Ottawa qui n'existe pas, ou une appartenance quelconque au gouvernement fédéral, également inexistante. Les institutions municipales sont des créations du seul État québécois. Et c'est sans oublier que le drapeau du Canada représente la majorité anglo-canadienne et l'État fédéral, celui-là même qui nous a imposé la Constitution de 1982 sans notre accord et qui se sert de ses tribunaux pour désavouer les lois du Québec sur la langue française et la laïcité.

Il serait grand temps que le gouvernement québécois rappelle aux municipalités qu'elles sont soumises aux mêmes lois et règlements que les autres institutions publiques - les ministères, les écoles et centres de services scolaires, les établissements de santé, etc. - et qu'elles doivent s'afficher - même par le drapeau - comme des institutions québécoises. Vivement qu'on retire l'unifolié de nos hôtels de ville et mairies!

Devant l'hôtel de ville de Sherbrooke...


lundi 14 octobre 2024

10, 20, 50 Saint-Léonard...

La bataille de Saint-Léonard de Félix Rose tombe pile! En plus d'étaler avec doigté sur grand écran un moment clé de l'histoire - oublié des plus vieux, inconnu des plus jeunes - ce film rappelle le coeur d'un affrontement, scolaire en apparence mais touchant la fibre sociale entière du Québec. Et qui se poursuit en 2024...

De 1967 à 1969, Italiens et Canadiens français de Saint-Léonard-de-Port-Maurice (devenu l'arrondissement Saint-Léonard à Montréal) se sont fait la guerre: italophones exigeant d'envoyer leurs enfants à des écoles anglaises ou bilingues, francophones voulant imposer l'école française. C'est plus complexe que ça mais enfin...

Réunions publiques houleuses, occupation étudiante de l'école Aimé-Renaud, manifestations parfois violentes, interventions policières musclées, accusations de sédition! Boum! Le gouvernement de l'Union nationale fait adopter en 1969 la Loi 63 permettant le libre choix de la langue d'enseignement pour tous les parents. Victoire des Italiens. Le ressac chez les Québécois de langue française devait mener à l'élection du PQ en 1976 et l'adoption rapide de la Loi 101.

Le grand mérite du cinéaste est d'avoir tendu le micro à une famille de chaque camp: les Barone et les Lemieux. L'Italo-Québécois Mario Barone était constructeur et conseiller municipal. L'architecte Raymond Lemieux, fondateur du Mouvement pour l'intégration scolaire, pilotait la coalition francophone. On les voit, ainsi que leurs enfants, dans des clips d'époque et des enregistrements plus récents. Et si on se donne la peine d'écouter, tout est là!

Les immigrants italiens se considèrent autant, sinon plus, Canadiens que Québécois. Ils veulent voir leurs enfants sur les bancs des écoles anglaises (ou bilingues), ayant perçu avec justesse la dominance de l'anglais et des anglos à Montréal, au Canada et en Amérique du Nord. Pourquoi miser sur la langue des quartiers pauvres et de la misère? Qui peut les en blâmer?

De leur côté les francophones, propulsés par une révolution pas toujours tranquille, ont pris conscience de leur infériorité économique et entendent mettre leur majorité linguistique au service d'un projet national de société à leur image. Le Québec ne sera pas bilingue ou anglais: il sera français. Dans le film, Raymond Lemieux, président du Mouvement d'intégration scolaire de Saint-Léonard, est très clair: on ne devrait même pas avoir à apprendre l'anglais au Québec!

Cette affirmation, qui passe en clin d'oeil dans le documentaire, reste pourtant la plus importante recueillie par Félix Rose dans les archives de la fin des années 1960. Faut-il, faudra-t-il connaître l'anglais pour bien vivre au Québec? Clairement, après un demi-siècle, on n'a qu'à écouter Michael Rousseau, PDG d'Air Canada, et la gouvenore-djènerale du Canada, Mary Simon, pour savoir qu'on peut encore aujourd'hui, au Québec, viser le sommet sans apprendre un mot de français...

Et comme si cela ne suffisait pas, les deux plus récents premiers ministres libéraux, Jean Charest et Philippe Couillard, ont exprimé clairement leur désir de voir tous les jeunes Franco-Québécois devenir bilingues. L'anglais intensif dans les écoles françaises! Le Parti libéral du Québec, plutôt silencieux lors de la bataille de Saint-Léonard, serait monté sur les barricades avec les Italiens dans les années 2010...

