jeudi 6 septembre 2018

Chère Mme Payette

J'ai appris avec tristesse le décès de Mme Lise Payette. J'offre en hommage à sa mémoire ce texte de blogue que j'ai rédigé en janvier 2014 après avoir visionné le documentaire que sa petite-fille Flavie avait tourné pour diffusion à la télé. En 2016, Mme Payette m'avait invité à venir la voir à Montréal pour une bonne jasette. L'occasion ne s'est jamais présentée et je le regrette. Et maintenant il est trop tard. Claude Léveillée avait raison: un rendez-vous que l'on manque est mille fois plus important... 




Chère Mme Payette,

Dans ce merveilleux documentaire que votre petite-fille Flavie a créé pour la télé, j'ai revécu avec intensité des grands moments de votre vie et de votre carrière, et dans son sillage, des chapitres importants de l'histoire récente du Québec. Mais après ce fier regard sur votre passé et sur vos combats, vos réflexions sur l'avenir et la vieillesse semblaient marquées par l'incertitude.

« J'arrive à l'âge où je vais bientôt déposer l'avenir de ce que j'ai pu commencer », en disant « bonne chance ». Vous avez ajouté, au sujet de votre grand projet collectif : « Je ne le verrai pas de mon vivant... le Québec indépendant. » Et dans votre bref échange sur la vieillesse avec Gilles Vigneault pointait toute l'hésitation de fin de vie qu'on est en droit d'envisager, à mon âge comme au vôtre.

Vous avez 82 ans, soit. Mais n'oubliez pas que vous les avez toutes, ces années. Pas seulement la 83e amorcée... Quand vous évoquiez votre grand-mère Marie-Louise, vos paroles et votre regard ravivaient l'enfance toujours présente en vous. En racontant votre séjour à Paris et votre retour au Québec, toute l'énergie de votre trentaine a ressurgi. Et vous avez à portée de mémoire toute la fougue de la mi-quarantaine, alors que vous pilotiez, comme ministre, l'épineux dossier de l'assurance-automobile.

Pour ma part, j'ai 67 ans, ce que mon corps ne manque pas de me rappeler à tous les matins. J'imagine que le vôtre vous donne sans doute aussi du fil à retordre parfois. Mais ce qui fait de nous ce que nous sommes, c'est la matière grise, c'est le coeur qu'on met à l'ouvrage, et de ça, vous n'avez rien perdu. S'y sont même ajoutés, en prime, votre longue expérience et un brin - pas trop - de sagesse.

Qu'il reste à votre vie quelques mois, quelques années ou, qui sait, quelques décennies, mon plus ardent souhait, c'est que vous continuiez à nous offrir ce trésor quotidien de rappels, d'encouragements, de réflexions... serti d'honneur et d'idéaux. Chaque pas que vous faites sera le vôtre mais aussi le nôtre. Comme le disait si bien Céline Dion, « vous avez habité tout le peuple québécois, vous êtes en nous ».

Après 45 ans de journalisme, j'ai une bonne croûte de cynisme et de scepticisme pour me protéger contre les marchands d'illusions. Mais en vous écoutant je crois qu'à certains moments, comme vous jadis avec René Lévesque, je serais tenté de « vous suivre au bout du monde pour faire ce que vous dites que nous devons faire ».

Nos héros du passé sont presque tous des hommes. Et trop souvent des héros tragiques, qui ont lutté en vain dans des causes justes contre plus forts qu'eux. Pendant ce temps, nos grands-mères restaient le plus souvent à la maison et préparaient une abondante relève, de génération en génération. Votre tour arrive. Vous comptez parmi les pionnières, vous êtes de celles qui avez préparé la voie des Pauline Marois et des autres qui suivront.

Et aujourd'hui, dans ce débat épique sur les valeurs qui guideront notre société et notre État, deux doyennes s'imposent. Pendant que d'anciens hommes du pouvoir vacillaient, Janette Bertrand, ainsi que vous Mme Payette, avez porté bien haut le flambeau de l'égalité hommes-femmes, sans laquelle la neutralité et la laïcité essentielles de l'État restent ouvertes à tous les accommodements déraisonnables.

Enfin, ne désespérez pas de voir de votre vivant ce jour où le peuple québécois décidera d'aller « un peu plus haut, un peu plus loin », ce jour où toutes ces défaites, où toutes ces « blessures » nous auront convaincus de façonner enfin un avenir collectif à notre image. La nuit serait à son plus sombre juste avant l'aube, dit-on.

En regardant avec mon épouse le documentaire de votre petite-fille, dimanche soir, à Télé-Québec, j'ai passé par la gamme des émotions. Et à la fin, je dois l'avouer, j'étais fier de vous. Très fier.


Gatineau, ce 15 janvier 2014

1 commentaire:

  1. Monsieur Allard,

    Quel texte extraordinaire que j'appuie entièrement !!! Je trouve malheureux qu'elle n'ait pas vécu assez longtemps pour être témoin de la libération de SON pays, le mien, le vôtre. Félix et René aussi. Il nous faudra bien enseigner l'histoire un de ces jours, notre histoire.

    Votre blogue, que je lis régulièrement, est une une grande source de renseignements et de motivation.

    Gilles Sauvageau
    L'Assomption
    Québec

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