mardi 5 mai 2020

Des brèches qu'on ne pourra colmater...

caricature opportune de Serge Chapleau, La Presse

Pendant que des centaines de nos vieux souffrent, agonisent et meurent dans des conditions inhumaines en CHSLD (centres d'hébergement et de soins de longue durée, privés et publics), nos télés continuent de mettre en ondes à 13 heures, du lundi au vendredi, de nouveaux épisodes tragiques de «la maison qui rend fou»*, où un gouvernement bien intentionné cherche désespérément à naviguer un labyrinthe miné avec le moins possible de pertes...

Confronté à la pandémie de COVID-19, un virus qui nous réserve encore de désagréables surprises, le gouvernement Legault doit envoyer au combat les monstres bureaucratiques créés par le régime Couillard-Barrette -- les CISSS (centres intégrés de santé et de services sociaux) et les CIUSSS (centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux). Ces appareils lourds, complexes, imperméables, plus souvent qu'autrement embourbés, rendent presque impossible toute communication efficace entre l'état-major de François Legault et les troupes aussi vaillantes qu'épuisées sur les lignes de front.

Tous les jours, on se gratte la tête. Les ministres promettent l'accès aux proches aidants? Les médias regorgent de témoignages de proches aidants à qui on refuse l'accès dans les CHSLD et résidences pour aînés. Pourquoi? Sait pas. Le premier ministre lance des appels à l'aide? Des dizaines de milliers de volontaires se manifestent mais ont toutes les misères du monde à se rendre dans les résidences qui en ont désespérément besoin. Pourquoi? Sait pas. Dans la résidence Herron à Dorval, l'enfer sur terre, 46 résidents sont morts depuis le 27 mars, dont 12 de la COVID. Et les 34 autres? Un mois plus tard, on reste sans réponse. Pourquoi? Sait pas...

Au-delà des dédales embrumés des CISSS-CIUSSS et de l'agilité meurtrière d'un coronavirus qui a mobilisé toutes les ressources scientifiques de la planète, la pénurie de personnel demeure le maillon le plus faible de la chaine humaine de résistance. Le premier ministre Legault annonçait cette semaine que plus de 11 000 employés du réseau de la santé manquaient à l'appel pour toutes sortes de motifs, la plupart honorables. L'afflux de remplaçants ne réussit pas à colmater les brèches géantes dans un réseau qui peinait déjà à combler les postes disponibles, même avant le déraillement pandémique.

On a beau offrir des primes, hausser les salaires des préposés aux bénéficiaires, faire appel à la solidarité du public, au courage devant l'ampleur des besoins, rien n'y fait. Avec des effectifs complets, sans pandémie, la gestion des résidences pour vieux ne tenait qu'à un fil. Le défi d'y recruter suffisamment d'employés était déjà digne d'un des douze travaux d'Hercule/Astérix avant l'année maudite de 2020. Maintenant? N'y pensez même plus...

On a enfin entendu, ces derniers jours, un journaliste demander au premier ministre s'il ne fallait pas retourner les vieux guéris de la COVID dans leurs familles respectives, plutôt que d'essayer de les placer dans des hôpitaux ou des résidences qui n'ont pas assez de monde pour s'en occuper. C'est effectivement l'une des seules solutions possibles mais il apparaît évident que personne n'osera prendre ce taureau par les cornes. Parce que ça remet TOUT en question!

Il faudrait admettre, enfin, que comme société, nous avons commis l'irréparable en parquant nos vieux ainsi que leur expérience, leurs connaissances, leur sagesse, leur amour et bien plus, dans des résidences privées et publiques devenues mouroirs à la première grande crise. Pire, on en a privé plusieurs des soins les plus élémentaires, sans même la compagnie d'un proche pendant leur agonie. L'indignation est générale devant de telles conditions au moment de décéder, mais ne sont-elles pas la conséquence logique d'un confinement général des vieux loin de leurs familles, de leurs communautés et surtout, de la vie de la nation qui aurait bien besoin d'eux?

Cela nous obligerait aussi à voir notre société vieillissante pour ce qu'elle est devenue. Des cohortes de vieux en nombres croissants ont désormais besoin de soins et de services accrus mais comme nous avons négligé de faire des enfants en quantités suffisantes, il n'y a plus (même avec l'immigration) assez de jeunes et d'adultes pour occuper tous les postes requis par le gonflement de nos «usines de vieux». Le coeur du problème est là, insoluble à court terme: trop de vieux en perte d'autonomie et pas assez de jeunes pour s'en occuper. Aucune prime, aucun salaire - même à 50$ ou 100$ l'heure - ne pourra nous sauver du précipice vers lequel nous pousse la COVID-19.

Si nous ne réussissons pas à faire habiter une bien plus forte proportion de nos aînés autonomes avec leurs proches, ou tout au moins dans leur logement individuel, et si nous ne nous donnons pas comme objectif d'avoir un taux de natalité permettant au moins de remplacer toutes les personnes qui décèdent, nous sommes foutus comme peuple. Des scènes d'horreur comme celles que nous vivons ces jours-ci, nous en reverrons bien d'autres au cours des décennies à venir. Et au siècle prochain, ce qui restera de notre belle aventure en terre nord-américaine ne sera plus beau à voir.

St-Jude, priez pour nous!

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* Les douze travaux d'Astérix, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Douze_Travaux_d%27Ast%C3%A9rix






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