Le documentaire de Félix Rose reste plutôt discret sur le rôle des autres partis d'opposition. C'est l'une des rares faiblesses du film. Les chefs de l'Union nationale sont à l'avant-plan mais c'est logique. L'UN, sous Daniel Johnson puis Jean-Jacques Bertrand, était au pouvoir. Pourtant, en mars 1968, à un congrès spécial du RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale), Pierre Bourgault - qu'on aperçoit sans plus à l'écran à quelques reprises - avait appelé les membres à se mobiliser pour les parents francophones de Saint-Léonard et organisé une assemblée de 600 personnes au mois de mai 1968.

René Lévesque, chef du Mouvement Souveraineté-Association devenu Parti québécois à l'automne 1968, oscillait entre sa volonté d'intégrer les immigrants au Québec français et sa répugnance d'ordonner leur francisation. Il s'était rendu en pleine nuit (pour éviter les médias) à l'école Aimé-Renaud en guise d'appui aux parents francophones mais quand Raymond Lemieux s'est avancé pour le saluer, le chef du PQ l'avait mis en garde contre toute association avec des «fanatiques», visant notamment Reggie Chartrand des Chevaliers de l'indépendance, qu'il venait de croiser sur les lieux.

La crise scolaire et linguistique vécue à Saint-Léonard laissait présager d'autres conflits dans la grande région montréalaise et ailleurs, là où, dans un contexte de libre choix entre l'école française et anglaise, l'immigration croissante combinée à une proportion appréciable d'anglophones créerait des situations similaires. Raymond Lemieux le pressentait quand il a exhorté les milliers de militants du MIS à créer «10, 20, 50 Saint-Léonard» à travers le Québec. Des comités avaient été formés à Anjou, Jacques-Cartier, Outremont, Hull, Rouyn, Matagami et même à Trois-Rivières. Il n'y a finalement pas eu d'autres Saint-Léonard avec la crise d'octobre de 1970, l'élection du PQ en 1976 et la Loi 101 en 1977, mais la question de M. Lemieux demeure: faut-il vraiment apprendre l'anglais à Montréal, à Gatineau, au Québec?

La réponse doit absolument être NON! Si l'immense majorité des Québécois ne peut espérer vivre et travailler uniquement en français, la bataille de Saint-Léonard et la Loi 101 n'auront rien donné. Si les partisans du bilinguisme collectif au Québec l'emportent, nous n'avons pas d'avenir comme peuple. Un Torontois trouve-t-il normal de vivre et travailler en anglais seulement dans la Ville-Reine? Bien sûr! Et un Danois d'évoluer dans sa langue à Copenhague? Et un Brésilien de s'attendre à être servi en portugais dans les commerces? Et à un Suisse de Zurich de passer sa vie en allemand? Bien sûr! Les immigrants apprennent partout la langue du pays. C'est normal. Ce doit l'être aussi dans un Québec résolument français! Voilà le message de Saint-Léonard.

Félix Rose se plaignait avec raison que la bataille de Saint-Léonard avait été oubliée. Son documentaire fait oeuvre utile en initiant les générations actuelles à quelques pièces clés du casse-tête linguistique québécois. Rien n'a été réglé depuis 1967. Les écoles françaises feront de nos prochaines générations des «bilingues» baragouinant un français appauvri farci d'anglicismes et de mots anglais. Des milliers d'étudiants francophones s'inscrivent aux cégeps et universités anglaises... au Québec. Et s'anglicisent. Et à Saint-Léonard, la moitié ou plus des Italo-Québécois et autres collectivités issues de l'immigration continuent de choisir de vivre en anglais, parce qu'ils le peuvent, parce qu'ils l'estiment plus nécessaire que le français.

Depuis la fin des années 1960, à Montréal, la proportion d'unilingues français a chuté de façon dramatique! Les Montréalais francophones sont massivement bilingues, désormais. Cette anglicisation en marche deviendra irréversible à moins de créer «10, 20, 50 Saint-Léonard»... Quand les «Bonjour-Hi» se diront sans «Bonjour», il sera trop tard. Notre contribution de plus de 400 ans à la diversité culturelle mondiale ne sera guère plus qu'une page dans les manuels d'histoire. Ou encore quelques films documentaires comme «La bataille de Saint-Léonard» accumulant la poussière sur les tablettes numériques de nos grandes bibliothèques...


lundi 7 octobre 2024

Si les Québécois se mettaient dans la peau d'un Franco-Ontarien de Greenstone...

