jeudi 30 avril 2020

Le 29 avril 1970... J'y étais...

Le 50e anniversaire de l'élection québécoise du 29 avril 1970 est passé à peu près inaperçu, pandémie oblige. C'était pourtant un moment charnière de l'histoire du Québec : l'élection du premier gouvernement de Robert Bourassa, l'arrivée du Parti québécois de René Lévesque sur la scène électorale et la déconfiture de l'Union nationale après la mort de Daniel Johnson. Pour la première fois, l'indépendance du Québec devenait le principal enjeu d'un scrutin... Et j'y étais...

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En octobre 1969, j’avais à peine quatre mois d’expérience comme reporter au quotidien Le Droit. Mes études en science politique, avec spécialisation en fédéralisme canadien, avaient cependant capté l’attention du chef de l’équipe de couverture parlementaire du Droit, Marcel Desjardins (qui allait poursuivre par la suite une carrière fructueuse à Montréal-Matin, Radio-Canada, puis à La Presse jusqu’à son décès en 2003). Aussi, par un matin automnal, quand Marcel m’a invité à devenir courriériste parlementaire, j'ai saisi l'occasion qui m'était offerte. 

Le Droit, à cette époque, appartenait aux Oblats de Marie Immaculée. Un journal indépendant, et rentable. Doté d'une salle des nouvelles bien garnie, le quotidien de la capitale fédérale attachait une grande importance à la couverture parlementaire et avait en poste, au Parlement, une équipe de quatre journalistes à temps plein. On ne verrait pas cela aujourd'hui. La rédaction était chapeautée par un directeur de l'information, Christian Verdon, ancien de Montréal-Matin (journal associé à l'Union nationale) dont l'expérience journalistique remontait aux années 1940 et qui connaissait comme le fond de sa main toutes les anecdotes savoureuses de l'époque de Maurice Duplessis...

Quoiqu'on puisse penser des orientations politique de M. Verdon, il avait le sens de l'histoire et dans un contexte d'affrontement croissant entre indépendantistes et fédéralistes au Québec, avait bien compris toute la portée du scrutin québécois de 1970. «L'élection du 29 avril, écrivait-il, est la plus importante de toute l'histoire du Québec.» Dans son plan de couverture, axé bien sûr sur la région de l'Outaouais, il avait cependant inséré une incursion de trois semaines pour deux journalistes du Droit dans les régions de Montréal et de Québec. Une opération coûteuse à l'époque, à vrai dire presque impensable en 2020...

Le directeur de l’information m’avait convoqué à la fin de mars pour me demander d'aller couvrir la campagne électorale québécoise dans la région de Montréal. Je serais détaché de l'équipe parlementaire pour près d'un mois. Mon collègue Philippe Gagnon, chef du bureau de Hull du Droit, prendrait la route de Québec. L'offre était généreuse, sur le plan professionnel et monétaire: on nous faisait confiance pour le choix des sujets, et on nous payait temps double et demi pour la durée de l'affectation, en plus des frais de déplacement et de logement!

Je n’ai pas de voiture, avais-je répondu à M. Verdon. On va t’en louer une, répond-il. Négligeant de l’informer que je ne savais pas conduire et que je n'avais pas de permis, j’ai accepté tout de même. C’était après tout une occasion unique. Autres temps, autres moeurs, en quelques jours, après deux cours avec instructeur, j’ai réussi à obtenir de l'Ontario (j'étais Ottavien) un permis de conduire et je suis parti, le 9 avril 1970, au volant d'une petite Chevrolet pour le boulevard Métropolitain et cette grande ville que j'avais visitée deux ou trois fois seulement dans ma vie (j'avais 23 ans).

Pour près de trois semaines, mon quartier-général serait un motel du boulevard Lajeunesse dans le nord de Montréal, et mon trajet le plus fréquent serait celui qui me ramenais en fin de nuit au terminus Voyageur sur Berri, pour y remettre les textes qui seraient transportés par autobus tôt le matin au Droit, à temps pour les deux éditions, celle de l'avant-midi et celle de l'après-midi. L'heure de tombée pour l'édition matinale était alors 9 heures. Le reste du temps, je sillonnerais la grande région métropolitaine et serais témoin de toute la ferveur de ce premier affrontement entre le Parti libéral du Québec et le Parti québécois.

J'ai visité au moins une quinzaine de circonscriptions et préparé des textes sur celles d'entre elles qui m'apparaissaient les plus intéressantes, y compris Mercier où Robert Bourassa était engagé dans une lutte qui aurait pu être serrée avec Pierre Bourgault, ancien chef du Rassemblement pour l'indépendance nationale devenu candidat du PQ. Entre les affiches, les sondages, les assemblées et les conférences de presse, sans oublier les interviews dans la rue, la fébrilité de Montréal laissait apparaître au grand jour la montée fulgurante du PQ et l'effondrement de l'Union nationale. N'eut été du coup de la Brinks, le PQ aurait pu élire une dizaine ou une douzaine de députés.

Dans un premier article bilan (publié à la une du Droit) que j'expédiais du motel du boulevard Lajeunesse, le 25 avril (la veille du coup de la Brinks), j'écrivais : «L'époque des "bleus" et des "rouges", c'est bien fini sur l'île de Montréal. Les francophones délaisseront, dans une proportion de 40%, les "vieux partis" pour se lancer dans l'aventure politique que leur offre le Parti québécois. Il est même plausible de parler de "vague péquiste" dans au moins une dizaine de comtés du centre-est montréalais. La métropole québécoise est en train de vivre une véritable révolution politique dont l'Union nationale sera probablement la principale victime.»

Quelques jours plus tard, je reviendrais à la couverture du Parlement fédéral, conscient de la valeur de l'expérience unique que je venais de vivre, et mieux outillé pour couvrir la crise majeure qui éclaterait en octobre 1970, dont l'élection du 29 avril avait été l'un des tremplins...




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