lundi 14 octobre 2024

10, 20, 50 Saint-Léonard...

La bataille de Saint-Léonard de Félix Rose tombe pile! En plus d'étaler avec doigté sur grand écran un moment clé de l'histoire - oublié des plus vieux, inconnu des plus jeunes - ce film rappelle le coeur d'un affrontement, scolaire en apparence mais touchant la fibre sociale entière du Québec. Et qui se poursuit en 2024...

De 1967 à 1969, Italiens et Canadiens français de Saint-Léonard-de-Port-Maurice (devenu l'arrondissement Saint-Léonard à Montréal) se sont fait la guerre: italophones exigeant d'envoyer leurs enfants à des écoles anglaises ou bilingues, francophones voulant imposer l'école française. C'est plus complexe que ça mais enfin...

Réunions publiques houleuses, occupation étudiante de l'école Aimé-Renaud, manifestations parfois violentes, interventions policières musclées, accusations de sédition! Boum! Le gouvernement de l'Union nationale fait adopter en 1969 la Loi 63 permettant le libre choix de la langue d'enseignement pour tous les parents. Victoire des Italiens. Le ressac chez les Québécois de langue française devait mener à l'élection du PQ en 1976 et l'adoption rapide de la Loi 101.

Le grand mérite du cinéaste est d'avoir tendu le micro à une famille de chaque camp: les Barone et les Lemieux. L'Italo-Québécois Mario Barone était constructeur et conseiller municipal. L'architecte Raymond Lemieux, fondateur du Mouvement pour l'intégration scolaire, pilotait la coalition francophone. On les voit, ainsi que leurs enfants, dans des clips d'époque et des enregistrements plus récents. Et si on se donne la peine d'écouter, tout est là!

Les immigrants italiens se considèrent autant, sinon plus, Canadiens que Québécois. Ils veulent voir leurs enfants sur les bancs des écoles anglaises (ou bilingues), ayant perçu avec justesse la dominance de l'anglais et des anglos à Montréal, au Canada et en Amérique du Nord. Pourquoi miser sur la langue des quartiers pauvres et de la misère? Qui peut les en blâmer?

De leur côté les francophones, propulsés par une révolution pas toujours tranquille, ont pris conscience de leur infériorité économique et entendent mettre leur majorité linguistique au service d'un projet national de société à leur image. Le Québec ne sera pas bilingue ou anglais: il sera français. Dans le film, Raymond Lemieux, président du Mouvement d'intégration scolaire de Saint-Léonard, est très clair: on ne devrait même pas avoir à apprendre l'anglais au Québec!

Cette affirmation, qui passe en clin d'oeil dans le documentaire, reste pourtant la plus importante recueillie par Félix Rose dans les archives de la fin des années 1960. Faut-il, faudra-t-il connaître l'anglais pour bien vivre au Québec? Clairement, après un demi-siècle, on n'a qu'à écouter Michael Rousseau, PDG d'Air Canada, et la gouvenore-djènerale du Canada, Mary Simon, pour savoir qu'on peut encore aujourd'hui, au Québec, viser le sommet sans apprendre un mot de français...

Et comme si cela ne suffisait pas, les deux plus récents premiers ministres libéraux, Jean Charest et Philippe Couillard, ont exprimé clairement leur désir de voir tous les jeunes Franco-Québécois devenir bilingues. L'anglais intensif dans les écoles françaises! Le Parti libéral du Québec, plutôt silencieux lors de la bataille de Saint-Léonard, serait monté sur les barricades avec les Italiens dans les années 2010...

Le documentaire de Félix Rose reste plutôt discret sur le rôle des autres partis d'opposition. C'est l'une des rares faiblesses du film. Les chefs de l'Union nationale sont à l'avant-plan mais c'est logique. L'UN, sous Daniel Johnson puis Jean-Jacques Bertrand, était au pouvoir. Pourtant, en mars 1968, à un congrès spécial du RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale), Pierre Bourgault - qu'on aperçoit sans plus à l'écran à quelques reprises - avait appelé les membres à se mobiliser pour les parents francophones de Saint-Léonard et organisé une assemblée de 600 personnes au mois de mai 1968.

René Lévesque, chef du Mouvement Souveraineté-Association devenu Parti québécois à l'automne 1968, oscillait entre sa volonté d'intégrer les immigrants au Québec français et sa répugnance d'ordonner leur francisation. Il s'était rendu en pleine nuit (pour éviter les médias) à l'école Aimé-Renaud en guise d'appui aux parents francophones mais quand Raymond Lemieux s'est avancé pour le saluer, le chef du PQ l'avait mis en garde contre toute association avec des «fanatiques», visant notamment Reggie Chartrand des Chevaliers de l'indépendance, qu'il venait de croiser sur les lieux.

