L’été 1970… Déjà un demi-siècle… Au pays du Québec, bien des choses ont changé depuis la fin de la Révolution-pas-si-tranquille-que-ça… Mais quand on y pense, aucun des problèmes de fond qui tiraillaient il y a 50 ans les Canadiens-français-devenus-Québécois n’a été réglé… En retournant sur les écrits d'un magazine de l’époque, les déjà-vus se succèdent…
J’épluche ces jours-ci les éditions pré-crise
d’octobre 1970 de la revue indépendantiste Point
de mire. Des grands noms du Parti québécois la dirigeaient ou y
collaboraient, y compris Pierre Bourgault, Jacques-Yvan Morin, Bernard Landry
et André d’Allemagne. L’équipe du magazine comprenait aussi des sommités
culturelles, dont les auteurs Gaston Miron et Claude Jasmin.
Au départ, ce qui frappe, c’est la perception
que le mouvement indépendantiste est porté essentiellement par les jeunes, que
la défense du fédéralisme rassemble les vieilles gardes et qu’à ce titre, l’accession
du Québec au rang de pays n’est plus qu’une question de temps. «En 1974 (année
prévue de l’élection suivante), écrit Jean Meunier dans Point de mire en juin 1970, les 14, 15, 16 et 17 ans iront aux
urnes. Plus politisés que leurs aînés, mieux avertis des problèmes du Québec,
ils iront dans un fort pourcentage grossir les effectifs du PQ.»
Et Pierre Bourgault d’ajouter en éditorial
(juillet 1970), s’adressant aux ténors du fédéralisme, «vos troupes meurent de
vieillesse pendant qu’il nous en arrive des fraîches à tous les jours».
Personne ne s’exprimerait ainsi en 2020…
Cet optimisme de 1970 est cependant tempéré
par un sentiment, déjà répandu, que le temps joue contre les souverainistes, faute
de mesures de protection et de promotion de la langue française. Le Québec vit
sous le règne de la Loi 63, adoptée par le gouvernement précédent de
l’Union nationale, qui permet le libre choix de la langue d’enseignement.
«À la suite de l’adoption de la Loi no 63, poursuit le rédacteur en chef Bourgault,
les immigrants (italophones) de St-Léonard s’inscrivent massivement à l’école
anglaise».
«Pour 97 immigrants qui vont grossir la nation
canadienne anglaise, seulement trois vont au groupe francophone», affirme
Joseph Costisella (auteur du livre Le
scandale des écoles séparées en Ontario), dans un article de Point de mire de juin 1970 intitulé
«Doit-on interdire l’immigration?»
Dans un éditorial qui ferait sûrement frémir
d’indignation les multiculturalistes de 2020, Pierre Bourgault lance en
septembre 1970 cet appel : «Nous n’avons pas le choix. Il faut désormais
stopper l’entrée de tous les immigrants au Québec. Pour ma part, je suis à la
veille de suggérer que nous rendions par milliers à Dorval, le jour de
l’arrivée d’un avion d’immigrants, pour forcer cet avion à retourner d’où il
vient, avec son chargement de futurs citoyens québécois anglophones.»
Dans un autre texte à l’été 1970, un
journaliste de Point de mire évoque
les fraudes électorales dénoncées par le PQ à la suite de l’élection du 29
avril 1970, portant notamment sur les votes exercés en faveur des libéraux par
des immigrants récemment arrivés, n’ayant pas la citoyenneté canadienne. Dans
la circonscription montréalaise de Mercier (celle de Robert Bourassa), allègue-t-on, «des
citoyens non canadiens avaient voté pendant que des centaines de Québécois, surtout
âgés de 18 à 25 ans, ont été privés du droit de voter».
«Un jour ce pays parlera français, coûte que
coûte, prophétise-t-il hardiment. Nous y accueillerons alors les immigrants
avec sympathie et respect.» Le débat n’a pas beaucoup changé de ton en ce début
de 21e siècle... Peut-être est-il opportun aussi de rappeler que le
ministre libéral de l’Immigration était alors Pierre Laporte, «assurément la
créature la plus détestée des indépendantistes» (Point de mire, juin 1970) qui serait enlevé et assassiné quelques mois
plus tard par des membres du Front de libération du Québec (FLQ).
Cette arrivée massive d’immigrants aussitôt en
voie d’anglicisation, combinée à une dénatalité foudroyante au sein de la
société québécoise francophone, tourmente plusieurs analystes y compris Joseph
Costisella, lui-même immigrant, qui s’intéresse beaucoup à la situation des Franco-Ontariens et de
la francophonie hors-Québec. «Dans 50 ans (donc en 2020), les Canadiens
français ne représenteront plus que 16,8% de la population totale (du Canada),
prédit-il en ajoutant que si le rythme d’anglicisation n’est pas freiné, la
population de langue française pourrait n’être qu’«une minorité de 10%»…
Personne ne pouvait alors prévoir les effets
de la future Loi 101, qui obligerait les immigrants à fréquenter l’école
française, ainsi que des autres mesures de francisation, qui n’ont pas stoppé
le recul du français mais l’ont bel et bien ralenti au Québec.
