lundi 7 octobre 2024

Si les Québécois se mettaient dans la peau d'un Franco-Ontarien de Greenstone...

En septembre, plus d'une centaine de particuliers et d'organisations ont offert des drapeaux franco-ontariens aux résidents de la petite ville de Greenstone, dans le nord de la province, pour que ces derniers puissent pavoiser leurs maisons en guise de protestation contre la décision du conseil municipal de retirer du mat de l'hôtel de ville l'étendard blanc et vert de l'Ontario français qui y flottait depuis une dizaine d'années.

À mon grand désespoir, cette nouvelle n'a pas percé l'éternel mur d'indifférence des médias québécois. Mais, dira-t-on, pourquoi s'intéresser au combat d'une poignée de francophones hors Québec contre le mépris habituel d'une majorité anglaise dans un bled isolé de la forêt boréale sur l'interminable route 11, direction lac Supérieur? Parce qu'un jour, au train où vont les choses, nous, Québécois, serons peut-être aussi réduits à mobiliser une base citoyenne si des anglos devenus majoritaires décident de retirer le fleurdelisé d'un mat et hisser leur unifolié rouge à sa place...

Une telle situation est difficile à envisager au Québec dans le contexte où une majorité francophone - solide mais déclinante - nous permet d'occuper le haut du pavé. À condition de vouloir occuper le haut du pavé bien sûr, ce qui ne semble pas du tout clair. Chaque recensement brosse un portrait chirurgical de l'affaiblissement du français, au Québec comme ailleurs, et du renforcement de l'anglais, même chez les francophones. Dans les régions à forte présence anglophone et allophone, un racisme anti-français se manifeste ouvertement, dans la société, les écoles, les boîtes de scrutin. Ne leur manque que la majorité pour nous faire suer comme les Franco-Ontariens...

Alors faites un moment l'effort de vous imaginer à Greenstone, petite ville de 4000 habitants où habitent près de 900 francophones (la proportion baisse tous les ans). Vous n'avez aucun pouvoir décisionnel avec moins de 25% de la population et ne pouvez espérer d'appui du gouvernement provincial à Toronto, ni du fédéral où la majorité anglo-canadienne exerce 100% du pouvoir. La municipalité décide de retirer votre drapeau vert et blanc avec fleur de lys et trille du mat à l'hôtel de ville et de lui accorder cinq jours par année, dont le 25 septembre, Jour des Franco-Ontariens. 

Vous n'avez aucune force politique suffisante. Vous amassez donc des drapeaux de l'Ontario français et pavoisez les maisons pour protester. Vous boycottez la cérémonie du 25 septembre à l'hôtel de ville. Et puis? Rien! Sans le bon vouloir des anglos, vous êtes cuits. Reste l'influence des médias de langue française, qui ne rejoignent qu'une faible proportion des Franco-Ontariens, ainsi que la force plus imposante des médias québécois, capables de propulser la misère d'une petite collectivité francophone ontarienne sur la scène nationale, québécoise et canadienne. Mais la presse québécoise est en plein désarroi. Six des dix quotidiens de langue française sont disparus et ce qui reste de la presse écrite et des médias électroniques au Québec ne vous connaissent même pas! La population restera dans l'ignorance!

Pouvez-vous imaginer la frustration devant une situation où vous subissez une injustice sans avoir la capacité de la redresser, d'être à la merci d'une majorité hostile (celle-là même qui commet l'injustice), de n'avoir aucun recours à une instance où les vôtres sont en position de prendre une décision, et de ne pouvoir mobiliser l'opinion publique à cause d'une indifférence médiatique généralisée? Voilà le quotidien des Franco-Ontariens.

Maintenant tentez de transposer une telle impuissance dans le Québec de vos petits-enfants ou arrière-petits-enfants. Vous aurez vite fait de comprendre pourquoi il faut léguer aux générations à venir un pays français exerçant tous les pouvoirs de la souveraineté. Un pays où nous aurons le droit de décider, où nous ne serons plus obligés de quêter, de quémander, de supplier pour obtenir les miettes qu'une majorité étrangère consentira...

Alors, je lance un appel, probablement futile, à mes collègues de la presse québécoise. Faites une place à la une pour des conflits comme celui de Greenstone. Et suivez-les. Jusqu'au dénouement. Une meilleure compréhension de la façon dont les francophones sont traités ailleurs informera les décisions que nous sommes appelés à prendre comme collectivité, comme nation.

Si les élus de Greenstone recevaient en grands nombres des commentaires de citoyens ou de groupes de citoyens québécois, ou des résolutions de conseils municipaux ça et là, ou la visite de journalistes de La Presse ou du Journal de Montréal, peut-être ne changeraient-ils pas leur décision de se défaire du drapeau franco-ontarien, mais ils auraient au moins conscience qu'ils font partie d'une problématique qui a des répercussions ailleurs que sur la route 11, peut-être même des conséquences pour l'avenir de leur pays...

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Lien au texte de Radio-Canada, «Plus de 100 drapeaux franco-ontariens flottent à Greenstone en solidarité» https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2107317/dons-drapeaux-solidarite-francophones

Lien au texte du journal Le Voyageur, «La riposte en vert et blanc de la communauté francophone à Greenstone!» https://levoyageur.ca/actualites/francophonie/2024/10/02/la-riposte-en-vert-et-blanc-de-la-communaute-francophone-a-greenstone/


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