vendredi 10 avril 2020

Un moment charnière dans l'histoire de l'humanité?


Place Saint-Pierre, Vatican, Pâques 2012

Il y a huit ans, le 8 avril 2012, je mettais pour la première fois de ma vie les pieds à Rome, en Italie. C'était le matin de Pâques, et rien ne m'aurait empêché d'atteindre la Place Saint-Pierre pour assister à la bénédiction pascale du pape Benoît XVI (ce devait être sa dernière). En partie pour l'indulgence plénière qui en résulte (on s'inquiète toujours un peu d'avoir un laissez-passer pour l'au-delà...) mais surtout pour me retrouver avec des centaines de milliers de personnes, dans un lieu à la fois historique et mythique, à l'apogée du calendrier chrétien.

L'humain a toujours été un animal social. J'ai beau estimer les vertus d'une solitude occasionnelle, les moments les plus précieux de la vie - joies, peines, aventures, combats - sont presque toujours partagés avec d'autres. Les rassemblements à Noël, à Pâques, à l'occasion d'anniversaires, de mariages, de funérailles. La synergie d'une foule survoltée à un spectacle. Le coude à coude d'une manifestation pour une bonne cause. La magie de côtoyer des milliers de parfaits inconnus des cultures les plus diverses dans un pays que l'on découvre pour la première fois.

Du noyau familial à la nation tout entière, nous gravitons depuis la naissance autour de collectifs de proches, d'amis ou de connaissances. À la maison, à l'école, au travail, partout. Notre savoir, nos valeurs, notre identité, nos appartenances sont tous issus de rapports avec d'autres humains. Le confinement va contre nature. En prison, l'isolement compte parmi les châtiments les plus éprouvants. C'était toujours un traitement d'exception, réservé le plus souvent à de vils individus ou aux malades très contagieux. Or, voilà que pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, plus de la moitié de la planète vit sous des régimes variables de confinement à domicile...

Au-delà de la souffrance et de la mort des personnes infectées par la COVID-19 autour du monde, ce quasi emprisonnement à domicile, doublé d'une «distanciation sociale» de deux mètres pendant les rares sorties des moins de 70 ans, laissera sans doute les cicatrices les plus profondes après la fin de la pandémie actuelle. Récemment, je suis allé à une messe de funérailles où tous se donnaient la main, s'échangeaient des câlins, se faisaient la bise et s'entassaient comme des sardines dans une église de campagne. Si un tel comportement me semblait déjà risqué au début de mars, il apparaît tout à fait impensable un mois plus tard...

L'autre soir, nous étions trois couples de voisins à jaser dans la rue. Un grand, grand carré où chacun, chacune respectait son «deux mètres» de distanciation... Depuis que je demeure dans cette maison que nous avons fait construire en 1988, c'est, je crois, la première fois que cela se produit... Quoiqu'il en soit, alors que nous mijotions les effets de la pandémie, l'un d'eux a annoncé qu'«après», il organiserait sur son gazon un grand barbecue de hamburgers et hot dogs pour les résidents de notre rue de Gatineau. Une autre première en perspective, sans toutefois savoir quand les mesures de confinement seront suffisamment relâchées...

Ce qui me chicotait le plus, cependant, c'était peut-être l'appréhension que l'«après» ne serait plus vraiment jamais comme l'«avant»... Reviendra-t-on un jour à l'entassement de centaines de milliers de fidèles et touristes sur la Place Saint-Pierre le matin de Pâques? Cette année, il n'y aura personne. Quelle mine pascale affichera-t-elle l'an prochain? Serons-nous, un jour, de nouveau confortables à distribuer des câlins aux amis et proches? À se serrer les coudes aux spectacles de la St-Jean? À ressentir le souffle des voisins dans la noirceur d'une salle de cinéma? À tripoter mains nues les mille et un produits qui remplissent nos paniers d'épicerie? À prendre un autobus bondé aux heures de pointe?

Le simple fait de ne plus en avoir la certitude constitue-t-il un moment charnière dans l'histoire de l'humanité? La question est posée...


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