vendredi 29 mai 2020

Qui paiera, après la pandémie?

photo du Journal de Montréal

Justin Trudeau a récemment proposé d'accorder à tous / toutes un minimum de 10 jours annuels de congé de maladie rémunérés. Passons sur le fait qu'il empiète (de nouveau) sur une compétence provinciale, et oublions un moment que son projet (ou est-ce celui du NPD...) va sans doute dans le sens d'une plus grande justice sociale. La question épineuse, et on n'a pas tardé à la poser, est la suivante: qui va payer pour ça?

En temps de crise - et la pandémie actuelle en est tout une - on mobilise sans trop compter. Avec raison. Mais les gouvernements manquent de transparence en matière de finances. Ottawa envisage désormais un déficit de 260 milliards de dollars cette année. L'Ontario plus de 40 milliards. Le Québec se dirige vers un trou de 15 milliards. Et des municipalités aux coffres dégarnis crient à l'aide, espérant elles aussi un afflux de fonds provinciaux (et fédéraux). Ce qu'on ne dit pas, c'est que peu importe qui dépense, l'argent provient d'une seule source: les citoyens.

Les déficits de nos gouvernements, ce sont des dettes qu'il faudra tôt ou tard rembourser. Et où l'État prendra-t-il ces centaines de milliards de dollars? Poser la question c'est y répondre. Qu'il s'agisse d'impôts ou de taxes de tous genres, seuls les citoyens passent à la caisse. Et les impôts des entreprises, direz-vous? Où les Wal-Mart, General Motors, Canadian Tire, et autres détaillants prennent-ils leurs revenus? Dans quelles poches puisent les compagnies d'assurances et les banques? Toujours les mêmes, en bout de ligne...

Je n'ai aucune compétence en économie, mais je sais que l'argent ne pousse pas dans les arbres dans nos sociétés de consommation. Des hommes et des femmes travaillent pendant toute leur vie pour créer des produits ou offrir des services en retour d'une rémunération avec laquelle ils doivent payer leur logement, leurs aliments, leurs sorties et bien plus, y compris la dette publique, sans oublier d'économiser des sous en vue de leur retraite. Même ceux ou celles qui ont la chance de gagner un gros lot de Lotto Max doivent savoir que leur cagnotte a été amassée grâce à l'achat de millions de billets par des gens comme eux...

Quand la pandémie sera terminée, si jamais elle prend fin, chaque citoyen du Québec et du Canada, homme, femme et enfants, se sera endetté de dizaines de milliers de dollars en additionnant les déficits accumulés par les gouvernements dont ils sont l'ultime source de revenus. Pensez-vous vraiment que les banques, les assureurs, les grands empires financiers vont puiser dans leurs privilèges pour aider le monde ordinaire? Ils vont être en tête de file pour quêter des fonds publics qui sortiront de nos poches, et s'ils ne les ont pas, ils trouveront le moyen de nous les soutirer...

Comme la plupart de mes concitoyens, je n'ai aucune hésitation à autoriser les dépenses nécessaires pour combattre la pandémie, et assumer les conséquences financières. Mais j'exige qu'on me dise clairement la grosseur du trou économique qu'on creuse et ce que ça risque de me coûter. Et je ne veux surtout pas, à la fin, voir l'ensemble des citoyens régler la note pendant de gros capitalistes sans coeur partent avec des bonis de millions et de milliards qu'on nous aura volés.

À moins qu'on m'assure qu'un jour, les États puissent effacer leurs dettes avec une baguette magique, je sais que les prix, les impôts et les taxes vont augmenter de façon substantielle, et que je devrai ajuster mes modestes revenus de retraite en conséquence. Mais personne n'en parle... Arrêtons de présenter nos gouvernements comme des structures extérieures, déconnectées... Quand Ottawa, Québec ou Gatineau dépensent, je dépense. Mon épouse dépense. Mes enfants et leurs enfants dépensent. Nous dépensons tous, toutes.

Comme je ne suis pas économiste ou fiscaliste, peut-être suis-je dans le champ gauche... Chers collègues des médias, éclairez-moi...


mercredi 27 mai 2020

Finis, les éditoriaux au quotidien Le Droit?


L'étalement éditorial du Droit du samedi 25 juin 1977 sur deux pages, grand format. Le Droit comptait alors 50 000 abonnés !

----------------------

Dans l'édition du samedi, la seule que le quotidien Le Droit continue de publier en version papier, on a appris ce 23 mai que l'éditorialiste du journal, Pierre Jury, avait remis sa démission (bit.ly/3gf2tTz). En interview avec le journaliste Rudy Chabannes d'ONFR, le surlendemain (bit.ly/2A5Koa7), Pierre Jury déclarait: «Je ne connais pas l'avenir, mais je n'ai pas l'impression que je serai remplacé»...

----------------------

Au début de 1974, j'ai postulé et obtenu un poste d'éditorialiste au Droit. Je m'en souviens comme si c'était hier. J'avais dû parader devant des membres du conseil d'administration du journal (alors propriété des Oblats de Marie Immaculée) pour un interrogatoire en règle sur mes valeurs et ma capacité de respecter une politique éditoriale axée sur la promotion des valeurs sociales chrétiennes et la défense des Canadiens français dans le cadre de la fédération canadienne.