En septembre, plus d'une centaine de particuliers et d'organisations ont offert des drapeaux franco-ontariens aux résidents de la petite ville de Greenstone, dans le nord de la province, pour que ces derniers puissent pavoiser leurs maisons en guise de protestation contre la décision du conseil municipal de retirer du mat de l'hôtel de ville l'étendard blanc et vert de l'Ontario français qui y flottait depuis une dizaine d'années.

À mon grand désespoir, cette nouvelle n'a pas percé l'éternel mur d'indifférence des médias québécois. Mais, dira-t-on, pourquoi s'intéresser au combat d'une poignée de francophones hors Québec contre le mépris habituel d'une majorité anglaise dans un bled isolé de la forêt boréale sur l'interminable route 11, direction lac Supérieur? Parce qu'un jour, au train où vont les choses, nous, Québécois, serons peut-être aussi réduits à mobiliser une base citoyenne si des anglos devenus majoritaires décident de retirer le fleurdelisé d'un mat et hisser leur unifolié rouge à sa place...

Une telle situation est difficile à envisager au Québec dans le contexte où une majorité francophone - solide mais déclinante - nous permet d'occuper le haut du pavé. À condition de vouloir occuper le haut du pavé bien sûr, ce qui ne semble pas du tout clair. Chaque recensement brosse un portrait chirurgical de l'affaiblissement du français, au Québec comme ailleurs, et du renforcement de l'anglais, même chez les francophones. Dans les régions à forte présence anglophone et allophone, un racisme anti-français se manifeste ouvertement, dans la société, les écoles, les boîtes de scrutin. Ne leur manque que la majorité pour nous faire suer comme les Franco-Ontariens...

Alors faites un moment l'effort de vous imaginer à Greenstone, petite ville de 4000 habitants où habitent près de 900 francophones (la proportion baisse tous les ans). Vous n'avez aucun pouvoir décisionnel avec moins de 25% de la population et ne pouvez espérer d'appui du gouvernement provincial à Toronto, ni du fédéral où la majorité anglo-canadienne exerce 100% du pouvoir. La municipalité décide de retirer votre drapeau vert et blanc avec fleur de lys et trille du mat à l'hôtel de ville et de lui accorder cinq jours par année, dont le 25 septembre, Jour des Franco-Ontariens. 

Vous n'avez aucune force politique suffisante. Vous amassez donc des drapeaux de l'Ontario français et pavoisez les maisons pour protester. Vous boycottez la cérémonie du 25 septembre à l'hôtel de ville. Et puis? Rien! Sans le bon vouloir des anglos, vous êtes cuits. Reste l'influence des médias de langue française, qui ne rejoignent qu'une faible proportion des Franco-Ontariens, ainsi que la force plus imposante des médias québécois, capables de propulser la misère d'une petite collectivité francophone ontarienne sur la scène nationale, québécoise et canadienne. Mais la presse québécoise est en plein désarroi. Six des dix quotidiens de langue française sont disparus et ce qui reste de la presse écrite et des médias électroniques au Québec ne vous connaissent même pas! La population restera dans l'ignorance!

Pouvez-vous imaginer la frustration devant une situation où vous subissez une injustice sans avoir la capacité de la redresser, d'être à la merci d'une majorité hostile (celle-là même qui commet l'injustice), de n'avoir aucun recours à une instance où les vôtres sont en position de prendre une décision, et de ne pouvoir mobiliser l'opinion publique à cause d'une indifférence médiatique généralisée? Voilà le quotidien des Franco-Ontariens.

Maintenant tentez de transposer une telle impuissance dans le Québec de vos petits-enfants ou arrière-petits-enfants. Vous aurez vite fait de comprendre pourquoi il faut léguer aux générations à venir un pays français exerçant tous les pouvoirs de la souveraineté. Un pays où nous aurons le droit de décider, où nous ne serons plus obligés de quêter, de quémander, de supplier pour obtenir les miettes qu'une majorité étrangère consentira...

Alors, je lance un appel, probablement futile, à mes collègues de la presse québécoise. Faites une place à la une pour des conflits comme celui de Greenstone. Et suivez-les. Jusqu'au dénouement. Une meilleure compréhension de la façon dont les francophones sont traités ailleurs informera les décisions que nous sommes appelés à prendre comme collectivité, comme nation.

