lundi 13 avril 2020

Des aînés au front? Pourquoi pas?

Caricature de Côté dans Le Soleil


On récolte ce que l'on sème... Un truisme s'il en fut, mais qui mérite qu'on s'en souvienne au moment où nos vies individuelles et collectives basculent sous les assauts d'un minuscule virus...

N'allez pas croire que je suis de ceux qui voient dans cette pandémie un châtiment divin pour les péchés de l'humanité (quoique nous le mériterions) ou même une vengeance de la planète contre les excès de la race humaine (quoiqu'elle serait justifiée de mordre les mains qui la ravagent...).

Non, ce que nous récoltons tient beaucoup à un changement de civilisation, particulièrement en Occident, qui transforme nos modes de vie depuis plus d'un siècle... du moins ici au Québec. Nous faisons moins d'enfants, beaucoup moins d'enfants, trop peu même, avec l'inévitable conséquence que la société vieillit. Elle vieillit vite. Et ce trop-plein de «vieux», qui habitaient jadis avec leurs enfants et petits-enfants, a graduellement été ostracisé - on dirait aujourd'hui confiné - à des «résidences» de tous genres, que j'appelle depuis longtemps des «usines de vieux»...

N'allez pas croire que je mésestime la valeur d'offrir à nos aînés des milieux où ils peuvent socialiser et obtenir les services et soins adaptés à leur situation. Il en faut. L'existence de telles ressources aurait répondu à des besoins réels même à l'époque de nos grands-parents et arrière-grands-parents... Le problème c'est que de nos jours, après l'éclatement de la famille traditionnelle et avec l'arrivée de la grosse génération des baby boomers dans la soixante-dizaine, l'avalanche du vieillissement frappe de plein fouet.

La perte d'autonomie que charrie cette immense vague humaine surtaxe les réseaux de santé et de services sociaux, les hôpitaux, les CLSC, les CHSLD sans oublier les milliers de foyers pour aînés... Les services que requièrent ces millions de vieux (dont je suis) rendent nécessaire la présence d'une main-d'oeuvre de plus en plus abondante, et ce, au moment où les ressources des générations montantes commencent à se faire rares - et deviennent de plus en plus exigeantes - sur les marchés de l'emploi. Un nombre croissant de travailleurs et travailleuses atteignent l'âge de la retraite, et nous avons laissé derrière une relève insuffisante... même avec l'immigration.

Cette problématique d'une société vieillissante, où un nombre réduit de jeunes est appelé à prendre en charge de plus en plus de tâches, est connue depuis des dizaines d'années, mais faute d'une crise majeure, les fissures étaient plus ou moins colmatées en redéployant les ressources. Or personne ne s'est attaqué de front à ce tsunami prévisible, un peu comme les sociétés ont fait pendant trop longtemps la sourde oreille aux avertissements de pandémie que lançaient des scientifiques autour du monde.

Et voilà que nous tombe dessus un petit coronavirus, baptisé COVID-19, pas trop dangereux pour les plus jeunes mais potentiellement mortel pour les plus de 65 ans, et tout déraille. Le plan de bataille est dressé pour un combat frontal dans les hôpitaux mais on a oublié le plus important. Depuis des décennies, nous parquons nos vieux dans des centres de soins et des résidences qui deviennent ainsi des salles de banquet pour coronavirus affamés. Et comme on manque de relève dans les générations plus jeunes pour renforcer les barricades et soigner les personnes infectées, le risque de contagion se multiplie, tant pour résidents et patients que pour le personnel.

Des situations dramatiques, vécues dans les établissements publics, deviennent insoutenables dans des centres privés de soins de longue durée à but lucratif qui paient leurs employés autour du salaire minimum... La COVID-19 peut s'y répandre comme une traînée de poudre, infectant le personnel autant que les résidents/patients... Pourquoi risquer sa santé, voire sa vie, pour un salaire de crève-faim pendant que les propriétaires, bien en sécurité, engrangent les profits? Les scènes d'horreurs décrites ces jours derniers à Montréal, et ailleurs, ne sont que la pointe d'un iceberg qui menace notre société entière...

Les vieux sont les principales victimes de cette pandémie, du moins ici. Ceux qui sont entassés dans des CHLSD et des résidences constituent une cible de choix pour cette nouvelle menace virale. Quant aux autres, du moins ceux et celles de 70 ans et plus qui ont leur propre logement, on les confine à domicile pour on ne sait trop combien de temps, qu'ils soient ou non en bonne santé. On isole ainsi ceux et celles des plus vieux qui ne l'étaient pas jusque là. On les exclut à peu près complètement de la société active, conséquence logique d'une tendance qui s'affirme depuis un siècle. Ainsi, pour l'avenir prévisible, les jeunes et les adultes pourront évoluer sans être encombrés par des cheveux blancs...

Si le gouvernement Legault est sérieux dans son objectif de mieux traiter les personnes plus âgées, il doit immédiatement regarder plus loin que les négligences de tel ou tel propriétaire de CHSLD, ou d'un redéploiement de ressources... Il est temps de penser à la place que les plus âgés doivent occuper comme membres actifs de la société, avec leur expérience, leur compétence, leur mémoire, leur sagesse, et non comme des troupeaux qu'on isole dans des usines de vieux... Cela peut vouloir dire qu'on mette aussi des aînés - du moins ceux et celles qui sont en bonne santé - sur les lignes de front, avec les risques que cela comporte...

Le contact inter-générationnel dans la lutte contre la pandémie ne peut qu'être bénéfique pour les générations plus jeunes qui n'ont pas côtoyé ces vieux et qu'on a coupées de la mémoire collective de la nation... Si on me donnait le choix, j'aimerais mieux contracter ce coronavirus en le combattant avec mes enfants et petits-enfants que cloué dans un foyer pour personnes âgées ou confiné à domicile en attendant de voir si je serai infecté ou épargné...

Voilà. C'est ce que je pense. Aujourd'hui, du moins...


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