Le fait d'être originaire d'Ottawa et d'avoir milité pendant plusieurs années dans de grandes organisations franco-ontariennes favorisait ma candidature. Mes deux années à la Tribune de la presse parlementaire fédérale aussi. Mes convictions syndicales, socialistes et indépendantistes, avouées bien franchement, ne constituaient pas de grands atouts. Malgré tout, après un échange de qualité avec les administrateurs, on m'offrait un corridor idéologique suffisamment large pour m'exprimer librement... sauf pour l'interdiction d'appuyer la cause de la souveraineté du Québec.

Si j'évoque ce processus de nomination, ce n'est pas tant pour rappeler le contenu de la discussion que pour insister sur l'importance accordée à sa page éditoriale par le quotidien ayant alors pignon sur la rue Rideau, à Ottawa. Le journal comptait à cette époque trois éditorialistes syndiqués à temps plein sous la direction d'un rédacteur en chef. Chaque membre de l'équipe éditoriale disposait d'un bureau privé à l'étage, en face de la grande salle des nouvelles. Clairement, les éditorialistes jouissaient d'un statut privilégié dans l'entreprise.

Si, pour la presse écrite, le coeur de la mission doit rester la cueillette et la diffusion intègre d'une l'information aussi complète que possible, les pages d'opinion ouvrent une fenêtre sur l'âme d'un journal. Le quotidien Le Droit a été fondé en 1913 pour défendre les droits scolaires des Franco-Ontariens. Sa devise, L'avenir est à ceux qui luttent, depuis longtemps élargie pour englober les intérêts des francophones de l'Outaouais québécois, s'est incarnée principalement dans la prose - parfois acérée - de ses éditorialistes.

Cette tradition de combat et de relative indépendance (Le Droit n'appartenait à aucune chaîne avant les années 1980) s'est enracinée au fil des décennies, et a réussi - sauf exception - à se maintenir même sous le joug des empires Hollinger et Power Corporation. Jusqu'à tout récemment. Avec le passage au format tabloïd en 1988, l'ancienne formation éditoriale avait été démantelée mais l'apport de quelques collaborateurs réguliers a permis à l'éditorialiste en chef de pouvoir compter sur une équipe d'expérience, capable de colmater les brèches.

Au début des années 2010, la page éditoriale demeurait animée par trois plumes - Pierre Jury, éditorialiste en chef, secondé de Pierre Bergeron (ancien éditeur) et moi, Pierre Allard (ancien rédacteur en chef). La première secousse est survenue en 2013 quand le journal a décidé de supprimer l'éditorial du lundi. Une mesure d'économie, semble-t-il, mais aussi une claire manifestation d'un attachement réduit à la fonction éditoriale du quotidien...

L'année 2014 a porté le coup de grâce au concept d'équipe éditoriale. J'ai été congédié en mai 2014 pour avoir contesté sur mon blogue (bit.ly/2Zb9WcI) l'intention manifestée par Power Corp. de réduire ses quotidiens régionaux (y compris Le Droit) à un quelconque onglet de La Presse plus... On ne m'a pas remplacé. Puis le 29 décembre 2014, Pierre Bergeron a signé son ultime éditorial (bit.ly/2WZyc3n) avant de prendre une retraite bien méritée. À partir de là, les éditions sans éditorial se sont fait nombreuses, Pierre Jury ne pouvant à lui seul assumer l'entièreté de la tâche.

Ces derniers mois, en 2020, Le Droit, maintenant une coopérative de solidarité libérée des tutelles impériales, ne publiait qu'un ou deux éditoriaux par semaine. Le 8 mai, Pierre Jury signait un texte intitulé Ce qui peut aller mal... (bit.ly/3d8NFnE). Personne ne se doutait qu'il s'agissait de son dernier éditorial, et peut-être même du dernier éditorial des 107 années d'histoire du journal Le Droit. Un moment historique, qui ne doit surtout pas passer sous silence...

Dans sa lutte pour la survie, Le Droit semble avoir perdu de vue le sens de sa mission d'information et d'opinion. Qui, désormais, tonnera dans ses éditoriaux pour défendre les droits constamment bafoués des Franco-Ontariens, qui dénoncera les menaces pesant sur l'avenir de la langue française au Québec et ailleurs au Canada? En Outaouais et en Ontario français, la presse écrite (enfin ce qui en reste) serait muette? De la part d'un journal qui publie sous la devise L'avenir est à ceux qui luttent, l'abolition de la fonction éditoriale serait un geste presque criminel...

Depuis le 24 mars, Le Droit ne publie plus son édition papier en semaine, et rien ne garantit qu'elle reviendra après la pandémie... Et l'édition du samedi, la seule qu'on livre toujours à la porte, est de moins en moins un journal d'information... C'est devenu une publication à mi-chemin entre un journal et un magazine où la contribution des artisans du Droit est beaucoup trop réduite... Dans un tel contexte, l'abolition possible des textes éditoriaux ne serait pas la goutte qui fait déborder le vase, mais l'assèchement d'une des dernières gouttes qui restaient au fond du vase...

Est-ce trop espérer que des voix se fassent entendre pour sauver les meubles d'abord, puis redonner au Droit toute la place que ce journal doit occuper, tant au Québec qu'en Ontario?

-----------------------

Un dernier mot... Salut, Pierre Jury! J'espère que tu n'a pas fini d'écrire!
Et un salut particulier au caricaturiste Guy Badeaux, ultime étincelle de la page éditoriale du Droit!



lundi 25 mai 2020

Que se passe-t-il au CHSLD Champlain de Gatineau?


