La mémoire, c'est bien connu, est cette faculté qui trop souvent oublie... ayant la fâcheuse habitude d'effacer ce dont on voudrait se souvenir, mais conservant pour l'éternité une foule de petits riens qu'on aurait autrement relégués aux oubliettes... Pour le journaliste que je suis, la mémoire peut être à la fois alliée précieuse et ennemi mortel...
Ce problème avait une solution à l'âge d'or des quotidiens papier. Avec ciseaux et stylo, on pouvait éplucher et annoter le journal, accumulant au fil des ans les coupures de presse, conservées par thème dans des chemises et rangées en classeur. Aujourd'hui, avec la disparition rapide de l'imprimé et l'accélération du passage au tout-numérique, il faut se débrouiller avec le fouillis de l'Internet en espérant que l'immense toile ait attrapé dans ses filets les repères essentiels qu'on cherche, et qu'elle les régurgite sur un plateau convivial...
J'offre un exemple, valable autant que d'autres. L'Université McGill avait annoncé en 2014 la création à Gatineau d'une faculté satellite de médecine où la totalité de l'enseignement magistral serait dispensé en anglais! Je vous fais grâce des idioties qui se sont dites dans le sillage de cette nouvelle mais pendant six ans, le débat sur cet enjeu s'est poursuivi jusqu'à son aboutissement en 2020. J'ai dans une chemise environ 70 coupures de presse (principalement du Droit) et divers documents qui permettent, en une heure ou deux, de reconstituer le déroulement de l'affaire, du début à la fin.
Sans un dossier semblable, il est devenu quasi impossible de retrouver toutes les pièces du casse-tête avec une recherche Web. Les journaux imprimés et leurs archives papier n'existent plus dans la plupart des régions du Québec y compris l'Outaouais. De plus, certains de ces textes ont disparu de l'Internet ou ont été modifiés. Par ailleurs, le choix et la séquence des mots clés choisis pour orienter la recherche sur Google ou quelque autre plate-forme donneront des résultats variables et fort incomplets. Du temps perdu à la recherche d'un temps perdu. À moins d'être prêt à utiliser de multiples combinaisons de mots clés et d'ouvrir des milliers de fichiers, ce que la plupart des rédacteurs actuels n'ont pas le temps de faire, les trous de mémoire proliféreront.
Dans son édition du 10 février 2020 (un mois et demi avant qu'on mette fin au quotidien papier), Le Droit titrait à la une en majuscules REMÈDE POUR LE FRANÇAIS, annonçant la fin du litige et la décision d'enseigner la médecine en français à Gatineau, de l'année préparatoire au diplôme. Le dernier texte conservé dans ma chemise sur McGill à Gatineau remonte au 16 mai 2022, un article de Radio-Canada sur l'inauguration officielle du campus satellite de McGill en Outaouais. Le texte, sans doute rédigé par des reporters qui n'avaient pas suivi les six années de débats sur la langue d'enseignement, n'y font aucune allusion! Comme si la chose n'avait jamais eu lieu!
En quelques années seulement, le souvenir de six ans de débats linguistiques était disparu de plusieurs radars régionaux et à moins d'imprimer tous les jours des textes de nouvelles sur Internet, il en sera de même à l'avenir pour l'ensemble des dossiers d'actualité, faute de preuves papier conservées en bon ordre dans des classeurs. Seuls les écrits imprimés restent. L'Internet est essentiel mais on ne peut s'y fier. La mémoire collective se troue et se corrompt. Cela augure très mal pour l'avenir du journalisme et pour notre petite nation privée de sources d'information fiables. Cette glissade vers l'ignorance n'aura pas de fond.
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