La même édition de Point de mire rapporte à cet égard les propos de Ken Pearson, de la
Chambre de commerce des jeunes de l’Ontario (comparaissant devant la Commission
B-B). Il n’y a que 30% de francophones au Canada (à l’époque), et bientôt,
dit-il, ce ne sera que 15%. Selon lui il est alors inutile de s’occuper
des revendications canadiennes-françaises, car les Canadiens français «ne
représenteraient bientôt qu’une force négligeable»…
Au Québec de 1970, la situation linguistique suscite
la colère de l’Association des professeurs de français. «Ce qui nous préoccupe,
disent-ils, c’est que le Québec n’est pas français. Il est anglais et français,
il est bilingue. Dès lors, il ne faut pas s’étonner si le français québécois
est dans une trop large mesure du franglais.» (Comme en 2020…)
«Le problème de la collectivité québécoise et
de sa langue, estiment les profs de français en 1970, ne tient pas à ses voisin, américains ou canadiens. Il
est dû à la présence en son sein d’une minorité
anglophone, qui n’est en réalité que le front solidement établi, au Québec,
de la majorité anglophone canadienne.»
Cette perception est partagée par nombre
d’exilés américains (déserteurs, objecteurs de conscience à la guerre du
Vietnam). «Nous avons fait l’erreur, déclare l’un d’eux, de nous coller à la
minorité anglaise de Montréal. Puis nous avons découvert que le peuple
québécois était français. Et nous sommes du côté du peuple.»
Le racisme des Anglo-Canadiens à l’endroit des
francophones hors-Québec, et des «Rhodésiens» de Westmount à l’endroit des
Franco-Québécois, avait suscité de multiples réactions, y compris de nombreuses
manifestations et même de la violence (celle du FLQ notamment). Les policiers
de l’époque utilisaient leurs matraques bien plus sur les jeunes Québécois
blancs et indépendantistes (les «nègres blancs», aurait dit Pierre Vallières) que les
citoyens d’autres cultures et d'autres races.
La situation était telle qu’une fraction
appréciable de l’opinion publique de langue française manifestait de la
sympathie pour les terroristes felquistes, approuvant leurs objectifs sans
souscrire à leurs méthodes. À ce sujet, le syndicaliste Michel Chartrand
déclarait en août 1970 : «Jamais on ne me fera cracher sur les gars qui
posent des bombes. Ils ont le droit de ne pas être contents ces gens-là. Le
système capitaliste est fondé sur la violence et il engendre nécessairement la
violence.»
Quelques mois plus tard, Michel Chartrand se
retrouvait derrière les barreaux sous l’emprise des mesures de guerre, innocent
de tout crime et emprisonné, comme près de 500 autres innocents, pour le simple
fait d’avoir milité en faveur de l’indépendance du Québec et d’un socialisme
démocratique et laïc.
Cinquante années plus tard, l’avenir de la
nation québécoise de langue française est toujours en péril, pour
essentiellement les mêmes motifs qu’en 1970. La survie des minorités
francophones hors-Québec est gravement menacée. La proportion des parlant
français au pays diminue à chaque recensement, et le projet d’indépendance du
Québec semble maintenant l’étendard des vieux plutôt que celui d’une jeunesse trop peu politisée, plus individualiste et, pour plusieurs, docilement soumise à la propagande
anglo-canadienne déguisée en soi-disant bienveillance multiculturaliste.
Ça s'annonçait mal en 1970… Avec l’échec de la
génération montante de l’époque, c’est pire en 2020… Il est ironique que
la pérennité de la seule nation française d’Amérique du Nord semble maintenant reposer sur les épaules vacillantes des vieux qui étaient les jeunes de 1970…
La vie est bien faite!
RépondreEffacerBernard Landry: indépendantiste jusqu’à son dernier souffle!
« Maintenant, c’est à votre tour! » -Bernard Landry, nov. 2018
https://www.facebook.com/photo.php?fbid=10156929450823140&set=a.10150776269788140&type=3&theater
« Des fois je suis enragé, mais jamais découragé » -Bernard Landry, p-m
J’ai perdu plusieurs mentors, ces derniers temps :
-Bernard Landry;
-Pierre Falardeau;
-René Lévesque;
-Lise Payette;
-Gilles Rhéaume;
-Jacques Parizeau.
Mais ceux-ci ont pris bien soins de nous léguer de bons disciples :
-Simon-Pierre Savard-Tremblay;
-Maxime Laporte;
-Frédéric Bastien;
-Catherine Fournier;
-Mathieu Bock-Côté ;
-Martine Ouellet;
-Alexandre Bélliard;
-Guillaume Rousseau;
-Xavier Barsalou-Duval;
-Martine Desjardins;
-Léo Bureau-Blouin;
-André-Carl Vachon;
-Mégane Perry-Mélançon;
-François Côté;
-Éric Poirier;
-Gabrielle Lemieux;
-Tania Longpré;
-etc…