L'état de la pandémie en Outaouais ressemble de plus en plus à un épais brouillard... et les explications se font rares. Ou bedon notre méga-CISSS est mal renseigné, ou bedon notre méga-CISSS nous renseigne mal... Ou peut-être y a-t-il là un mélange des deux... Tout cela, sous les yeux fatigués d'effectifs médiatiques à la fois réduits et débordés...

Dans cette région relativement épargnée par la COVID-19, les manchettes percutantes provenaient le plus souvent d'ailleurs. Entre les horreurs dans les CHSLD de l'agglomération montréalaise et les morts qui s'additionnaient par dizaines à Ottawa, de l'autre côté de la rivière, l'actualité «covidienne» semblait plutôt terne sur le territoire du grand Gatineau.

Mais voilà qu'en sept jours à peine (15 au 21 mai), 105 nouvelles infections à la COVID-19 étaient signalées dans une région qui en avait accumulé à peine 365 en deux mois... La question qui s'impose, c'est évidemment de savoir pourquoi, mais nos bureaucraties de la santé - en supposant qu'elles connaissent la réponse - coulent parfois l'information au compte-gouttes (voir mon blogue du 20 mai à bit.ly/3bOZvlk). Ces jours-ci, on nage vraiment dans l'a-peu-près... sauf pour l'assurance du CISSSO que les hausses n'ont rien à voir avec le déconfinement entrepris le 11 mai...


Le pire est survenu mercredi dernier (20 mai) quand on a interrogé la PDG du CISSS de l'Outaouais, Josée Filion, au sujet d'une récente éclosion de COVID dans le Centre d'hébergement ChamplainLa journaliste Justine Mercier, du quotidien Le Droit, écrivait ce qui suit dans son texte du lendemain: «Le CISSSO a choisi de ne plus divulguer le nombre de cas (dans cet établissement) "par souci de respect des propriétaires de ces entreprises-là", a indiqué Mme Filion. D'autres CISSS et CIUSSS de la province divulguent pour leur part ces informations chaque jour sur leur site Internet.»

Cela signifie-t-il que le CISSSO ne fournit pas de données à jour sur cet établissement au ministère de Mme McCann, qui publie quotidiennement une liste de cas confirmés dans tous les CHSLD du Québec? Au cours des derniers jours, cette liste (voir bit.ly/3bS7cqS) fait état de nouvelles infections au Centre d'hébergement Champlain de Gatineau, qui en compterait maintenant sept chez les résidents, et aux Résidences de la Gappe phase 2. Peut-on se fier aux chiffres? Et combien d'infections au sein du personnel? Mardi dernier, les propriétaires du CHSLD Champlain confirmaient trois cas de COVID chez les employés, selon un texte de Radio-Canada. Additionnés aux 7 cas actifs chez les résidents, cela donne un total de 10...

Pendant ce temps, les autorités outaouaises n'hésitent pas à mettre à jour la situation dans le CHSLD Lionel-Émond, une institution publique appartenant à l'État où l'on a enregistré 30 cas de COVID parmi les résidents (dont 6 décès) et 21 parmi les employés. Témoigne-t-on moins de respect au gouvernement québécois qu'au Groupe Champlain ou à la compagnie torontoise All Seniors Care Living Centres, propriétaire de la phase 2 des Résidences de la Gappe? 

Si les données sont faussées ou cachées pour protéger les propriétaires, le CISSSO ne désobéit-il pas aux directives de transparence du ministère de la Santé? Et si l'on publie les vrais chiffres, pourquoi alors prétendre en conférence de presse que les nouveaux cas de COVID ne seront plus dévoilés pour cet endroit? Personne, dans les médias, ne semble avoir interpellé la ministre Danielle McCann à ce sujet... On pourrait, du même coup, lui demander pourquoi il y a si peu d'efforts de dépistage de la COVID (moins de 150 tests par jour) dans le grand Gatineau et le reste de l'Outaouais.




jeudi 21 mai 2020

Le report du retour en classe fera mal aux Franco-Ontariens...

La pandémie égratignait déjà les Franco-Ontariens, avec un gouvernement qui peine à communiquer dans leur langue et des tas d'organismes francophones privés d'un financement essentiel aux services qu'ils rendent à la collectivité. Mais rien n'aura fait plus mal à l'Ontario français que le report à septembre du retour en classe dans les écoles de la province...

Pourquoi? Les observateurs peu informés de la situation doivent comprendre que les collectivités francophones de l'Ontario vivent pour la plupart dans des milieux où elles sont encerclées par des majorités de langue anglaise, sauf dans des municipalités plus petites ou des régions rurales de l'Est et du Nord ontariens. Dans toutes les grandes villes, les Franco-Ontariens sont noyés dans des environnements où l'unilinguisme anglais s'impose.

Les jeunes francophones, plus souvent qu'autrement, sont surexposés aux médias de langue anglaise, s'amusent avec des copains anglophones (en anglais), s'habituent à parler la langue de la majorité dans les commerces et les services publics, communiquent massivement en anglais dans les médias sociaux. Même à la maison, pour une forte proportion des jeunes Franco-Ontariens (40%? plus?), l'anglais sera la langue la plus utilisée. Alors que reste-t-il comme milieu où leur langue et leur culture peuvent être valorisées quotidiennement? L'école française.

Les réseaux scolaires franco-ontariens en sont fort conscients et doivent faire face à un nombre croissant d'enfants qui maîtrisent peu ou pas la langue française. Les écoles ont développé au fil des décennies des programmes de «construction identitaire» destinés à façonner et renforcer une identité francophone chez les élèves. C'est un combat de tous les instants, mené avec acharnement contre des environnements anglo-dominants. L'école ne peut à elle seule sauver ces enfants de l'assimilation, mais sans l'école, le combat sera le plus souvent perdu... et vite.

