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| Le Devoir avait fait grand cas de la remise du Prix Olivar-Asselin à Christian Rioux en 2010 |
Quand l'ex-quotidien Le Droit et/ou son propriétaire, Power Gesca, m'avaient évincé comme éditorialiste en mai 2014 pour avoir protesté sur mon blogue contre la disparition annoncée des six quotidiens régionaux de l'empire Desmarais, le chroniqueur Stéphane Baillargeon avait abordé dans les pages de son journal, Le Devoir, cette question toujours épineuse du droit des journalistes d'émettre des critiques à l'endroit de leur employeur.
Dans son texte du 2 juin 2014 intitulé Gesca et la bouche cousue, M. Baillargeon avait rappelé ces paroles de l'humoriste Guy Bedos: «Je croirai vraiment à la liberté de la presse quand un journaliste pourra écrire vraiment ce qu'il pense de son journal. Dans son journal.»
Et le chroniqueur du Devoir d'ajouter: «L'autocritique médiatique, la vraie, la profonde, se fait plutôt rare. Les journalistes, les médias, varlopent tout, ou presque, mais ils ont bien de la difficulté à admettre leurs propres travers, leurs propres fautes, leurs propres bêtises...»
«Chez Gesca, écrivait-il, les mêmes qui ont passé les dernières années à épier les moindres dérives de Radio-Canada ou de Québecor auront-ils maintenant le courage de rappeler ce qui se passe au sein de leur propre petit empire médiatique?»
Lise Payette
Deux ans plus tard, au début de mai 2016, Le Devoir a affronté un dilemme similaire en congédiant Lise Payette, dont la chronique hebdomadaire paraissait depuis neuf ans. Les motifs de la décision, prise quelques mois après l'arrivée du nouveau directeur Brian Myles, n'ont pas été immédiatement révélés au public, qui n'a eu droit qu'au petit avis ci-dessous se terminant par un cynique double sens: «Nous tenons à la remercier». En effet...
Quelques mois plus tard, dans une entrevue au journal Métro, Mme Payette affirmait ne pas savoir pourquoi on l'avait éconduite, autre qu'un différend sur le contenu de sa toute dernière chronique. «Je n'ai aucune idée de ce qui a justifié leur décision, disait-elle. Ça ne m'a pas été expliqué. (...) J'ai été mise à la porte comme une voleuse.»
Cette sortie a obligé Le Devoir à sortir de son mutisme. Dans un communiqué du 31 août 2016, le quotidien déclare avoir «mis fin à la collaboration de Mme Payette pour des raisons précises qui lui ont été expliquées lors d'une conversation téléphonique» avec M. Myles et la rédactrice en chef Luce Julien. Cette conversation aurait fait ressortir l'impossibilité de s'entendre sur «les critères de rigueur associés à la publication de chroniques.»
L'une dit blanc. Les autres noir. Qui dit vrai? Quand on m'a limogé en 2014, le rédacteur en chef m'avait clairement expliqué que c'était à cause de mon texte de blogue critiquant les décisions de Gesca Power sur l'avenir de ses quotidiens papier. Le lendemain, le PDG du journal est allé affirmer publiquement que mon départ était relié à une réflexion sur une refonte des pages d'opinion en cours depuis des mois. Une refonte dont personne n'avait entendu parler au journal... Si mon rédacteur en chef avait raison, le PDG mentait. Mais pour les lecteurs du journal, comment savoir?
Survenant après la démission au Devoir du chroniqueur Normand Baillargeon, philosophe et adversaire du «dénialisme», l'an dernier, l'éjection de Christian Rioux vient en quelque sorte accréditer l'existence d'une intolérance croissante envers les rédacteurs qui n'endossent pas avec enthousiasme certaines dérives du wokisme. Et le silence assourdissant du quotidien devant les propos de M. Rioux et les plus de 140 000 visionnements et appuis sur les réseaux sociaux ne fait qu'accentuer les soupçons.
Pour qui lit Le Devoir (j'en suis depuis les années 60 et je reçois toujours notre journal national en version papier à la maison), il apparaît clair que les ténors du vieux «nous» franco-québécois sont tombés en disgrâce. On leur préfère aujourd'hui les thuriféraires d'une soi-disant diversité trop souvent hostile aux valeurs de la majorité historique en matière de promotion du français, de la laïcité, et dans une certaine mesure, du mouvement indépendantiste.
