mardi 17 septembre 2019

Yves Saint-Denis. Vivre debout, jusqu'au bout!

image de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal

Yves Saint-Denis était un fier patriote, à la fois franco-ontarien, canadien-français et indépendantiste québécois, un alliage redoutable qu'il défendait sans jamais s'agenouiller. Il avait été président de l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO) mais aussi l'un des membres fondateurs du Parti québécois... Que sa mort, la semaine dernière, ait été accueillie avec une relative indifférence dans les médias du Québec constitue une grande injustice!

«J'ai travaillé toute ma vie pour l'Ontarie (c'est ainsi qu'il avait renommé son coin de pays), et en 1981, je me suis donné comme mission de faire connaître l'Ontario français au Québec», expliquait M. Saint-Denis en 2017 à ONFR+, le réseau d'information de la télé franco-ontarienne (TFO). Jusqu'à la toute fin, même affaibli par la maladie, il est resté un «battant». On l'a vu à la grande manifestation franco-ontarienne du 1er décembre dernier à Ottawa, ainsi qu'au défilé de la Fête nationale du Québec à Montréal, en juin 2019.

D'aucuns sourcillent à la pensée qu'on puisse lutter en même temps pour les droits des Franco-Ontariens et l'indépendance du Québec, mais il n'y voyait aucune contradiction. Le trait d'union, la clé de cette fusion de deux causes apparemment divergentes, c'est la langue française. Les Québécois, les Acadiens et les Canadiens français ont en commun un héritage francophone attaqué de toutes parts depuis la Conquête. Le combat pour la pérennité du français enjambe les frontières.

«J'en suis venu à la conclusion qu'il fallait un pays pour les francophones en Amérique du Nord. Un pays parle plus fort. Ça prend un vigoureux coup de barre. Faut mettre le cap ailleurs», avait conclu Yves Saint-Denis. Les francophones en situation minoritaire ont subi, plus qu'au Québec, les effets d'un État aux mains d'une majorité hostile. Historiquement, on les a persécutés parce qu'ils parlaient français. De la même façon, la hargne persistante à l'endroit du Québec tient à son caractère francophone. Les Anglo-Canadiens sont toujours plus francophobes qu'anti-québécois...

La Société Saint-Jean Baptiste de Montréal, dont M. Saint-Denis était un membre éminent, l'avait honoré au printemps 2019 pour «services exceptionnels» rendus à la patrie. Jusqu'à sa mort, il a habité sa maison patrimoniale à Chute-à-Blondeau, petit village à l'est de Hawkesbury, les deux pieds bien plantés en «Ontarie*», à jet de pierre de ce Québec dont il n'aura pas vu l'indépendance. Dans un courriel que j'ai reçu de lui au mois d'août, alors que nous tentions de fixer la date d'une rencontre ultime, il écrivait: «Je demeure un battant, "jusqu'au bout!"».

En tant qu'ancien Franco-Ontarien devenu partisan de la souveraineté du Québec (j'étais comme lui membre du PQ au tout début), j'avais - au-delà d'un profond respect pour son érudition et d'une admiration pour son franc-parler - une grande sympathie pour ses efforts de rapprochement entre la francophonie minoritaire et la majorité québécoise. Il n'était pas seul dans son combat même s'il en était une figure de proue. Au cours du dernier demi-siècle, des milliers de Franco-Ontariens ont milité à la fois pour les droits des minorités francophones et pour un Québec souverain.

Le grand patriarche franco-ontarien Séraphin Marion, décédé en 1983 à Ottawa, sa ville natale, avait publiquement appuyé en 1961 le livre de Marcel Chaput, Pourquoi je suis séparatiste. Plus tard dans la décennie, il applaudissait le général de Gaulle ainsi que l'arrivée de René Lévesque et du Parti québécois, sans jamais pour autant renier son combat en faveur des droits linguistiques des minorités francophones hors-Québec, les Franco-Ontariens en particulier. La Société Saint-Jean Baptiste de Montréal avait créé en 1984 le Prix Séraphin Marion pour honorer la francophonie hors-Québec. En 1989, le lauréat était Yves Saint-Denis.

Même si peu d'entre eux s'affichaient ouvertement, plusieurs dirigeants d'organisations franco-ontariennes s'étaient rapprochés de la cause indépendantiste. De fait, dans les années suivant sa fondation, le PQ avait tellement d'adhésions de l'Ontario français et des autres minorités qu'il a émis des cartes de membres «hors Québec»...

ma carte de membre du PQ, début 1969, section «hors Québec», alors que je siégeais au conseil d'administration de l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO)

Plus récemment, de 1993 à 2000, un ancien militant des luttes scolaires de Penetanguishene (Ontario), Jean-Paul Marchand, a siégé comme député fédéral de Québec-Est sous la bannière du Bloc québécois.

N'oublions pas que des représentants de l'Ontario français ont participé à la fondation du RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale) en 1960 et qu'une des toutes premières publicités dans L'indépendance, le journal du RIN, annonçait la parution du livre Le scandale des écoles séparées en Ontario de Joseph Costisella. On note la présence de Franco-Ontariens jusque dans les franges séparatistes les plus radicales. Le fondateur des Chevaliers de l'indépendance, Reggie Chartrand, était originaire de Timmins, en Ontario. Même le FLQ comptait dans ses rangs un Omer Latour, de Cornwall...

Si j'écris ce texte de blogue, c'est à la fois pour dire mon respect et mon admiration pour Yves Saint-Denis, mais aussi pour affirmer que son double engagement - pour les droits des Franco-Ontariens, pour la souveraineté du Québec - fait partie d'un courant tenace qui s'affiche en Ontario français depuis plus d'un demi-siècle. Pour ceux et celles qui y adhèrent, et j'en suis, il n'y a pas de contradiction entre l'un et l'autre. Les avant-postes de la francophonie canadienne et nord-américaine ont besoin d'un Québec français dynamique. Et cet objectif a peu de chances d'être atteint dans un cadre fédératif où l'affirmation linguistique et culturelle du Québec restera toujours soumise au contrôle constitutionnel et juridique d'une majorité anglo-canadienne intransigeante.

J'ai toujours cru qu'un séparatiste sommeillait au fond de chaque Canadien français... Ce dont je me suis rendu compte avec Yves Saint-Denis c'est qu'au fond de chaque séparatiste sommeille aussi un Canadien français... Peut-être faut-il être Franco-Ontarien et indépendantiste pour en être davantage conscient... On s'en reparlera, Yves, un jour!

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 * Pourquoi Yves Saint-Denis parle-t-il toujours de l'Ontarie? Le chroniqueur Denis Gratton, du quotidien Le Droit, le lui avait demandé lors d'une entrevue en avril 2019. « Pour sa finale française, avait-il répondu. Comme ont dit la Gaspésie, la Mauricie, l'Acadie, l'Estrie... l'Ontarie.»


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