Alors de voir ces enfants à Ottawa, Sudbury, Cornwall, Welland, et que dire de Toronto ou Windsor, privés pendant trois mois de leur principal apport culturel francophone constitue une situation tout à fait dramatique. Bien sûr, la santé publique doit rester prioritaire et les enseignants mettront toute leur expertise à compenser en ligne une absence physique de l'école française. Mais entre l'encadrement (tout l'avant-midi et tout l'après-midi) par un enseignant professionnel dans une école de langue française et la surveillance parentale à la maison, où papas et/ou mamans doivent fréquemment jongler enfants et emplois à temps plein, on ne peut espérer les mêmes résultats.

À la fin de l'été, quand les classes reprendront, les autorités scolaires seront en mesure d'évaluer les dégâts... Dans une province où plus du tiers des francophones sont anglicisés et où le taux d'assimilation est le plus élevé chez les jeunes, une interruption scolaire de cet ordre aura de sérieuses répercussions linguistiques et culturelles. Personne n'en parle, du moins ouvertement, mais il y a fort à parier que de nombreux intervenants franco-ontariens dans les milieux de l'éducation en ont pris conscience. Que feront-ils? J'ai bien hâte de voir...



mercredi 20 mai 2020

Le brouillard de la COVID en Outaouais...


Parfois, je brûle de reprendre calepin et crayon (ou je ne sais trop... ce qu'on prend au 21e siècle...) pour me retrouver dans le feu de l'action, comme je le fus jadis au Droit. Quand on a travaillé longtemps dans la salle de rédaction d'un quotidien, on ne peut s'empêcher de lire les nouvelles avec des yeux de journaliste. On veut croire que les bonnes questions ont été posées, que des réponses cohérentes ont été reçues et que le texte publié offre une bonne compréhension du sujet.

Or, depuis quelques jours, les nouvelles sur l'évolution de la pandémie de COVID-19 en Outaouais me laissent sur ma faim. Depuis quatre jours, le nombre de nouveaux cas qui y sont annoncés a fait un bond plus qu'appréciable. Dans une des régions les moins touchées du Québec avec à peine 360 personnes infectées au cours des deux premiers mois (mi-mars à la mi-mai), voilà qu'une soixantaine de cas de COVID-19 s'ajoutent en quatre jours seulement, du 15 au 18 mai. Je m'attends à de grosses manchettes sur le Web et à la télé, avec explications, mais après avoir lu tout ce que j'ai pu trouver, je ne sais pas grand-chose...

D'abord, personne ne semble avoir additionné les augmentations consécutives de 14, 14, 9 et 22 nouvelles infections confirmées depuis le 15 mai, chacune étant traitée séparément, au jour le jour. Aucun autre bloc de quatre jours depuis le début de la pandémie en Outaouais ne s'approche de tels résultats. Le Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais (CISSSO) a avancé que le score de 22 pour le 19 n'était pas un record, la région ayant enregistré 24 nouveaux cas le 5 avril. Je ne sais pas où ils prennent ça, j'ai imprimé les données quotidiennes depuis près de deux mois, et le 5 avril on annonçait seulement 8 infections. Il y en avait 14 la veille, le samedi 4 avril.

Enfin, là n'est pas la question essentielle. Ce qu'il faut savoir, c'est la provenance de cette soixantaine de nouveaux cas de COVID-19 et là-dessus, on reste dans un brouillard opaque. Les médias font état d'une éclosion dans un Wal-Mart de Gatineau, qui se voit obligé de fermer ses portes temporairement, le mardi 19 mai. On pourrait croire que cela explique une partie des augmentations, mais le texte de Radio-Canada indique que les six employés de Wal-Mart ont été infectés «au cours des deux dernières semaines» et que le CISSSO était au courant depuis le début.

Alors les reporters cherchent ailleurs... Peut-être est-ce l'ouverture des commerces et des écoles depuis le 11 mai? Cela semblerait logique... Non, dit le CISSS de l'Outaouais, dont le porte-parole affirme qu'il n'y a «aucune corrélation entre le déconfinement et le nombre de cas»... On ne parle pas ici de peut-être ou de probabilités. Les autorités ont établi clairement qu'il n'existe pas de lien entre le déconfinement et les 60 nouvelles infections. Selon mon expérience, quand on élimine avec certitude des hypothèses, c'est qu'on flaire déjà la bonne réponse ailleurs.

Or le porte-parole du CISSSO estime «difficile d'avancer une explication mais on croit que les éclosions dans certaines résidences pour personnes âgées pourraient avoir engendré davantage de cas positifs»... C'est un peu (beaucoup) faible comme réplique, compte tenu que les autorités régionales ont accès au bilan quotidien de tous les CHSLD et résidences pour personnes âgées de l'Outaouais et qu'une vérification peut se faire en un clin d'oeil. Alors j'ai regardé le bilan au 18 mai de ces foyers pour personnes âgées (disponible sur le Web).

Deux résidences ou CHSLD sont principalement touchées: le Foyer du bonheur (7 cas parmi les résidents), le Centre d'hébergement Champlain (6 cas chez les résidents et 3 employés), mais on n'enregistre que deux nouvelles infections au cours des dernières 24 heures. Cela fait deux sur 22 pour le 18 avril. Et les 20 autres? Mystère... Le Droit rapporte deux nouveaux cas au Foyer du bonheur le 18 mai, et un cas au Domaine des Trembles, mais ils ne semblent pas faire partie du bilan officiel du ministère...