L'état général de la presse écrite québécoise, et sans doute d'une grande partie de la presse électronique, est de plus en plus un fidèle reflet d'un conformisme et d'une autocensure qui mine ce qui reste de nos grandes salles de rédaction. Il y a 10 ans, on prédisait un brillant avenir sans papier à nos six quotidiens régionaux. Il n'y a pas eu de débat. Le silence de la grande majorité de nos journalistes était assourdissant. Les rares voix dissidentes ont été étouffées dans la clameur des bravos. Aujourd'hui, ces journaux n'existent plus!
Ce qui se passe au Devoir en 2025 me rappelle de mauvais souvenirs. L'accent mis sur les plates-formes numériques du quotidien, s'il se poursuit, annonce des jours sombres pour le journal papier qui, sur le plan de la présentation, bat déjà de l'aile. Couverture de l'actualité souvent réduite au minimum, incohérences dans le choix des nouvelles, mise en page trop simplifiée (pour ne pas dire négligée), gaspillage constant d'espace précieux et plus. L'impression laissée, c'est qu'on produit toujours une version papier pour accommoder les vieux lecteurs et qu'à la première occasion, on misera sur le tout-numérique. Avec des conséquences funestes.
Trouble-fête essentiels
Les fortes têtes si essentielles, les rabat-joie, les personnes qui gâchent ce glissement qu'on voudrait harmonieux vers une «bien-pensance idéologique» (expression de Christian Rioux) ont la vie dure. Surtout si leurs critiques sont en tout ou en partie dirigées vers leur employeur. Gauche, droite, bien, mal, tout est désormais sens dessus dessous. Les repères historiques sombrent dans un brouillard de désinformation. M. Rioux a bien raison d'affirmer, dans un tel contexte, qu'il est difficile pour un journal, Le Devoir en l'occurrence, de rester «ce lieu où doivent s'affronter les idées qui feront le Québec de demain», d'y parler «de notre survie comme peuple, de notre langue, de notre avenir économique et même de souveraineté»,
Le Devoir n'est pas un journal comme les autres. Il ne doit pas être abandonné à une génération de mauviettes. Christian Rioux croit que notre quotidien national «renouera avec sa mission historique er retrouvera son âme». Mon expérience au Droit sous Power Gesca ne permet pas l'optimisme de l'ex-chroniqueur du Devoir. Seules de solides estacades bloqueront un rouleau compresseur aussi puissant que celui qui a écrabouillé en moins de dix ans plus de la moitié des journaux du Québec. Voyez-vous bien des gens prêts à monter aux barricades pour défendre la diversité d'opinions? Qu'a fait, qu'a dit la FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec) pour défendre des braves comme Christian Rioux? Bruits de criquets... L'âme de la presse québécoise s'éteint.




Tout est possiblement une question de point de vue, M. Allard. Nous n'avons pas le même parcours, ni la même façon de voir. Le Devoir n'est pas 'notre' quotidien national, loin s'en faut, mais simplement le porte-voix du PLC et du PLQ. Il n'est pas anodin de noter que M. Rioux a été engagé il y a trente ans, à l'époque du deuxième référendum, celui qui a été volé par les Libéraux de Jean Chrétien. Est-il vraiment surprenant que le Devoir s'en débarrasse trente ans plus tard, alors que l'on commence à envisager la possibilité d'un troisième référendum et que la perspective d'un retour du Parti Québécois au pouvoir se précise de plus en plus? Le plus tôt Le Devoir disparaîtra, le mieux ce sera. Le Québec doit tourner la page sur les dernières décennies, celles qui ont vu émerger une génération entière de jeunes gens à qui l'on a appris l'anglais à l'école le plus tôt possible et qui, surprise, surprise, montre aujourd'hui les signes d'une attirance grandissante envers la langue de Shakespeare, suscitant des craintes légitimes quant à l'avenir de notre culture en Amérique du Nord, l'anglais étant supposément plus important et prestigieux que le français sur le continent qui nous a vu naître, aux yeux de bien trop de jeunes Québécois et Québécoises.
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