Il y a 50 ans... juillet 1970... Un «calme» relatif avant la tempête d'octobre...
Durant tout le mois d'avril, j'avais couvert la campagne électorale québécoise dans la grande région montréalaise pour mon quotidien, Le Droit d'Ottawa. Une campagne tumultueuse dans la métropole, surtout dans les quartiers plus francophones où le Parti québécois de René Lévesque talonnait les libéraux de Robert Bourassa, broyant sur son chemin les anciens châteaux-forts de l'Union nationale.
Avec une finale marquée par le célèbre coup de la Brinks et l'élection d'à peine sept députés du PQ en dépit d'un vote populaire de 23%, les résultats du 29 avril 1970 étaient restés comme une arête dans la gorge de nombreux militants indépendantistes. En juillet, j'ai passé mes vacances à faire «du pouce» (chargé d'un sac à dos de 25 kilos) et me suis retrouvé, entre autres, à Percé où des jeunes qui semblaient proches du FLQ distribuaient des journaux et des tracts...
Ce même mois, j'ai acheté le numéro de juillet 1970 de la revue indépendantiste Point de mire, fort courue à l'époque, et je crois, en rétrospective, que l'éditorial de Pierre Bourgault, intitulé L'humiliation, avait bien flairé l'air du temps et constituait, à certains égards, un texte prémonitoire. J'en reproduis ici des extraits:
«La semaine dernière, je me faisais littéralement "sortir" en compagnie de quelques amis, d'une discothèque de l'ouest de Montréal parce que nous avions osé commander une bière en français: pire, nous avions osé insister pour nous faire servir en français. La patronne, une dame vieillissante du nom de Monroe, nous affirma avec tous les cris hystériques d'usage qu'elle ne voulait pas de politique chez elle.
«À Montréal, en 1970, commander une bière en français c'est faire de la politique»...
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«Et puis je ne me remettrai sans doute jamais du profond sentiment de frustration que j'ai ressenti le soir du 29 avril quand j'ai vu le système électoral dont on nous vante les mérites n'était qu'une machine à inventer l'injustice, qu'une vaste fumisterie déployée pour servir de façade aux écoeuranteries de l'establishment. Quand j'ai vu des milliers de citoyens québécois se voir refuser le droit de voter pendant que des milliers d'immigrants dépourvus de citoyenneté, inconscients du geste qu'on leur faisait poser, décidaient du sort de la nation québécoise à son insu.
«Quand j'ai vu la nouvelle arrogance briller aux yeux des Anglais. Quand je me suis senti étranger dans mon propre pays. Quand j'ai vu des milliers de jeunes cassés en deux par le désespoir, conscients d'avoir été roulés et se retournant contre leurs plus fidèles alliés.
«Quand j'ai vu que les bombes éclataient et que, sans m'en réjouir je ne m'en offusquais pas; quand j'ai senti qu'au fond de moi-même je n'étais pas loin de les justifier.
«Quand j'ai compris que l'argent justifie tout aux yeux de ceux qui n'en ont pas mais qu'il n'est rien aux yeux de ceux qui en ont et qu'ils sont prêts à le perdre pour animer le fanatisme qui les habite.
«Aujourd'hui mon humiliation est profonde. Et je suis certain que l'humiliation que je ressens est partagée par des centaines de milliers de Québécois.
«Individuellement et collectivement nous sommes humiliés. Malheur à ceux qui entretiennent cette humiliation...
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«Nous ne rions plus. L'humiliation collective prépare des éruptions volcaniques. Vous nous croyez "cassés", brisés dans nos forces vives? Vous vous trompez.»
L'éditorial de l'ancien chef du RIN, désormais membre du PQ, traduisait sans doute assez bien les sentiments de milliers de jeunes et d'adultes frustrés dans leur quête d'un Québec indépendant, social-démocrate (voire socialiste) et laïc. J'ai surtout la nette conviction que les analystes au service du gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau croyaient eux aussi que Bourgault avait vu juste. Et ils en avaient pris bonne note...
Aussi, quand le Front de libération du Québec déclencha ce qu'on a appelé par la suite la «crise d'octobre», Ottawa s'attaqua immédiatement aux milieux indépendantistes, bien plus qu'aux ravisseurs de James Cross et Pierre Laporte, suspendant les libertés civiles du pays tout entier et faisant emprisonner quelque 500 Québécois innocents. De toute évidence, humilier n'avait pas suffi. Il fallait désormais écraser.
C'était du moins ma perception comme journaliste du Droit à la Tribune de la presse parlementaire fédérale... et ce l'est toujours.
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page couverture de l'édition de juillet 1970 de Point de mire
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