On pourrait croire que les cas positifs ont bondi parce qu'on a intensifié le dépistage en Outaouais, mais il est impossible de le savoir. Selon les plus récentes informations glanées, on ne teste guère plus de 100 personnes par jour en Outaouais. Le CISSS ne publie pas de chiffres sur le dépistage et personne dans les médias ne semble anxieux d'ajouter cette donnée au bilan quotidien. Pourtant, à tous les jours, le premier ministre Legault se fait interroger sur le nombre de tests effectués, qui dépassent certains jours le seuil des 12 000... Combien en Outaouais? Sais pas...

Selon les plus récents bilans, quelque 258 personnes infectées à la COVID-19 sont rétablies dans la région de l'Outaouais. Cela signifie que des 157 cas jugés actifs, 59 se sont ajoutés au cours des quatre derniers jours. Pourquoi? J'aimeras bien savoir mais je suis ex-journaliste et j'ai plus de 70 ans... Je suis confiné...


samedi 16 mai 2020

Et si... Bonne fête des Patriotes !


En cette fin de semaine de la fête des Patriotes, les regards jetés sur les événements de 1837 s'accompagnent souvent d'un «et si...»... Et si les Patriotes avaient gagné... Que serions-nous devenus comme peuple, comme nation? Cette forme d'histoire-fiction, sans doute typique des éternels vaincus, nous la pratiquons depuis trop longtemps...

Et si la France n'avait pas perdu la bataille des Plaines d'Abraham, aurions-nous de vastes territoires francophones en Amérique du Nord?

Et si les Métis de Louis Riel avaient eu la main haute au Manitoba et en Saskatchewan, aurait-on vu s'instaurer un unilinguisme anglais implacable et vengeur dans les Prairies canadiennes?

Et si nous n'avions pas été asservis pendant plus d'un siècle par un haut-clergé obscurantiste et collabo, les braises de la rébellion qui ont toujours sommeillé dans notre substrat collectif ne se seraient-elles pas enflammées à un moment propice?

Et si les vieux partis, nous ayant proposé des slogans comme «Maîtres chez nous», «Égalité ou indépendance» et «souveraineté culturelle», avaient mené leurs réflexions jusqu'à la conclusion logique, la révolution tranquille l'aurait-elle été un peu moins?

Et si nous ne nous étions pas laissés intimider par les stratégies de la peur et le coup médiatisé de la Brinks, à quelques jours des élections de 1970, la crise d'octobre telle que nous l'avons connue serait-elle survenue?

Et si le Parti québécois ne s'était pas embourbé dans le cul-de-sac de l'étapisme avant le scrutin de 1976, le gouvernement Lévesque (s'il avait gagné malgré tout) aurait-il entrepris immédiatement des démarches vers l'indépendance au lieu d'enclencher un référendum suicidaire?

Et si, après la nuit des longs couteaux orchestrée par Jean Chrétien en 1981, suivie du rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne et de la mise en oeuvre d'une Charte clairement dirigée contre le Québec, nous avions refusé une fois pour toutes de participer à ces conférences fédérales-provinciales où nous ne sommes toujours qu'un sur onze?

Et si, après l'échec de Meech en 1990 et le ressac anti-québécois qui l'avait fortifié, nous avions enfin compris que le Canada anglais et ses collaborateurs chez nous ne reculent devant rien, ne respectent aucune règle pour mettre le Québec au pas, aurions-nous naïvement plongé dans une nouvelle aventure référendaire en 1995?

N'en avons-nous pas soupé des «et si?» depuis deux siècles et demie? Le legs de nos grands héros - les Chénier, Papineau, Riel, Lévesque, Bourgault et autres - est parsemé de valeureux et honorables combats finissant dans la défaite.

En dépit de tous les revers et toutes les répressions, le peuple qui leur a servi de terreau est resté fidèle, de génération en génération, à la langue française et aux solidarités ancestrales, en attendant l'appel au combat décisif, celui où les échecs antérieurs se transformeraient en victoire finale.

S'il existe un au-delà à l'image ce qu'on nous a enseigné jadis, les ancêtres québécois doivent regarder avec anxiété cette fin de troisième période où les vétérans apparaissent fatigués et les jeunes semblent disposés à lancer la serviette.

À voir l'effritement de la langue et de la culture française et le vieillissement rapide de la dernière grande génération de combattants, nous jouons présentement le tout pour le tout. L'affrontement actuel, un peu comme celui des Plaines d'Abraham, déterminera peut-être l'issue de cette guerre devenue interminable.

En songeant aux Patriotes de 1837, cette fin de semaine, je continue d'espérer que l'ultime sacrifice de Jean-Olivier Chénier, l'éloquence du tribun Louis-Joseph Papineau et le courage de milliers de leurs concitoyens n'aient pas servi qu'à prolonger une agonie historique... Je continue d'espérer que leurs luttes demeurent une source d'inspiration et sonnent un rappel salutaire.

Alors voilà. Il nous reste peu de temps, nous sommes - de plus en plus - en désavantage numérique et malgré tout, la victoire reste à notre portée. Un dernier effort, pour qu'on se débarrasse à jamais des «et si?»... Bonne Journée nationale des Patriotes.



jeudi 14 mai 2020

«Le masque»... Trop, c'est trop...

