Avec un Anglo-Québécois comme Marc Miller à la tête du ministère responsable des Langues officielles à Ottawa, les francophones - tant au Québec qu'ailleurs au Canada - peuvent s'attendre à des années de vaches maigres. Clairement, ce type a analysé la situation, les chiffres des recensements, les témoignages d'experts, mais n'y a rien compris, ou feint de ne pas percevoir un recul du français qui crève les yeux, même en territoire québécois.
Depuis son adoption en 1969, la Loi sur les langues officielles (LLO) avait instauré au pays une symétrie totalement fictive entre le vécu linguistique des francophones hors Québec démunis et celui des Anglo-Québécois ultra-gâtés. Grâce à l'insistance du Bloc québécois, la plus récente mouture de la LLO pilotée par Mélanie Joly avait enfin reconnu que le français était la seule langue menacée au Canada, y compris au Québec.
Le vote du 15 mai 2023 à la Chambre des Communes, quasi-unanime (300 à 1), entraînait la reconnaissance officielle d'une nouvelle asymétrie où les Franco-Québécois étaient vus comme majoritaires au Québec mais aussi minoritaires pour l'ensemble du Canada. Quant aux Anglo-Québécois, c'était, désormais, les voir plus qu'avant comme partie intégrante de la majorité anglo-canadienne. Le seul vote contre l'adoption de la nouvelle LLO fut celui d'Anthony Housefather, député anglophone de Mount Royal. On devine pourquoi.
Si ce vote contre un projet de loi de son propre parti n'a pas entraîné de conséquences pour M. Housefather, c'est que son opposition était sans doute partagée en sourdine par d'autres députés libéraux anglophones ou anglicisés de la grande région montréalais. À entendre Patricia Lattanzia (St-Léonard-St-Michel) ou Emmanuela Lambropoulos (Saint-Laurent), par exemple, il est difficile de croire qu'elles soutiendraient avec conviction la thèse du français menacé et en déclin au Québec. Jusqu'à maintenant, au Québec, la LLO a toujours servi uniquement les intérêts des anglophones. Ces députés préféreraient probablement ne rien changer au régime qui les favorise depuis plus d'un demi-siècle.
Cette semaine, le nouveau ministre des Langues officielles, Marc Miller, député de Ville-Marie-Sud-Ouest-Île des Soeurs, s'est carrément rangé dans le camp des Housefather et compagnie. Dans la circonscription montréalaise qu'il représente, la grande majorité des immigrants s'intègre à la collectivité anglophone, mettant de plus en plus les francophones en minorité. Ces quartiers du centre-sud de Montréal sont l'illustration même du déclin global du français que M. Miller refuse de reconnaître. S'il se donnait la peine d'étudier la dynamique linguistique de son propre patelin, ses yeux s'ouvriraient, à condition qu'il soit disposé à les ouvrir.
Dans Ville-Marie-Sud-Ouest-Île des Soeurs, 20% des répondants au recensement de 2021 donnent l'anglais comme seule langue maternelle, contre 38,1% pour le français. Avantage français, comme on serait en droit de l'espérer, étant au Québec, sous la Loi 101? Pas du tout! Avec l'anglicisation massive des populations de «langues non officielles», de l'arabe au mandarin, le recensement indique que plus de 87% des 133 000 résidants de cette circonscription comprennent l'anglais, alors que seulement 75,9% ont appris le français. La grande majorité des francophones connaissent l'anglais. Ils n'ont pas le choix...
Marc Miller a fréquenté le collège de Brébeuf et l'Université de Montréal pendant des années avant de terminer ses études universitaires à McGill, où son père avait été doyen. Il devrait être mieux informé. Mais non, il dit des sornettes. La pire? Le ministre se plaint que le débat linguistique est «trop politisé». Non mais d'où sort-il? Les menaces qui pèsent contre la langue française dans notre coin d'Amérique ont alimenté un débat politique incessant depuis plus de 200 ans. Notre survie reste à l'agenda des gouvernements depuis l'époque du Bas-Canada, et y restera tant qu'il y aura menace. Il est difficile de croire que M. Miller soit si naïf...
Comme Québécois, dit le ministre «je suis assez tanné de ce débat qui est généralement identitaire et électoraliste». Une autre niaiserie! Bien sûr le débat sera identitaire. La langue française étant le marqueur principal de notre identité nationale, il ne peut en être autrement, M. Miller. Essayez de discuter de la situation du français en évitant totalement les facteurs identitaires. C'est impossible. Et comme le débat appelle des interventions gouvernementales à tous les niveaux, il sera présent dans toutes les campagnes électorales. Le ministre Miller aimerait sans doute qu'on en parle beaucoup moins aux prochaines élections. Autant de chance de cela que de gagner la Lotto Max...
Le refus de reconnaître un déclin «global» du français au Québec s'accompagne chez Marc Miller de l'aveu d'un déclin «à certains égards», un recul purement «statistique» (pas vraiment sérieux, donc) pour ce qui a trait à «l'usage du français à la maison et au travail». Faut-il pleurer, faut-il en rire, aurait chanté Jean Ferrat. Les données des recensements sur la langue parlée à la maison et au travail sont probablement les marqueurs clés de l'évolution d'une langue en société. La langue parlée à la maison est celle qu'on transmet aux générations suivantes, celle qu'on compare à la langue maternelle pour établir les taux d'assimilation, et un excellent indicateur des pratiques culturelles des occupants. Et le francophone obligé de travailler en anglais en subit des séquelles permanentes avec l'utilisation de mots et expressions anglais à coeur de semaine, la prolifération d'anglicismes, et une pauvreté croissante du vocabulaire français.
Si M. Miller ne comprend pas, par ailleurs, que derrière le mot «statistique», il y a des milliers, des millions de personnes en chair et en os qui, collectivement, forment une nation, il n'est pas trop tard pour le lui enseigner. Quand un francophone travaille partiellement ou entièrement en anglais, il transporte la langue qu'on lui impose dans sa famille et dans ses cercles d'amis. Il aura davantage tendance à suivre des médias de langue anglaise, sur Internet, à la télé, en lecture. C'est ça, M. le ministre «tanné», le visage humain du déclin statistique de la langue française dans des régions comme Montréal et l'Outaouais.
Ça s'annonce mal. Dans ce gouvernement dirigé par le premier ministre Mark Carney, la langue et la culture française ont peu d'intérêt, autre que pour les contester devant des juges qu'il nomme seul. Et voilà que siège désormais au cabinet un ministre des Langues officielles qui ignore (au sens propre du mot) les véritables enjeux linguistiques du Québec et du Canada, et ne semble pas très intéressé à s'en informer, autre que pour dénoncer ceux et celles qui ne cessent de proclamer l'urgence d'agit pour mettre fin à un déclin dramatique de la langue française. Les Anglo-Montréalais et les nouveaux arrivants en voie d'anglicisation doivent être fiers de lui...

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