Si les élus de Greenstone recevaient en grands nombres des commentaires de citoyens ou de groupes de citoyens québécois, ou des résolutions de conseils municipaux ça et là, ou la visite de journalistes de La Presse ou du Journal de Montréal, peut-être ne changeraient-ils pas leur décision de se défaire du drapeau franco-ontarien, mais ils auraient au moins conscience qu'ils font partie d'une problématique qui a des répercussions ailleurs que sur la route 11, peut-être même des conséquences pour l'avenir de leur pays...

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Lien au texte de Radio-Canada, «Plus de 100 drapeaux franco-ontariens flottent à Greenstone en solidarité» https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2107317/dons-drapeaux-solidarite-francophones

Lien au texte du journal Le Voyageur, «La riposte en vert et blanc de la communauté francophone à Greenstone!» https://levoyageur.ca/actualites/francophonie/2024/10/02/la-riposte-en-vert-et-blanc-de-la-communaute-francophone-a-greenstone/


samedi 5 octobre 2024

Que reste-t-il de l'esprit des allumettières?

Ç'a l'air gros mais il faut presque une loupe pour le trouver... Les allumettières méritaient mieux...

Les commémorations du centenaire du célèbre grève-lock-out des allumettières à l"usine E.B. Eddy, à Hull, à l'automne 1924, laissent un goût doux-amer. Non pas que la lutte de ces femmes courageuses ne mérite pas d'être célébrée. Au contraire! Elles constituent de fait une pièce essentielle de notre casse-tête identitaire.

Non, l'arête dans la gorge, c'est que ces braves syndicalistes aient ultimement échoué, qu'elles aient perdu leur emploi quand Eddy a déménagé son entreprise à Ottawa, et qu'au cours du siècle suivant, la solidarité sociale suscitée par ce conflit ait aussi disparu, comme une grande partie des maisons allumettes qu'elles habitaient, démolies sous l'oeil indifférent de nos élus par des entrepreneurs plus soucieux de leurs profits que d'un précieux patrimoine bâti et de l'histoire du coeur de l'ancienne ville de Hull.

Cela fait penser un peu à ces monuments de la francophonie érigés par les Franco-Ontariens dans des villes comme Ottawa, Sudbury, servant davantage à rappeler un passé révolu que l'espoir du présent dans des quartiers urbains jadis francophones. La Ville de Gatineau a dévoilé le 23 septembre 2024 un modeste (j'aurais été tenté de dire minuscule) monument commémoratif aux allumettières, tout près du pont des Chaudières, dans un quartier qui deviendra vite - comme l'ensemble de la rive québécoise au centre-ville - une espèce d'Ottawa-Nord.

Les allumettières ont déjà leur boulevard au coeur de l'Île de Hull, alors qu'E.B. Eddy a dû se contenter d'une rue. Une succursale de la bibliothèque municipale porte aussi le nom de la plus célèbre des allumettières syndicalistes, Donalda Charron. Mais que reste-il de l'esprit de ces femmes canadiennes-françaises catholiques (oui, c'était un syndicat catholique) et de la solidarité de la collectivité hulloise (des députés au conseil municipal à l'ensemble de la population) qui les a soutenues contre le capitalisme sauvage (et anglo) d' E.B. Eddy?À peu près rien!

Dans l'édition du 2 octobre 1924 de l'ex-quotidien Le Droit, sous le titre «Toute la population sympathise sincèrement avec les ouvrières», le journaliste Henri Lessard raconte avec émotion la forme que prend cette sympathie: des propriétaires de garage prêtent des voitures aux allumettières, des commerçants leur fournissent des vivres sur la ligne de piquetage, des propriétaires leur permettent de pensionner sans frais tout près de l'usine et des citoyens mènent une souscription publique pour amasser des fonds destinés à soutenir les allumettières. En 2024, cela ne se produirait pas.

Au cours du dernier demi-siècle, le quartier ouvrier du Vieux Hull a été défiguré par les gouvernements fédéral, québécois et municipal, victime de multiples expropriations et démolitions, notamment de maisons allumettes qui étaient l'âme du patrimoine bâti, remplacées par des gratte-ciels fédéraux où l'anglais est la langue de travail et par des tours d'habitation riveraines qui anglicisent le vieux Hull à vitesse grand-V, transformant un quartier autrefois à 90% francophone en un Ottawa-Nord bilingue... 

À Gatineau, la population a subi depuis trop longtemps le règne de la peur des libéraux (peur des séparatistes, peur d'offusquer l'employeur fédéral, peur des conséquences de s'exprimer publiquement, etc.). Vivre à genoux est aujourd'hui la règle sur un territoire qui, au lieu d'être la fière porte d'entrée au Québec, est devenu un entonnoir où tout est aspiré vers la capitale fédérale ontarienne.

