mercredi 11 septembre 2019

Mais que fête-t-on, au juste?


Le monde n'aime pas les «casseux de party»... mais parfois il en faut...

De toute façon, je suis habitué.

Ces jours-ci, dans les hautes sphères de la francophonie ontarienne, dans les milieux politiques ontariens et fédéraux, ainsi que plusieurs clans médiatiques, on célèbre la naissance «officielle» de ce qu'on persiste à appeler l'Université de l'Ontario français.

Voilà une fête qui n'a pas sa raison d'être!

Oui, l'Ontario et le gouvernement fédéral se sont finalement entendus pour injecter 63 millions de dollars chacun pendant quatre années pour ouvrir un campus universitaire de langue française à Toronto. Bravo! Mais il s'agit d'un projet régional du sud de la province, qui ne pèse pas lourd dans le décor universitaire ontarien et qui,  surtout, ne correspond aucunement au projet d'université franco-ontarienne lancé en 2012 par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO).

Ce n'est pourtant pas compliqué. Faisons un brin d'histoire. En 1912, un gouvernement carrément raciste de l'Ontario avait adopté le Règlement 17 supprimant l'enseignement en français après la deuxième année du primaire dans l'ensemble de la province.

Cette tentative d'ethnocide par la majorité anglo-ontarienne avait eu un fort retentissement, tant au sein des collectivités franco-ontariennes qu'au Québec. Les Franco-Ontariens avait mis sur pied des écoles françaises illégales, et au Québec on collectait des sous pour aider à les financer. Un quotidien, Le Droit, était né à Ottawa avec une devise opportune: «L'avenir est à ceux qui luttent.»

Le combat pour récupérer les droits scolaires abolis, entrepris à cette époque, s'est poursuivi jusqu'à la fin du 20e siècle. Il n'est pas terminé en 2019. L'objectif a toujours été le même: redonner aux francophones des écoles à leur image, des écoles «par et pour» les Franco-Ontariens.

Le Règlement 17 a été suspendu en 1927 et a mystérieusement disparu en 1944, mais il a fallu attendre jusque' à la fin des années 1960 (menace de sécession du Québec oblige) pour que les écoles primaires et secondaires «bilingues» des Franco-Ontariens deviennent enfin des écoles de langue française.

Et c'est seulement après l'adoption de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982, et son interprétation généreuse par les tribunaux dans les années 1980 et 1990, que les Franco-Ontariens et les autres minorités francophones hors-Québec ont obtenu le droit de gestion de leurs propres réseaux scolaires primaires et secondaires.

C'est aussi à cette époque que les Franco-Ontariens ont pu fréquenter pour la première fois des collèges communautaires de langue française... une première incursion du «par et pour» au niveau postsecondaire. Restait l'universitaire...

Depuis les années 1960, cela crevait les yeux que les institutions scolaires bilingues étaient devenues des foyers d'assimilation pour les élèves canadiens-français. Pour des motifs qui m'échappent, on semblait croire que les étudiants universitaires étaient immunisés contre l'anglicisation, sans doute parce que les francophones demeuraient majoritaires à la principale université bilingue, l'Université d'Ottawa.

Mais cela a bien changé depuis le début des années 1970 et aujourd'hui, les parlant français ne forment que 30% de la population étudiante à l'université ottavienne (et bien moins à l'Université Laurentienne de Sudbury). L'immense majorité des Franco-Ontariens de niveau universitaire qui étudient en français le font désormais dans des institutions anglo-dominantes... et ça paraît...

C'est dans ce contexte que le RÉFO lançait il y a sept ans sa campagne de mobilisation pour la gouvernance franco-ontarienne de tous les programmes universitaires en français. L'objectif, auquel se sont associés les étudiants du secondaire (FESFO) et l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO), était double: augmenter l'offre en français là où elle était déficiente, et s'assurer d'une extension à l'universitaire d'une gouvernance déjà acquise par les francophones aux niveaux, primaire, secondaire et collégial.

Les universités bilingues, en particulier celle d'Ottawa, ont vite perçu la menace. En 2014, le recteur de l'époque, Allan Rock, affirmait que les Franco-Ontariens n'avaient pas besoin d'université... Ils en avaient déjà une, l'Université d'Ottawa... L'année suivante, les libéraux de Kathleen Wynne et Madeleine Meilleur torpillaient le projet en lui donnant un caractère strictement torontois... et ont attendu la fin de leur mandat, en 2017, pour donner le feu vert à un petit campus de langue française à Toronto, projet «scrappé» par Doug Ford après son élection l'année suivante...

En un tournemain, depuis 2015, avec la complicité de médias qui n'ont jamais très bien suivi le dossier, le campus régional du centre-sud-ouest ontarien est devenu «l'Université de l'Ontario français» et l'est demeuré, en dépit de protestations occasionnelles du RÉFO et de ses partenaires.

Alors que reste-t-il du noble projet de gouvernance de tous les programmes à l'universitaire en Ontario français? Un petit campus à Toronto pour quelques centaines d'étudiants... Pendant ce temps, 13 000 étudiants francophones continuent de fréquenter l'Université d'Ottawa dans un milieu où l'anglais est nettement dominant. Pour donner une idée de l'ordre des grandeurs, on octroie 126 millions $ sur huit ans à la soi-disant Université de l'Ontario français, pendant que le budget de l'Université d'Ottawa dépasse le seuil de 1,1 milliard de dollars par année...

Je laisse la conclusion au recteur actuel de l'Université d'Ottawa, Jacques Frémont, qui met un clou de plus dans le cercueil de la gouvernance franco-ontarienne des programmes universitaires dans l'ensemble de la province:

«L'Université d'Ottawa constitue pour la communauté franco-ontarienne un formidable outil de développement et de rayonnement. La création de l'Université de l'Ontario français viendra diversifier l'offre de services en enseignement en français et c'est tant mieux. Plus il y aura d'universités francophones et bilingues au pays, mieux les intérêts des francophones seront servis.» (citation tirée du Droit du 9 septembre 2019)

Personne n'a, jusqu'à maintenant, contredit cette déclaration ahurissante. Du moins je n'ai rien vu. Espérons que les quelques voix discordantes et lucides qu'on entend parfois à l'Université Laurentienne et à l'Université d'Ottawa, ainsi qu'au RÉFO, se manifesteront.

Entre-temps, le party continue comme s'il s'agissait d'une grande victoire... C'est au mieux un petit pas dans la bonne direction... à condition de ne pas oublier la direction...











1 commentaire:

  1. C’est bizarre! Quand j’ai vu l’annonce de l’entente signée, je n’ai pas eu de chair de poule ou le goût de fêter. Suis-je devenue amorphe?

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