La chronique intitulée «Le masque» dans Le Devoir du 13 mai 2020 (bit.ly/3dzCMLo) figurera quelque part au palmarès des textes fallacieux. Ce pamphlet recèle des énormités telles qu'on a peine à imaginer notre quotidien national les publiant sans avoir imposé à l'auteure des bémols. Le Devoir a pourtant démontré par le passé qu'il pouvait utiliser la méthode forte pour «discipliner» ses chroniqueurs. À preuve, Lise Payette, qu'on a mise à la porte sans cérémonie...

Revenons au port du masque en temps de pandémie, débat transformé par Mme Pelletier en diatribe contre la Loi 21 sur la laïcité de l'État québécois. «Le masque, écrit-elle, n'est pas sans soulever d'énormes contradictions vis-à-vis du port de signes religieux que le gouvernement Legault s'est fait un devoir d'interdire.» Pas des petites contradiction, d'énormes contradictions! Difficile à comprendre cette affirmation quand il n'existe aucun lien entre la santé publique et la laïcité de l'État, mais écoutons l'argument.

«On nous demande aujourd'hui, écrit la chroniqueuse, de porter un masque pour des raisons de santé publique, de respect des autres, du légendaire "vivre ensemble, alors qu'on exige de nombreux employés de l'État de ne justement rien porter sur la tête ou le visage pour les mêmes raisons. Comment peut-on concilier ces deux mots d'ordre? Comment le port de signes religieux, pourtant moins laids et souvent moins ostentatoires, enverrait-il un mauvais signal, le refus d'intégration dans la communauté d'accueil, et celui du port du masque, le signal contraire, le souci de cette même communauté?»

Ouf... Par où commencer? D'abord une fausseté évidente: le port du masque durant la pandémie de COVID-19 est exigé uniquement pour des motifs de santé publique. Le «respect des autres» en découle, aussi pour des motifs de santé publique, soit dans le but de freiner la propagation du virus. L'interdiction de signes religieux dans la Loi 21 n'a rien à voir avec la santé publique. Même le jugement récent de la Cour suprême sur l'interdiction du turban sikh au port de Montréal, confirmant une décision de 2016 (avant la Loi 21), était fondé sur l'ordre public et le bien-être général. Alors, prétendre qu'on interdit «pour les mêmes raisons» le masque en temps de pandémie et les signes religieux dans le contexte de la laïcité de l'État constitue un argument fallacieux.

Il n'en faut d'ailleurs pas plus pour que s'effondre le coeur de l'argumentaire de la chronique. Mais il y a plus. La chronique met aussi dans le même sac les signes religieux et les masques, comme s'ils étaient comparables. D'abord certains signes religieux (turban, kippa, croix, kirpan, etc.) ne cachent aucune partie du visage. D'autres (les différents voiles musulmans, à l'exception de la burqa et du niqab qu'on attaque surtout pour des motifs de sécurité publique) frôlent le visage sans plus. Or le masque couvre le nez, la bouche, le menton et les joues, pour des motifs évidents de santé. Ne pas voir qu'on compare ici des pommes et des oranges, cela m'échappe.

Quant au signal de «refus d'intégration dans la communauté d'accueil» qu'enverrait le signe religieux, jouxté au masque qui deviendrait son contraire, on se retrouve à nouveau dans le champ gauche. La Loi 21 n'interdit nullement le port des signes religieux dans la société; seulement pour certaines catégories d'employés du secteur public, et ce, dans le cadre de leur travail. Ailleurs, ces signes, ostentatoires ou pas, sont permis et le fait qu'ils indiquent ou non une volonté d'intégration est sans rapport. Par ailleurs, expliquez-moi, quelqu'un, comment on peut relier le port ou non du couvre-visage durant la crise de la COVID-19 à l'intégration dans une «communauté d'accueil»...

Semblant oublier ses comparaisons entre masques et signes religieux, l'auteure de la chronique se lance par la suite à fond de train contre la laïcité, à la mode de France (interdiction du hijab dans les écoles, et du duo niqab/burqa dans les espaces publics): «Comment une société "libre et démocratique" peut-elle dicter le comportement vestimentaire de simples citoyennes, qui n'ont ici aucune fonction étatique, sans, du même coup, violer les droits les plus fondamentaux? Ceux du libre arbitre, de la conscience et de la religion.» Les droits les plus fondamentaux? Il n'y aurait pas aussi l'égalité de la femme là-dedans, quelque part? L'égalité de tous les humains, n'est-ce pas le socle, la base, la fondation des sociétés démocratiques occidentales?

Partie d'une fausse prémisse, la chronique ne pouvait que finir tout croche. «La contradiction, y lit-on, saute aux yeux. Une pratique perçue comme néfaste au bien commun encore hier ne peut pas soudainement devenir bénéfique sans révéler une certaine discrimination sous-jacente.» Quelle pratique? Porter un masque ou un couvre-visage? La Loi 21, au sujet des services à visage découvert, stipule que l'interdiction de se couvrir le visage «ne s'applique pas à une personne dont le visage est couvert en raison d'un motif de santé»... Les pratiques perçues comme néfastes hier le demeurent, sauf quand la santé publique est en cause... Il n'y a pas de contradiction.