La crise scolaire et linguistique vécue à Saint-Léonard laissait présager d'autres conflits dans la grande région montréalaise et ailleurs, là où, dans un contexte de libre choix entre l'école française et anglaise, l'immigration croissante combinée à une proportion appréciable d'anglophones créerait des situations similaires. Raymond Lemieux le pressentait quand il a exhorté les milliers de militants du MIS à créer «10, 20, 50 Saint-Léonard» à travers le Québec. Des comités avaient été formés à Anjou, Jacques-Cartier, Outremont, Hull, Rouyn, Matagami et même à Trois-Rivières. Il n'y a finalement pas eu d'autres Saint-Léonard avec la crise d'octobre de 1970, l'élection du PQ en 1976 et la Loi 101 en 1977, mais la question de M. Lemieux demeure: faut-il vraiment apprendre l'anglais à Montréal, à Gatineau, au Québec?

La réponse doit absolument être NON! Si l'immense majorité des Québécois ne peut espérer vivre et travailler uniquement en français, la bataille de Saint-Léonard et la Loi 101 n'auront rien donné. Si les partisans du bilinguisme collectif au Québec l'emportent, nous n'avons pas d'avenir comme peuple. Un Torontois trouve-t-il normal de vivre et travailler en anglais seulement dans la Ville-Reine? Bien sûr! Et un Danois d'évoluer dans sa langue à Copenhague? Et un Brésilien de s'attendre à être servi en portugais dans les commerces? Et à un Suisse de Zurich de passer sa vie en allemand? Bien sûr! Les immigrants apprennent partout la langue du pays. C'est normal. Ce doit l'être aussi dans un Québec résolument français! Voilà le message de Saint-Léonard.

Félix Rose se plaignait avec raison que la bataille de Saint-Léonard avait été oubliée. Son documentaire fait oeuvre utile en initiant les générations actuelles à quelques pièces clés du casse-tête linguistique québécois. Rien n'a été réglé depuis 1967. Les écoles françaises feront de nos prochaines générations des «bilingues» baragouinant un français appauvri farci d'anglicismes et de mots anglais. Des milliers d'étudiants francophones s'inscrivent aux cégeps et universités anglaises... au Québec. Et s'anglicisent. Et à Saint-Léonard, la moitié ou plus des Italo-Québécois et autres collectivités issues de l'immigration continuent de choisir de vivre en anglais, parce qu'ils le peuvent, parce qu'ils l'estiment plus nécessaire que le français.

Depuis la fin des années 1960, à Montréal, la proportion d'unilingues français a chuté de façon dramatique! Les Montréalais francophones sont massivement bilingues, désormais. Cette anglicisation en marche deviendra irréversible à moins de créer «10, 20, 50 Saint-Léonard»... Quand les «Bonjour-Hi» se diront sans «Bonjour», il sera trop tard. Notre contribution de plus de 400 ans à la diversité culturelle mondiale ne sera guère plus qu'une page dans les manuels d'histoire. Ou encore quelques films documentaires comme «La bataille de Saint-Léonard» accumulant la poussière sur les tablettes numériques de nos grandes bibliothèques...


3 commentaires:

  1. Oh, la ! la ! Ça me rappelle des souvenirs puisque j'y étais !!! Plus de 50 ans plus tard, rien n'est réglé, bien au contraire !!! Même que je désespère de voir un jour le français triompher avec les lavettes que nous avons comme gouvernement et l'augmentation stratosphérique et souhaitée de l'immigration par le PLQ, CAQ et tous ces fédéralistes à courte vue !!! Ce n'est qu'une question de temps !!! C'est d'une tristesse inouie !!!

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  3. Je suis heureux de voir que vous dénoncez la politique visant à rendre nos jeunes bilingues et ce, depuis Jean Charest, dès les premières annéees du primaire, ce qui ouvre encore davantage la voie à l'assimilation. Bien au contraire, il faut retarder de plusieurs années l'appretissage formel de l'anglais à l'école, afin d'ancrer le français aussi profondément que possible dans leur esprit. Ce ne sont pas les occasions d'apprendre l'anglais qui leur manqueront en grandissant, de la radio à la rélévision, des revues aux médias sociaux.

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