mercredi 15 avril 2020

CHSLD Herron... Questions sans réponse...

Photo Le Devoir

À 73 ans, je suis à la retraite (et confiné...) mais je reste journaliste dans l'âme. On ne range pas en un clin d'oeil les réflexes acquis après 40 années d'expérience professionnelle, tant sur la ligne de front qu'à la direction d'une salle de rédaction. Voilà pourquoi ces jours-ci, la couverture médiatique des horreurs vécues au CHSLD Herron de Dorval me perturbe au plus haut point...

Avoir été chef des nouvelles d'un quotidien, d'une télé ou d'une radio dans la région montréalaise, j'aurais renvoyé certains scribes à leurs devoirs pour obtenir des réponses à certaines questions qui m'apparaissent essentielles pour la compréhension du public. D'excellents textes ont été publiés à partir d'interviews, de témoignages, de déclarations, de courriels, de documents judiciaires, mais je peux penser à au moins trois éléments fondamentaux de cette affaire qui n'ont pas été fouillés, en tout cas pas suffisamment:

1. On nous a dit que 31 personnes étaient mortes au CHSLD Herron depuis le 13 mars. Même le premier ministre Legault en a fait grand cas. Mais est-ce vraiment le cas? Qu'en sait-on?

Les propriétaires affirment qu'il n'y avait qu'un décès en date du 29 mars, lorsque le CIUSSS de l'Ouest-de-l'Île a volé au secours des résidents en détresse. Or Radio-Canada affirmait avant-hier (13 avril) que 31 personnes y étaient décédées entre le 13 et le 29 mars selon les dossiers consultés par le CIUSSS. La contradiction est totale.

Et on ne sait rien de ces 31 individus. Apparemment au moins cinq d'entre eux seraient décédés d'une infection à la COVID-19 mais qu'en est-il des autres? Qui sont-ils? Aucun nom, aucun détail sur l'âge ou le sexe des patients n'ont été divulgués. Le chiffre 31 est brandi de tous bords tous côtés depuis la semaine dernière mais personne ne semble en avoir vérifié l'exactitude.

N'y a-t-il pas là une piste d'enquête immédiate?


2. La ministre de la Santé Danielle McCann a annoncé la mise en tutelle du CHSLD Herron le 10 avril. Selon les propriétaires de l'établissement, le CIUSSS avait pris la charge les opérations le 29 mars. Que s'est-il vraiment passé entre le 29 mars et le 10 avril?

Dans les textes du samedi 11 avril, la mise en tutelle semble fraîchement édictée, et reliée à un manque de collaboration systématique de la direction de la résidence Herron. Il appert, selon François Legault, que l'accès aux dossiers n'avait été obtenu par le CIUSSS que la veille. C'est à ce moment qu'on aurait appris les 31 décès...

La propriétaire Katherine Chowieri affirme pour sa part que le personnel du CIUSSS, intervenant à sa demande, avait dès son arrivée pris en main la direction des soins, reléguant les propriétaires et la direction aux bureaux administratifs. Cela ressemble à une tutelle. Le Journal de Montréal, dans un article du 14 avril, situe lui aussi la mise en tutelle au 29 mars.

Si le CIUSSS exerçait sa tutelle depuis le 29 mars* et qu'il n'y avait eu qu'un décès entre le 13 et le 29, comment se fait-il que le gouvernement ait appris l'existence de l'hécatombe le 10 avril? Entre le 29 mars et le 10 avril, qui dirigeait quoi? Qui savait quoi? Mystère et boule de gomme...


3. Le CHSLD Herron a été le plus médiatisé de tous les centres de soins de longue durée depuis le début de la pandémie de la COVID-19. Or, l'établissement ne fait même pas partie des 41 résidences jugées «critiques» ou «préoccupantes». Cela apparaît insensé. Et personne ne semble avoir interrogé le gouvernement là-dessus.

Il y a quelques jours, le premier ministre François Legault refusait d'identifier les CHSLD privés les plus en détresse avec la pandémie de COVID-19. Seuls cinq ou six se trouvaient dans une situation jugée critique. Après un calcul rapide de quiconque suivait les nouvelles, les cinq ou six auraient été rapidement identifiés: Herron, Sainte-Dorothée, Laflèche, Yvon-Brunet, La Salle, l'Institut de gériatrie, peut-être quelques autres...

Puis, surprise, le gouvernement publie le 14 avril une liste complète des résidences et CHSLD qui enregistrent au moins un cas d'infection à la COVID-19, avec des codes couleur: rouge pour «critique», orange pour «préoccupant», et jaune pour «à surveiller»... Et où se trouve le CHSLD Herron? Pas dans les rouges, ni même dans les oranges... Il est classé près de la queue, dans les jaunes pâles, avec à peine huit cas d'infection à la COVID-19...**

Personne ne semble l'avoir noté dans les textes médiatiques et aucune question n'a été posée à ce sujet au premier ministre ou à la ministre de la Santé, qui évoquaient pourtant la situation à Herron depuis trois ou quatre jours... Comme journaliste, c'est la toute première question que j'aurais posée au premier ministre!


Peut-être ai-je insuffisamment fouillé les textes médiatiques sur cette affaire, mais j'ai la conviction que ces trois éléments font partie des enjeux incontournables que les journalistes auraient dû scruter à la loupe pour bien renseigner le public. À 73 ans je suis confiné. Mais certains jours, j'aimerais reprendre ma carte de presse et monter au front, pour défendre le droit du public à une information complète.

«Ô rage! Ô désespoir! Ô vieillesse ennemie!» (Pierre Corneille)


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* Mise à jour du 16 avril... Dans le texte du Devoir de ce matin, une des personnes interviewées par le quotidien déclare elle aussi que tous les décès sont survenus à partir du 29 mars, alors que le CIUSSS était maître des lieux... Voir bit.ly/3a7vbl6

** Mise à jour du 16 avril... Dans un nouveau classement publié aujourd'hui, le CHSLD Herron est passé du code jaune au code rouge, désormais en tête du palmarès des établissements les plus critiques. Ce changement a été fait sans explication...

1 commentaire:

  1. Des bons journalistes, on en aura toujours besoin. Contactez Aaron Derfel de la Gazette, c'est lui semble-t-il, qui a été le premier à parler de Herron.

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