La conclusion confirme l'égarement: «Une poignée de femmes voilées dans les écoles représenterait une menace, mais une cohue de travailleurs masqués dans le métro tard le soir, pas de problème? Quand la pratique est celle d'une minorité religieuse, ça nous inquiète, mais quand il s'agit d'un comportement majoritaire, tout va bien?» Encore ici, par où commencer? D'abord on tend à réduire le dossier de la laïcité, de façon simpliste, à la répression d'une «poignée de femmes voilées» alors que d'autres signes religieux (kippa, turban) touchent des hommes, accréditant la thèse répandue au Canada anglais que la loi québécoise sur la laïcité de l'État vise essentiellement les femmes musulmanes voilées.

Et que dire de l'usage tendancieux du terme «menace»... Quant à la «cohue de travailleurs (au masculin) masqués dans le métro», oubliant de nouveau qu'il s'agit d'une situation de pandémie, on passe sous silence que telle «cohue» non masquée aurait constitué une bien plus grande «menace» pour la propagation d'un coronavirus mortel... Par ailleurs, si la «pratique d'une minorité religieuse» inquiète, telle pratique devient encore plus inquiétante - et non acceptable - quand elle est observée par la majorité. Tout ne va pas bien. Mais le comportement majoritaire auquel la chronique renvoie, c'est le port du masque en temps de pandémie, qui n'a rien à voir avec la pratique - inquiétante ou pas - d'une minorité religieuse. L'argument du texte s'auto-détruit...

C'est à se demander si Le Devoir porte sur certaines de ses chroniques un jugement qui dépasse l'orthographe et le style... Le fond de l'argumentaire, ici, est corrompu. On compare des non-comparables. On met dans le même panier religion, laïcité et pandémie. Avoir été chef de la rédaction au Devoir, je n'aurais pas - dans la mesure où le quotidien fait siens les propos de ses principaux chroniqueurs - autorisé la publication de ce texte sans modifications substantielles.



dimanche 10 mai 2020

«En direct de l'univers»... le nid de guêpes...


Si, samedi soir, la chaîne CBC avait diffusé pour la fête des mères un équivalent d'En direct de l'univers, nous n'aurions probablement entendu que des chansons anglaises. Et tout le monde aurait trouvé ça bien normal. À celui ou à celle qui se serait interrogé sur l'absence (relative ou totale) de chansons françaises, on aurait répondu. Ben quoi, c'est le réseau anglais... En effet...

Or, quand j'ai remarqué sur Twitter et Facebook, samedi soir, que six des sept premières chansons de l'émission étaient anglaises (et que j'en avait assez), j'ai eu l'impression d'avoir pilé sur un nid de guêpes. Dans le méli-mélo doux-amer de réactions favorables et d'injures qui ont suivi en soirée et le lendemain, j'ai vite compris que pour plusieurs, il apparaissait impensable de considérer comme étant «normal» pour Radio-Canada, notre chaîne francophone, de présenter seulement des chansons françaises à son excellente émission En direct de l'univers.

Le débat sur mon gazouillis a été particulièrement venimeux sur Twitter. On m'a traité de «grincheux», de «vieux chialeux», d'«idiot», de «stif» (pas sûr du sens), d'«aigri», de «vieux d'esprit»... D'autres m'ont dit de ne pas «pisser dans la soupe», que j'avais fait «preuve de mépris», que j'avais «scrapé» un beau moment de télé, qu'il y en a «toujours un pour critiquer le party», et que j'étais «de mauvaise foi».  «Mon dieu que vous devez être malheureux dans la vie», m'a lancé un certain Marc. «T'a qu'à retourner te coucher», a conclu un autre abonné Twitter...

Ces opinions n'étaient pas certes majoritaires. Mon gazouillis a attiré pas mal plus de réactions d'appui que de condamnations, mais le ton orageux qu'a pris ce débat virtuel me laisse croire qu'il a touché une corde sensible et que le temps est venu de l'aborder de front. Une réplique fréquente à ma critique du nombre excessif de chansons anglaises à En direct de l'univers insistait sur le fait qu'il s'agissait de choix émanant du public. Soit.

Une fois qu'on laisse à l'auditoire le droit de sélectionner des chansons, on doit vivre avec le résultat. Mais n'y a-t-il pas, quelque part, dans la mission de Radio-Canada, le devoir de promouvoir la langue française, une langue française de qualité, dans notre petit réduit nord-américain où la dominance de l'anglais gruge à tous les ans une partie de nos effectifs? Radio-Canada doit-il devenir le miroir de notre anglicisation? Existe-t-il une règle qui empêche notre société d'État d'inviter le public à sélectionner des chansons françaises pour une émission en français sur la chaîne francophone? Ce qui serait «normal» pour les anglophones ne le serait pas pour nous?

Passe encore si le réservoir de chansons en français d'ici et d'ailleurs était pauvre ou à sec, mais nos artistes, nos auteurs, compositeurs et interprètes ont créé un riche répertoire musical qui rayonne à travers la francophonie, voire autour du monde. Les chansons anglaises, on peut les entendre partout à la radio (même francophone), à la télé, sur le Web... Est-ce trop demander qu'il puisse rester quelques espaces à notre image? Diffuser nos créations musicales ne constitue pas un rejet de celles des autres. Et Radio-Canada, ainsi que les diffuseurs privés, ont ici un rôle primordial. Peut-être est-il temps qu'on parle de ces choses, avant que d'ici quelques générations, En direct de l'univers ne devienne Live from the universe...

