samedi 5 octobre 2024

Que reste-t-il de l'esprit des allumettières?

Ç'a l'air gros mais il faut presque une loupe pour le trouver... Les allumettières méritaient mieux...

Les commémorations du centenaire du célèbre grève-lock-out des allumettières à l"usine E.B. Eddy, à Hull, à l'automne 1924, laissent un goût doux-amer. Non pas que la lutte de ces femmes courageuses ne mérite pas d'être célébrée. Au contraire! Elles constituent de fait une pièce essentielle de notre casse-tête identitaire.

Non, l'arête dans la gorge, c'est que ces braves syndicalistes aient ultimement échoué, qu'elles aient perdu leur emploi quand Eddy a déménagé son entreprise à Ottawa, et qu'au cours du siècle suivant, la solidarité sociale suscitée par ce conflit ait aussi disparu, comme une grande partie des maisons allumettes qu'elles habitaient, démolies sous l'oeil indifférent de nos élus par des entrepreneurs plus soucieux de leurs profits que d'un précieux patrimoine bâti et de l'histoire du coeur de l'ancienne ville de Hull.

Cela fait penser un peu à ces monuments de la francophonie érigés par les Franco-Ontariens dans des villes comme Ottawa, Sudbury, servant davantage à rappeler un passé révolu que l'espoir du présent dans des quartiers urbains jadis francophones. La Ville de Gatineau a dévoilé le 23 septembre 2024 un modeste (j'aurais été tenté de dire minuscule) monument commémoratif aux allumettières, tout près du pont des Chaudières, dans un quartier qui deviendra vite - comme l'ensemble de la rive québécoise au centre-ville - une espèce d'Ottawa-Nord.

Les allumettières ont déjà leur boulevard au coeur de l'Île de Hull, alors qu'E.B. Eddy a dû se contenter d'une rue. Une succursale de la bibliothèque municipale porte aussi le nom de la plus célèbre des allumettières syndicalistes, Donalda Charron. Mais que reste-il de l'esprit de ces femmes canadiennes-françaises catholiques (oui, c'était un syndicat catholique) et de la solidarité de la collectivité hulloise (des députés au conseil municipal à l'ensemble de la population) qui les a soutenues contre le capitalisme sauvage (et anglo) d' E.B. Eddy?À peu près rien!

Dans l'édition du 2 octobre 1924 de l'ex-quotidien Le Droit, sous le titre «Toute la population sympathise sincèrement avec les ouvrières», le journaliste Henri Lessard raconte avec émotion la forme que prend cette sympathie: des propriétaires de garage prêtent des voitures aux allumettières, des commerçants leur fournissent des vivres sur la ligne de piquetage, des propriétaires leur permettent de pensionner sans frais tout près de l'usine et des citoyens mènent une souscription publique pour amasser des fonds destinés à soutenir les allumettières. En 2024, cela ne se produirait pas.

Au cours du dernier demi-siècle, le quartier ouvrier du Vieux Hull a été défiguré par les gouvernements fédéral, québécois et municipal, victime de multiples expropriations et démolitions, notamment de maisons allumettes qui étaient l'âme du patrimoine bâti, remplacées par des gratte-ciels fédéraux où l'anglais est la langue de travail et par des tours d'habitation riveraines qui anglicisent le vieux Hull à vitesse grand-V, transformant un quartier autrefois à 90% francophone en un Ottawa-Nord bilingue... 

À Gatineau, la population a subi depuis trop longtemps le règne de la peur des libéraux (peur des séparatistes, peur d'offusquer l'employeur fédéral, peur des conséquences de s'exprimer publiquement, etc.). Vivre à genoux est aujourd'hui la règle sur un territoire qui, au lieu d'être la fière porte d'entrée au Québec, est devenu un entonnoir où tout est aspiré vers la capitale fédérale ontarienne.

E.B. Eddy avait bien compris les enjeux en 1924. C'est le Québec français (et catholique à l'époque) qui se dressait contre lui, pauvre mais fier et combatif. Sachant qu'il ne gagnerait pas contre les allumettières, l'entreprise a plié bagages et emménagé ses ateliers de misère à quelques centaines de mètres, sur la rive ontarienne.

Les allumettières de Hull ont été des pionnières du syndicalisme chez les femmes, des combattantes qui auront marqué l'histoire de la région et du Québec, des défenseurs de la dignité humaine contre le mépris du grand capital. Un exemple dont il faudrait tâcher de s'inspirer dans notre société en perdition. 

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Le texte sur le monument...


Lien au texte «La mémoire des allumettières commémorée à deux pas de leur ancienne usine» par Mathieu Bélanger dans Le Droit - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/2024/09/23/la-memoire-des-allumettieres-commemoree-a-deux-pas-de-leur-ancienne-usine-U7CNVHG7VFH2XGKRCNVF2S2LJU/

Lien à la série du Droit sur le conflit des allumettières - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/2024/09/21/un-feuilleton-historique-du-emdroitem-pour-souligner-le-centenaire-de-la-greve-des-allumettieres-NOS43ARPRVGPVDYENPHZXEWSQE/

Lien au journal Le Droit du 2 octobre 1924 à BAnQ - https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4148067

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