E.B. Eddy avait bien compris les enjeux en 1924. C'est le Québec français (et catholique à l'époque) qui se dressait contre lui, pauvre mais fier et combatif. Sachant qu'il ne gagnerait pas contre les allumettières, l'entreprise a plié bagages et emménagé ses ateliers de misère à quelques centaines de mètres, sur la rive ontarienne.

Les allumettières de Hull ont été des pionnières du syndicalisme chez les femmes, des combattantes qui auront marqué l'histoire de la région et du Québec, des défenseurs de la dignité humaine contre le mépris du grand capital. Un exemple dont il faudrait tâcher de s'inspirer dans notre société en perdition. 

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Le texte sur le monument...


Lien au texte «La mémoire des allumettières commémorée à deux pas de leur ancienne usine» par Mathieu Bélanger dans Le Droit - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/2024/09/23/la-memoire-des-allumettieres-commemoree-a-deux-pas-de-leur-ancienne-usine-U7CNVHG7VFH2XGKRCNVF2S2LJU/

Lien à la série du Droit sur le conflit des allumettières - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/2024/09/21/un-feuilleton-historique-du-emdroitem-pour-souligner-le-centenaire-de-la-greve-des-allumettieres-NOS43ARPRVGPVDYENPHZXEWSQE/

Lien au journal Le Droit du 2 octobre 1924 à BAnQ - https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4148067

mercredi 2 octobre 2024

Recruter des Franco-Ontariens pour la médaille de Charles III?

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L'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) est-elle tombée sur la tête? Après tous les crimes commis au nom de la monarchie britannique contre les francophones du Québec, de l'Acadie et de l'ensemble du Canada (de la déportation de 1755 à la pendaison de Louis Riel au Règlement 17 en Ontario, et bien plus), voilà que l'organisme parapluie des Franco-Ontariens collabore au recrutement de candidats et candidates dans le cadre de la remise de la «Médaille du Couronnement du Roi Charles III». Non mais...

Près de deux ans après que l'Assemblée nationale du Québec ait mis fin au serment d'allégeance obligatoire au monarque, quelques mois à peine après que des députés franco-ontariens aient appuyé un projet de loi acadien au Parlement fédéral pour être dispensés d'un serment de loyauté à Charles III, et au moment même où les employés de TFO (télé franco-ontarienne) sont sommés de prêter serment au roi, sous peine de perdre leur emploi, l'AFO a le culot de s'associer à ce programme de médailles déjà dénoncé pour honorer le couronnement de celui qu'elle appelle «Sa Majesté le roi Charles III».

J'espère au moins que les rédacteurs du communiqué de l'AFO (voir ci-haut) ont avalé quelques Gravol avant de le publier sur Internet ce mercredi 2 octobre 2024, car ils oeuvrent désormais aux côtés d'une foule d'organisations surtout anglophones, y compris la Ligue monarchiste du Canada, dans cet effort a mari jusque ad mare pour rendre hommage à la Couronne britannique. Et s'ils se sont donné la peine de lire les critères d'admissibilité, ils verront que ce n'est pas destiné aux défenseurs les plus militants de la francophonie, acculés au fil des ans à lutter contre des injustices créées ou tolérées par les gouvernements de l'Ontario et du Canada. On les offrira aux collabos.

En avril 2024, quand la Chambre des communes a rejeté le projet de loi (du député acadien René Arseneault) permettant aux députés de ne pas jurer sa loyauté au roi Charles III pour avoir le droit de siéger au Parlement, et que de nombreux députés conservateurs anglophones s'étaient mis à chanter le God Save the King en signe de mépris, le député franco-ontarien Marc Serré, outré, s'était publiquement demandé «quel francophone» pourrait bien vouloir conserver l'obligation de prêter un tel serment... L'AFO pourrait se montrer solidaire, tout au moins en n'encourageant pas les Franco-Ontariens à vouloir une «médaille» du couronnement de Charles...

À bien y penser, peut-être ne devrait-on pas se surprendre de cette génuflexion collective devant la monarchie. Quand le député Francis Drouin, de l'Est ontarien, avait traité un témoin de «plein de marde» pour avoir établi un lien entre les études en anglais et l'anglicisation, l'AFO, par la voix de son président, s'était couverte de honte en se portant à sa défense... contredisant 110 ans d'une lutte fondée sur les constats d'un lien direct entre l'éducation en anglais et l'assimilation. 