Je laisse le mot de la fin à l'un de mes critiques d'hier soir, un prophète de malheur. «Nous vivons dans une nation (Québec) bilingue et multilingues (sic) alors mon cher Monsieur arrivez en 2020». J'espère qu'il ne soit pas trop tard...



mardi 5 mai 2020

Des brèches qu'on ne pourra colmater...

caricature opportune de Serge Chapleau, La Presse

Pendant que des centaines de nos vieux souffrent, agonisent et meurent dans des conditions inhumaines en CHSLD (centres d'hébergement et de soins de longue durée, privés et publics), nos télés continuent de mettre en ondes à 13 heures, du lundi au vendredi, de nouveaux épisodes tragiques de «la maison qui rend fou»*, où un gouvernement bien intentionné cherche désespérément à naviguer un labyrinthe miné avec le moins possible de pertes...

Confronté à la pandémie de COVID-19, un virus qui nous réserve encore de désagréables surprises, le gouvernement Legault doit envoyer au combat les monstres bureaucratiques créés par le régime Couillard-Barrette -- les CISSS (centres intégrés de santé et de services sociaux) et les CIUSSS (centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux). Ces appareils lourds, complexes, imperméables, plus souvent qu'autrement embourbés, rendent presque impossible toute communication efficace entre l'état-major de François Legault et les troupes aussi vaillantes qu'épuisées sur les lignes de front.

Tous les jours, on se gratte la tête. Les ministres promettent l'accès aux proches aidants? Les médias regorgent de témoignages de proches aidants à qui on refuse l'accès dans les CHSLD et résidences pour aînés. Pourquoi? Sait pas. Le premier ministre lance des appels à l'aide? Des dizaines de milliers de volontaires se manifestent mais ont toutes les misères du monde à se rendre dans les résidences qui en ont désespérément besoin. Pourquoi? Sait pas. Dans la résidence Herron à Dorval, l'enfer sur terre, 46 résidents sont morts depuis le 27 mars, dont 12 de la COVID. Et les 34 autres? Un mois plus tard, on reste sans réponse. Pourquoi? Sait pas...

Au-delà des dédales embrumés des CISSS-CIUSSS et de l'agilité meurtrière d'un coronavirus qui a mobilisé toutes les ressources scientifiques de la planète, la pénurie de personnel demeure le maillon le plus faible de la chaine humaine de résistance. Le premier ministre Legault annonçait cette semaine que plus de 11 000 employés du réseau de la santé manquaient à l'appel pour toutes sortes de motifs, la plupart honorables. L'afflux de remplaçants ne réussit pas à colmater les brèches géantes dans un réseau qui peinait déjà à combler les postes disponibles, même avant le déraillement pandémique.

On a beau offrir des primes, hausser les salaires des préposés aux bénéficiaires, faire appel à la solidarité du public, au courage devant l'ampleur des besoins, rien n'y fait. Avec des effectifs complets, sans pandémie, la gestion des résidences pour vieux ne tenait qu'à un fil. Le défi d'y recruter suffisamment d'employés était déjà digne d'un des douze travaux d'Hercule/Astérix avant l'année maudite de 2020. Maintenant? N'y pensez même plus...

On a enfin entendu, ces derniers jours, un journaliste demander au premier ministre s'il ne fallait pas retourner les vieux guéris de la COVID dans leurs familles respectives, plutôt que d'essayer de les placer dans des hôpitaux ou des résidences qui n'ont pas assez de monde pour s'en occuper. C'est effectivement l'une des seules solutions possibles mais il apparaît évident que personne n'osera prendre ce taureau par les cornes. Parce que ça remet TOUT en question!

Il faudrait admettre, enfin, que comme société, nous avons commis l'irréparable en parquant nos vieux ainsi que leur expérience, leurs connaissances, leur sagesse, leur amour et bien plus, dans des résidences privées et publiques devenues mouroirs à la première grande crise. Pire, on en a privé plusieurs des soins les plus élémentaires, sans même la compagnie d'un proche pendant leur agonie. L'indignation est générale devant de telles conditions au moment de décéder, mais ne sont-elles pas la conséquence logique d'un confinement général des vieux loin de leurs familles, de leurs communautés et surtout, de la vie de la nation qui aurait bien besoin d'eux?

Cela nous obligerait aussi à voir notre société vieillissante pour ce qu'elle est devenue. Des cohortes de vieux en nombres croissants ont désormais besoin de soins et de services accrus mais comme nous avons négligé de faire des enfants en quantités suffisantes, il n'y a plus (même avec l'immigration) assez de jeunes et d'adultes pour occuper tous les postes requis par le gonflement de nos «usines de vieux». Le coeur du problème est là, insoluble à court terme: trop de vieux en perte d'autonomie et pas assez de jeunes pour s'en occuper. Aucune prime, aucun salaire - même à 50$ ou 100$ l'heure - ne pourra nous sauver du précipice vers lequel nous pousse la COVID-19.

Si nous ne réussissons pas à faire habiter une bien plus forte proportion de nos aînés autonomes avec leurs proches, ou tout au moins dans leur logement individuel, et si nous ne nous donnons pas comme objectif d'avoir un taux de natalité permettant au moins de remplacer toutes les personnes qui décèdent, nous sommes foutus comme peuple. Des scènes d'horreur comme celles que nous vivons ces jours-ci, nous en reverrons bien d'autres au cours des décennies à venir. Et au siècle prochain, ce qui restera de notre belle aventure en terre nord-américaine ne sera plus beau à voir.

St-Jude, priez pour nous!

--------------------------

* Les douze travaux d'Astérix, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Douze_Travaux_d%27Ast%C3%A9rix