Au prochain incident, car il y en aura d'autres, le président de l'AFO pourra se présenter devant la presse en portant sa petite médaille du couronnement de Charles III. Il l'aura bien méritée.

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Lien au communiqué de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario - https://mailchi.mp/aa462a983151/sondage-pour-les-priorits-budgtaires-provinciales-5436821?e=523eaa6be6

Lien au texte du J de Mtl - «Des millions en médailles pour honorer Charles III» - https://www.journaldemontreal.com/2024/06/13/des-millions-en-medailles-pour-honorer-charles-iii

Critères d'admissibilité à la Médaille du couronnement - https://api.monassemblee.ca/wp-content/uploads/2024/10/LGO-Guide-de-nomination-la-médaille-du-couronnement-du-roi-Charles-III.pdf


mardi 1 octobre 2024

Du temps perdu à la recherche…

La mémoire, c'est bien connu, est cette faculté qui trop souvent oublie... ayant la fâcheuse habitude d'effacer ce dont on voudrait se souvenir, mais conservant pour l'éternité une foule de petits riens qu'on aurait autrement relégués aux oubliettes... Pour le journaliste que je suis, la mémoire peut être à la fois alliée précieuse et ennemi mortel...

Ce problème avait une solution à l'âge d'or des quotidiens papier. Avec ciseaux et stylo, on pouvait éplucher et annoter le journal, accumulant au fil des ans les coupures de presse, conservées par thème dans des chemises et rangées en classeur. Aujourd'hui, avec la disparition rapide de l'imprimé et l'accélération du passage au tout-numérique, il faut se débrouiller avec le fouillis de l'Internet en espérant que l'immense toile ait attrapé dans ses filets les repères essentiels qu'on cherche, et qu'elle les régurgite sur un plateau convivial...

J'offre un exemple, valable autant que d'autres. L'Université McGill avait annoncé en 2014 la création à Gatineau d'une faculté satellite de médecine où la totalité de l'enseignement magistral serait dispensé en anglais! Je vous fais grâce des idioties qui se sont dites dans le sillage de cette nouvelle mais pendant six ans, le débat sur cet enjeu s'est poursuivi jusqu'à son aboutissement en 2020. J'ai dans une chemise environ 70 coupures de presse (principalement du Droit) et divers documents qui permettent, en une heure ou deux, de reconstituer le déroulement de l'affaire, du début à la fin.

Sans un dossier semblable, il est devenu quasi impossible de retrouver toutes les pièces du casse-tête avec une recherche Web. Les journaux imprimés et leurs archives papier n'existent plus dans la plupart des régions du Québec y compris l'Outaouais. De plus, certains de ces textes ont disparu de l'Internet ou ont été modifiés. Par ailleurs, le choix et la séquence des mots clés choisis pour orienter la recherche sur Google ou quelque autre plate-forme donneront des résultats variables et fort incomplets. Du temps perdu à la recherche d'un temps perdu. À moins d'être prêt à utiliser de multiples combinaisons de mots clés et d'ouvrir des milliers de fichiers, ce que la plupart des rédacteurs actuels n'ont pas le temps de faire, les trous de mémoire proliféreront. 

Dans son édition du 10 février 2020 (un mois et demi avant qu'on mette fin au quotidien papier), Le Droit titrait à la une en majuscules REMÈDE POUR LE FRANÇAIS, annonçant la fin du litige et la décision d'enseigner la médecine en français à Gatineau, de l'année préparatoire au diplôme. Le dernier texte conservé dans ma chemise sur McGill à Gatineau remonte au 16 mai 2022, un article de Radio-Canada sur l'inauguration officielle du campus satellite de McGill en Outaouais. Le texte, sans doute rédigé par des reporters qui n'avaient pas suivi les six années de débats sur la langue d'enseignement, n'y font aucune allusion! Comme si la chose n'avait jamais eu lieu!

En quelques années seulement, le souvenir de six ans de débats linguistiques était disparu de plusieurs radars régionaux et à moins d'imprimer tous les jours des textes de nouvelles sur Internet, il en sera de même à l'avenir pour l'ensemble des dossiers d'actualité, faute de preuves papier conservées en bon ordre dans des classeurs. Seuls les écrits imprimés restent. L'Internet est essentiel mais on ne peut s'y fier. La mémoire collective se troue et se corrompt. Cela augure très mal pour l'avenir du journalisme et pour notre petite nation privée de sources d'information fiables. Cette glissade vers l'ignorance n'aura pas de fond.